L’Autorité de la concurrence met fin à une entente entre des producteurs d’endives et plusieurs de leurs organisations professionnelles qui, par différents moyens, ont maintenu des prix minima pendant quatorze ans.

Elle prononce des sanctions modérées pour tenir compte, d’une part, de l’impact limité qu’a eu cette entente sur les prix en raison du contre-pouvoir de la grande distribution et, d’autre part, des ressources financières limitées des producteurs.

 
A titre liminaire, l’Autorité de la concurrence rappelle que le droit de la concurrence est souple et permet une approche pragmatique des problématiques qui traversent le secteur agricole. C’est cette approche qui a guidé l’Autorité de la concurrence en autorisant, par exemple, tous les regroupements de coopératives qui lui ont été soumis depuis 2009 (37 à ce jour).

Loin d’être un frein à leur développement, le droit de la concurrence peut, au contraire, accompagner les producteurs et les aider à renforcer leur pouvoir de négociation face aux acteurs de la grande distribution. Il admet l’emploi d’outils utiles1 (contractualisation, indicateurs de tendance, marchés à terme, etc.) qui permettent aux producteurs d’avoir une meilleure visibilité et prévisibilité dans la gestion de leurs exploitations.

Si les moyens d’action donnés aux producteurs, notamment par les règlements pris pour la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune mais aussi par le droit national sont larges, l’Autorité de la concurrence leur signale, à nouveau, que certaines pratiques, comme celles de s’entendre sur les prix, restent interdites et ne peuvent être admises.


Saisie par le ministre de l’économie, l’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui une décision par laquelle elle constate toute une série d’actions, mises en place par une dizaine d’organisations de producteurs et sept organisations représentatives, qui s’inscrivaient dans un plan global de fixation des prix de vente minima des endives, et rappelle que l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles s’applique aussi au secteur agricole.

Cette vaste entente, débutée en 1998, s’est poursuivie, pour certaines pratiques, jusqu’à aujourd’hui. Cette entente a concerné l’ensemble de la production endivière française, toutes catégories d’endives confondues, et plus particulièrement les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, et dans une moindre mesure la Bretagne, qui concentrent l’essentiel de la production endivière française.

Un système organisé et élaboré ayant pour seul objectif le contrôle des prix des endives vendues par les producteurs aux grossistes et distributeurs

Au motif que le cours de l’endive était « trop bas », les endiviers et leurs représentants ont mis en place un « plan global » de gestion du marché afin de soustraire la fixation du prix des endives au jeu normal de la concurrence. Depuis au moins 1998, un ensemble d’accords et de pratiques ont été mis en œuvre par les acteurs du marché afin de coordonner collectivement leur politique tarifaire et commerciale et, ainsi, maîtriser les prix de vente des endives aux grossistes et distributeurs.

Plusieurs types de pratiques ont contribué à la réalisation de l’objectif de respect d’un prix minimum :

- diffusion régulière et ininterrompue d’une consigne de prix minimum pour chaque catégorie d’endives ;

- encadrement des offres promotionnelles ;

- gestion des volumes d’endives mis en vente par des opérations de dénaturations obligatoires (destruction des marchandises), qui avaient lieu lorsque le cours de l’endive descendait sous un certain seuil afin de maintenir le prix artificiel de l’endive décidé en commun ;

- système d’échanges d’informations sur les prix pratiqués par les producteurs, qui a été détourné de son objet initial afin de s’assurer de la bonne application de l’entente.

Cette politique concertée de gestion du marché de l’endive a supprimé la concurrence par les prix entre producteurs.

Un outil informatique d’échanges d’informations a été utilisé comme support à une police de prix afin de s’assurer du respect de l’entente par les producteurs

Le système informatique d’échanges d’informations, nommé Infoclar, centralisait en temps réel les prix pratiqués par les producteurs et permettait de vérifier qu’ils étaient conformes à ceux décidés collectivement. Les informations recueillies ne restant pas anonymes, les récalcitrants étaient immédiatement identifiés en cas d’anomalies (écarts de prix) et pouvaient se voir infliger les mesures de punition et de représailles qui étaient prévues en pareil cas.

Les participants à l’entente avaient conscience de l’illicéité de ces pratiques

À plusieurs reprises, les services de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) avaient alerté les acteurs de la filière endivière sur le fait que le secteur agricole n’échappait pas au droit de la concurrence.

Dès 2001, le directeur départemental de la DDCCRF Nord-Pas-de-Calais attirait l’attention des initiateurs d’Infoclar sur les risques juridiques encourus dans l’éventualité où le système Infoclar serait utilisé en pratique comme mécanisme de police des prix ou plus globalement de soutien à une entente sur les prix.

Un courriel de 2006 émanant d’un représentant d’un syndicat agricole atteste de la connaissance par  les producteurs de l’illicéité des pratiques. « Après consultation discrète de la DGCCRF par l’intermédiaire de la FNSEA, mon précédent message est à oublier, la consigne est claire comme vous deviez vous en douter : Aucune trace écrite de la part de qui que ce soit, même avec une fourchette de prix (qui comporte nécessairement un prix minimum). Il faut donc organiser une communication orale auprès des producteurs vendeurs et des expéditeurs. »

Un dernier élément confirme que les producteurs savaient qu’ils se livraient à des pratiques interdites : l’un d’entre eux a adopté un comportement de « franc-tireur » en s’opposant de manière ferme et claire à la mise en œuvre de certaines d’entre elles.

Des pratiques graves mais à l’impact limité pour les consommateurs

Une entente entre concurrents dont l’objet est de manipuler le prix est d’une indéniable gravité. Néanmoins, l’impact de l’entente sur le prix des endives payé par le consommateur a été limité en l’espèce dans la mesure où la grande distribution, qui est le principal client des producteurs d’endives, bénéficie face à eux d’une puissance d’achat telle qu’elle a pu exercer une pression à la baisse sur les prix pendant toute la durée des pratiques. L’effet sur les prix recherché par les producteurs a donc pu s’en trouver sensiblement limité en définitive.

Des sanctions modérées et proportionnées à la situation de chaque producteur et organisme

L’Autorité de la concurrence a fixé le montant des sanctions en tenant compte de la gravité des faits et de l’importance limitée du dommage causé à l’économie. Elle a ensuite adapté les sanctions à la situation individuelle de chaque producteur et organisation sanctionné : elle a ainsi tenu compte du rôle joué par chacun dans l’entente, de leurs capacités contributives et de circonstances atténuantes (telles que les comportements de « franc-tireur ») ou aggravantes (en cas de réitération des pratiques).

Concernant la base de calcul de la sanction de chaque producteur, l’Autorité de la concurrence a tenu compte de la structure très particulière des comptes des organisations de producteurs. En effet, les résultats des organisations de producteurs sont très dépendants des subventions publiques, ce qui illustre la fragilité économique de ces organisations. L’Autorité a ainsi jugé que la valeur de leurs ventes d’endives ne reflétait pas réellement leur importance économique et tenu compte de cette circonstance particulière pour déterminer le montant des sanctions. Du fait de cette démarche, liée à la situation spécifique des producteurs d’endives, le montant final de leurs sanctions a été limité à 3,6 millions d’euros.

L’Autorité a également pris en considération le fait qu’une partie des entreprises en cause étaient pour l’essentiel mono-produit, et que certaines d’entre elles avaient démontré l’existence de difficultés financières justifiant une réduction de leur sanction. À ce titre, les sociétés Soleil du Nord, Prim’Santerre et Fraileg ont bénéficié respectivement d’une baisse de leur sanction de 56 %, 74 % et 87 %. Nord Alliance, en liquidation judiciaire, ne se voit pas infliger de sanction.

Les sanctions prononcées :

 

Entreprise ou organisme Sanction prononcée
Organisations de producteurs (OP)
Cap’Endives 103 800 €
Fraileg 83 000 €
France Endives 587 430 €
Marché de Phalempin 1 186 930 €
Nord Alliance -
Primacoop 891 900 €
Prim’Santerre 127 000 €
SAS Groupe Perle du Nord 5 730 €
Soleil du Nord 72 000 €
Sipema 251 700 €
Valois-Fruits 341 100 €
Total OP 3 650 590 €
Associations et syndicats
APVE 5 000 €
APEF 50 000 €
CELFNORD 100 000 €
CERAFEL 75 000 €
FCE 5 000 €
FNPE 80 000 €
SNE 5 000 €
Total syndicats et associations  320 000 €

Les responsables d’Infoclar devront rendre compte à l’Autorité de la concurrence, sous quatre mois, de la mise en conformité du système avec les règles de concurrence

L’Autorité de la concurrence enjoint enfin aux responsables d’Infoclar de mettre le système en conformité avec le droit de la concurrence en ne permettant l’enregistrement que des données passées, anonymisées et suffisamment agrégées pour exclure toute identification des opérateurs et en ne diffusant des informations en matière de coûts ou de prix que sous forme de mercuriales ou d’indices statistiques.


1Voir notamment les avis 08-A-07 sur l’organisation de la filière des fruits et légumes, 09-A-48 sur le fonctionnement du secteur laitier et 10-A-28, 11-A-03, 11-A-12, 11-A-14 sur la contractualisation dans différents secteurs agricoles.

> Pour plus de détails sur cette affaire, consulter le dossier de presse :

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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