Energie / Environnement

Transport d’hydrocarbures par oléoducs : l’Autorité interdit le rachat de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (SPMR) par le groupe Ardian

oléoducs

L’essentiel

Le groupe Ardian, notamment actif dans les secteurs du transport, des télécoms et des énergies renouvelables, a notifié à l’Autorité son projet d'acquisition de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (SPMR), active dans le transport d’hydrocarbures par oléoduc.

L’Autorité a mené un examen approfondi de l’opération qui porte sur la prise de contrôle de l’oléoduc Pipeline Méditerranée-Rhône, un réseau de canalisations de 760 km de long, qui approvisionne les dépôts du sud-est de la France en produits raffinés. L’opération aurait eu pour effet de conférer à Ardian seul le pouvoir de marché de l’oléoduc et ainsi d’être l’unique décisionnaire de la politique commerciale, alors qu’aujourd’hui l’infrastructure est contrôlée par plusieurs opérateurs. Or, l’Autorité a considéré que cet oléoduc constituait une infrastructure essentielle.  Bien que cette infrastructure soit soumise à un contrôle de l’État, celui-ci porte uniquement sur la préservation de la sécurité de l’approvisionnement de la France en produits pétroliers et non sur la préservation des règles de concurrence.  Ce seul cadre légal et réglementaire ne permet pas d’exclure les risques d’atteinte à la concurrence engendrés par l’opération et identifiés par l’Autorité. Ainsi, devant l’insuffisance des engagements proposés et l’impossibilité de prendre des injonctions, l’Autorité a interdit l’opération.

Cette interdiction est la deuxième prononcée par l’Autorité depuis qu’elle exerce le contrôle des concentrations1. Dans le secteur du transport par oléoduc, l’Autorité avait pris acte il y a quelques mois du retrait, par les parties, de l’opération Pisto/Trapil (voir communiqué de presse du 24 juillet 2020).

 

1Voir décision 20-DCC-116 du 28 août 2020 (rachat d’un hypermarché Géant Casino à Troyes/communiqué du 28 août 2020). Cette décision fait l'objet d'un recours devant le Conseil d’Etat (affaire pendante).

Les parties et l’opération

Le groupe Ardian a notifié le 14 septembre 2020 son projet d'acquisition de la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après « SPMR »), active dans le transport d’hydrocarbures par oléoduc en France. Le 8 décembre 2020, l’Autorité a ouvert une phase d’examen approfondi (phase 2)/voir communiqué de presse.

Ardian est une société d’investissement privé. Au travers de ses participations, elle est notamment présente dans les secteurs du transport, des télécoms et des énergies renouvelables.

La SPMR possède et exploite le Pipeline Méditerranée-Rhône (ci-après, « le PMR »), réseau de canalisations de 760 km de long, qui approvisionne les dépôts du sud-est de la France en produits raffinés : gazole, essences, fioul domestique et carburéacteur. Chaque année, le PMR transporte environ 9 millions de tonnes d’hydrocarbures. Les expéditions s’effectuent au départ des raffineries et dépôts de l’étang de Berre et Feyzin vers les dépôts pétroliers de la Côte d’Azur, de la vallée du Rhône, de la région lyonnaise et de la Savoie. Elles permettent ensuite l’approvisionnement par camion des stations-services, distributeurs de fioul domestique et aéroports. Le raccordement du Pipeline Méditerranée-Rhône au pipeline suisse de SAPPRO permet également l’approvisionnement des dépôts de la région de Genève.

Tracé du PMR (source Ardian)

Le PMR est une conduite d’intérêt général. La SPMR est soumise à un contrôle des pouvoirs publics qui s’opère au travers de l’intervention d’un commissaire du Gouvernement, qui peut
« notamment s’opposer à toute décision de la société contraire à la politique générale du gouvernement en matière d’énergie » et du ministre en charge de l’énergie sur la fixation initiale et les modifications ultérieures des tarifs d’accès aux canalisations.

 

Le rachat des parts d’ENI dans la SPMR donnera à Ardian le contrôle du pipeline

Actuellement, le capital de la SPMR est réparti entre le groupe Ardian (47,2 %), la société Trapil (32,8 %), à qui la SPMR a délégué l’exploitation du pipeline, et
des utilisateurs du pipeline (Esso : 14,2 % ; ENI : 5 % ; Thevenin-Ducrot : 0,8 %).

 

capital SPMR

L’opération notifiée consistait en un rachat par le groupe Ardian des 5 % des parts de capital détenues dans la SPMR par ENI, entraînant ainsi la prise de contrôle exclusif de la SPMR par Ardian. Elle conduisait à ce que, pour la première fois depuis sa création en 1968, la majorité des parts du capital de SPMR et, par suite, l’infrastructure, soit contrôlée par un seul opérateur : le groupe Ardian.

Les marchés concernés

La SPMR est présente sur le marché du transport de produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France.

Le transport par oléoduc n’est pas substituable au transport par train, par bateau fluvial ou par camion, dans la mesure notamment où ces moyens de transports ne permettent pas de transporter des volumes aussi importants que ceux transportés par oléoduc et n’offrent pas les mêmes garanties que le transport par oléoduc, notamment en termes d’approvisionnement, de sécurité et d’émission de gaz carbonique.

Hormis le PMR, différents oléoducs sont présents dans le sud de la France. Il s’agit notamment de l’oléoduc de la défense commune (ci-après, « ODC ») et de l’oléoduc Pipeline Sud-Européen (ci-après, « PSE »). Toutefois, ces oléoducs n’exercent pas de pression concurrentielle sur le PMR et ne constituent donc pas une alternative, compte tenu, notamment, de leur usage particulier (militaire pour l’ODC et transport de produits pétroliers bruts pour le PSE), et de leur tracé, qui ne recouvre que partiellement celui du PMR et dessert des dépôts  différents.

 

Carte des principaux pipelines de France (Source : www.ecologie.gouv.fr/chaine-petroliere#e3)

Les risques concurrentiels identifiés par l’Autorité

  • Le PMR constitue une infrastructure essentielle

L’Autorité a considéré que le PMR pouvait être qualifié d’infrastructure essentielle.

En effet, le PMR se trouve en situation de monopole de fait sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.

Par ailleurs, il s’agit d’une infrastructure incontournable pour les clients, les autres modes de transport (rail, route et fluvial) de produits pétroliers raffinés ne constituant pas une alternative crédible aux services qu’offre le PMR en matière de transport.

Enfin, le PMR est une infrastructure qui ne peut pas être dupliquée par un concurrent, compte tenu du montant élevé des investissements requis pour la création d’un oléoduc et des contraintes réglementaires du régime d’autorisation.

 

  • L’opération a pour effet de conférer à Ardian la faculté de décider seul de la politique commerciale du PMR

Avant l’opération, l’actionnariat de la SPMR était éclaté, de sorte qu’aucun des actionnaires ne pouvait prendre seul les décisions stratégiques relatives au PMR. Cet éclatement de l’actionnariat obligeait les actionnaires à trouver un compromis,  ce qui s’illustrait notamment dans les discussions annuelles relatives à la fixation des prix de transport du PMR. Le niveau des hausses proposées par la SPMR pouvait être revu à la baisse, notamment suite aux interventions des actionnaires-utilisateurs qui ont recours au PMR pour transporter leurs produits et n’ont ainsi pas intérêt à ce que les hausses de prix soient maximales.

L’opération aurait ainsi permis à Ardian de décider seul de la politique commerciale du PMR et ainsi du niveau des prix. Ardian, qui n’est pas un utilisateur, aurait eu intérêt à augmenter de façon plus importante les prix, en faisant jouer à plein la situation de monopole du PMR. Dans le même sens, pour maximiser ses profits, Ardian aurait pu décider de dégrader la qualité des services offerts par le PMR ou limiter les investissements.

  • L’insuffisance du contrôle exercé par l’État pour empêcher Ardian d’user du pouvoir de marché conféré par le contrôle de la SPMR

L’Autorité a constaté que le commissaire du Gouvernement et le ministre en charge de l’énergie exercent actuellement sur la SPMR un contrôle réel mais qui se limite, pour l’essentiel, au champ de la politique énergétique et à la continuité d’approvisionnement en produits pétroliers du territoire français.

En conséquence, l’Autorité a considéré que le contrôle exercé par l’État sur les décisions de la SPMR n’était pas suffisant pour écarter le risque d’atteinte à la concurrence, en l’espèce qu’Ardian puisse, après l’opération, user du pouvoir de marché détenu par la SPMR sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoducs dans le sud de la France.
 

Des risques concurrentiels non compensés par les gains d’efficience

Ardian n’a pas démontré que l’opération notifiée était susceptible de générer des gains d’efficience de nature à compenser les effets anticoncurrentiels de l’opération.

  • L’insuffisance des engagements proposés et l’impossibilité de prononcer des injonctions

Ardian a proposé différents engagements dont l’Autorité a toutefois considéré qu’ils n’étaient pas en mesure de remédier aux risques concurrentiels identifiés.

L’Autorité a également relevé l’impossibilité de prononcer des injonctions, qu’elles soient de nature structurelle ou comportementale.

S’agissant du prononcé d’injonctions structurelles, l’Autorité a considéré qu’une telle possibilité était exclue, dès lors que les risques identifiés par l’Autorité portaient directement sur l’unique objet de l’opération notifiée, la prise de contrôle du PMR par Ardian. Aucune injonction structurelle n’aurait donc été en mesure de répondre aux problèmes de concurrence.

S’agissant du prononcé d’injonctions comportementales, l’Autorité a estimé que, dans la mesure où le PMR constitue une infrastructure en monopole et où le champ du contrôle actuellement exercé par les pouvoirs publics n’intègre pas les préoccupations concurrentielles, seules des injonctions s’apparentant à un contrôle exercé par une autorité de régulation sectorielle pourraient être de nature à répondre efficacement aux préoccupations engendrées par le comportement de la nouvelle entité. Or, une injonction comportementale ne peut se substituer à une réglementation instaurant un contrôle sectoriel ex ante.

Dès lors qu’aucune mesure corrective adaptée ne pouvait être envisagée sous la forme d’injonctions ou d’engagements, l’Autorité a décidé d’interdire l’opération.
 

L’opération retirée Pisto/Trapil

Pour rappel, dans une précédente opération concernant les oléoducs, Pisto, entreprise spécialisée dans le stockage de produits pétroliers, entendait prendre le contrôle exclusif de Trapil, principale entreprise de transport de produits raffinés (essences, gazole, fioul domestique, carburéacteurs) par oléoducs en France.

L’Autorité avait pris acte du retrait de l’opération (voir communiqué de presse du 24 juillet 2020). Cette opération présentait des risques concurrentiels élevés, aussi bien sur le marché du transport que sur les marchés du stockage de produits raffinés. En l'absence d’une régulation sectorielle en effet, l'opération aurait ainsi pu avoir pour effet de conférer à la nouvelle entité un pouvoir de marché durablement non contestable par un concurrent.

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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