Systèmes de notation des produits et services de consommation: l’Autorité de la concurrence fournit des orientations au regard des règles de concurrence

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L'essentiel

En février dernier, l’Autorité de la concurrence a décidé de s’autosaisir pour avis afin d’analyser le fonctionnement concurrentiel du secteur des systèmes de notation visant à informer les consommateurs sur les caractéristiques liées au développement durable des produits et services de consommation.

Dans le cadre de l’instruction, l’Autorité a ensuite lancé en avril 2024 une consultation publique et a interrogé un grand nombre d’acteurs du secteur qui interviennent directement ou indirectement dans l’élaboration  ou le fonctionnement d’un système de notation : des éditeurs de systèmes de notation, des entreprises et des acteurs de la société civile (ONG et associations de consommateurs).

L’Autorité constate dans le présent avis, que les systèmes de notation sont en plein essor dans de nombreux secteurs. S’ils sont très divers dans la mesure où ils touchent à des secteurs d’activités et à des produits et services hétéroclites, ils ont comme objectif commun de donner une appréciation graduée d’un produit ou d’un service afin de rendre lisible un ensemble d’informations pour le consommateur.

Surtout, l’Autorité souligne que ces systèmes, en fournissant une information simplifiée et didactique aux consommateurs sur des caractéristiques liées au développement durable répondent à certaines attentes du consommateur, incitent les entreprises à innover et peuvent contribuer à l’animation du jeu concurrentiel sur les marchés de produits ou services qu’ils évaluent.

Dans le présent avis et sans préjudice des lignes directrices de la Commission européenne sur les accords de coopération horizontale, l’Autorité fournit des orientations afin d’aider les acteurs à appréhender les systèmes de notation au regard des règles de concurrence.

Les conditions relatives à la conception des systèmes de notation

Depuis plusieurs années, les consommateurs sont destinataires d’un volume croissant d’informations sur les caractéristiques de durabilité des biens ou des services de consommation. Cette information leur est notamment fournie par le biais de systèmes de notation qui livrent une information, sous la forme de chiffres, de lettres ou de couleurs, facilitant la compréhension des consommateurs concernant les caractéristiques de durabilité des produits et des services qu’ils entendent acheter.

Les systèmes de notation sont, par leur simplicité, particulièrement utiles pour fournir aux consommateurs un ensemble d’informations sur les caractéristiques liées à la durabilité des produits ou des services sous une forme simplifiée et agrégée. Ils permettent dès lors d’aider les consommateurs dans leur arbitrage au moment de leur acte d’achat et peuvent inciter les entreprises à se démarquer en innovant et en proposant des produits ou services plus vertueux pour l’environnement. Ainsi, les systèmes de notation peuvent avoir une influence sur un ou des paramètres de concurrence tenant à la qualité ou à l’innovation des produits.

 L’intensité de ce paramètre peut varier selon la considération de développement durable évaluée par le système de notation, le secteur concerné et la sensibilité des consommateurs à d’autres paramètres, comme les prix.

Ainsi, l’éditeur d’un système de notation, en ce qu’il fournit des informations sur un produit ou un service susceptible d’influencer l’acte d’achat du consommateur, doit veiller à la solidité de la méthode de calcul du système de notation et à la fiabilité des données qu’il utilise. En effet, l’établissement d’un système de notation implique la sélection de critères de notation et de la pondération appliquée à ces critères. À cet égard, il convient de noter que plus la notation permet de différencier les produits ou services notés, plus le consommateur sera en mesure de comparer les produits entre eux et, par conséquent, plus le système de notation participera à l’animation de la concurrence. À contrario, l’Autorité émet des réserves sur les systèmes de notation élaborés ou construits conjointement par des concurrents, lorsqu’ils aboutissent à ce qu’une grande majorité de leurs produits reçoivent une notation similaire sur un produit donné, autrement que par les mérites. Elle souligne, en particulier, que la notation doit reposer, sur des caractéristiques objectives et non résulter d’une action concertée visant pour les entreprises à éviter de se faire concurrence sur ce paramètre et qui pourrait constituer une pratique contraire au droit de la concurrence.

L’Autorité attire, par ailleurs, l’attention des éditeurs sur la tenue des travaux préparatoires d’un système de notation lorsqu’ils impliquent de réunir des concurrents (page 42). Elle  rappelle  les règles relatives aux échanges d’informations et aux risques de collusion dans ce contexte et souligne les enjeux de la représentativité des participants à ces réunions, notamment lorsque les entreprises qui y participent fabriquent ou distribuent les produits qui seront notés ou lorsque le système de notation émane des pouvoirs publics ou revêt un caractère contraignant.

Enfin, pour permettre un choix éclairé du consommateur, l’Autorité rappelle la nécessité pour les éditeurs de fournir aux utilisateurs une transparence sur la gouvernance et le fonctionnement du système.

L’Autorité recommande aux éditeurs de systèmes de notation de :

  • Faire preuve de transparence vis-à-vis des entreprises dont les produits ou services sont notés et vis-à-vis des consommateurs concernant la gouvernance du système de notation (sources de financement et, le cas échéant, de rémunération du système de notation, éventuels liens avec des entités tierces ou tout autre élément susceptible d’avoir une incidence sur le choix de la méthode de calcul du système de notation) et concernant les participants à la conception du système de notation (entreprises notées, équipe scientifique, participation des pouvoirs publics, etc.).
  • Informer les entreprises dont les produits ou services sont notés ainsi que les consommateurs des caractéristiques de durabilité évaluées, ainsi que de l’ensemble des éléments permettant la construction de la note (données, critères, pondération) et son actualisation. Ces informations doivent être claires, lisibles et accessibles rapidement et facilement.
  • Veiller à la solidité de la méthode (critères de notation et pondération accordée à chacun d’entre eux) et à la fiabilité (précision et exactitude) des données qu’ils utilisent, en procédant à des vérifications sur les sources de données et en permettant un mécanisme de correction (changement de composition d’un produit ou erreur) dans un délai raisonnable.

La mise en œuvre des systèmes de notation

  • L’accès aux bases de données et aux intrants

Les éditeurs de systèmes de notation interrogés dans le cadre de l’instruction indiquent que les données nécessaires à la notation des produits ou services concernés sont largement accessibles et, principalement, à titre gratuit. Il ne peut toutefois être exclu que certaines bases de données puissent ne pas être rendues accessibles aux éditeurs de systèmes de notation, ou ne soient fournies qu’à certaines conditions restrictives. La question de l’accès aux données, et plus largement aux intrants nécessaires pour exercer une activité sur un marché, soulève des préoccupations en droit de la concurrence (page 47).

L’Autorité précise, qu’en droit de la concurrence, le refus d’accès à un intrant soit par une entreprise détenant une position dominante individuelle, soit par un ensemble d’entreprises détenant une position dominante collective peut avoir un caractère abusif dans certaines circonstances. Ce type de pratiques peut également soulever des préoccupations de concurrence lorsqu’elles sont mises en œuvre par plusieurs entreprises indépendantes agissant ensemble, par exemple, dans le cadre d’un organisme professionnel détenteur d’une base de données.

  • Les éventuelles pratiques de dénigrement

L’avis revient également sur une question soulevée par plusieurs entreprises dans leur contribution, qui s’interrogent sur la pratique qui consiste, pour un système de notation, à attribuer de mauvaises notes aux produits qui contiennent des substances qu’il considère comme néfastes alors même que ces substances sont autorisées par les autorités sanitaires. L’avis propose une grille d’analyse pour apprécier une telle pratique sous l’angle du dénigrement en droit de la concurrence et précise que l’Autorité appréhende le plus souvent les cas de dénigrement sous l’angle des abus de position dominante (page 48).

La démonstration d’une pratique de dénigrement sur le fondement de l’abus de position dominante exige la réunion de plusieurs conditions. Par ailleurs, l’avis relève l’importance de la liberté d’expression accordée par les juridictions judiciaires dans l’examen de la pratique de dénigrement lorsque le discours litigieux vise à contribuer à un débat sur la santé.

  • Les éventuelles pratiques de lobbying

Les systèmes de notation publics font l’objet de nombreuses actions de représentation d’intérêts auprès des pouvoirs publics qui sont à l’origine de leur création ou en charge de leur fonctionnement. Si ces actions sont tout à fait légitimes, elles peuvent soulever des préoccupations de concurrence au regard du droit de la concurrence. Tel pourrait être le cas, par exemple, lorsqu’un organisme professionnel ou des entreprises s’accordent pour communiquer des informations trompeuses pour tenter de rallier une autorité publique à son opinion en la conduisant à prendre une décision sur la base des faits erronés ou partiels.

L’Autorité rappelle aux entreprises que les actions de représentation d’intérêts, légitimes en tant que telles, sont, dans certaines circonstances, susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence.

Par ailleurs, pour répondre aux exigences de robustesse mentionnées ci-avant, un système de notation émanant des pouvoirs publics ne doit pas reposer sur des considérations étrangères à l’objectif de durabilité qu’il poursuit, que cela soit dans sa méthode de calcul ou dans son mode de fonctionnement.

  • La communication sélective des notes

La communication sélective de notes issues d’un système de notation consiste à ne pas afficher les résultats générés par un système de notation lorsque ceux-ci ne sont pas suffisamment satisfaisants. Elle peut résulter par exemple d’un règlement d’utilisation d’un système de notation ou de la politique commerciale de distributeurs qui ne souhaitent pas pénaliser leurs fournisseurs.  

Ce type de pratiques risque de réduire le pouvoir informatif des systèmes de notation, et partant, la possibilité offerte aux consommateurs de comparer effectivement les produits entre eux sur la base des notes générées par le système de notation et éventuellement de reporter leurs achats vers des produits plus vertueux (page 51).

En droit de la concurrence, si la pratique consistant à laisser aux entreprises la possibilité de ne communiquer que sur les produits qu’elles sélectionnent et a fortiori sur ceux qui obtiennent une bonne note, peut s’entendre pour encourager les entreprises à s’inscrire dans une démarche vertueuse en recourant progressivement à un système de notation, elle ne doit pas être le fruit d’une coordination entre entreprises. Se coordonner pour éviter de se livrer à une concurrence saine et non faussée sur ce paramètre en s’abstenant de mettre en lumière les produits obtenant une note peu favorable pourrait être, en effet, susceptible de constituer une entente anticoncurrentielle.

  • L’imposition d’un système de notation à un partenaire commercial

L’imposition d’un système de notation à un partenaire commercial peut également, dans certains cas, soulever des préoccupations de concurrence au regard du droit de la concurrence, dès lors que l’éditeur est en position dominante sur le marché concerné (page 53). À titre d’exemple, certains distributeurs ont élaboré leur propre système de notation et peuvent l’imposer directement ou indirectement à leurs fabricants. L’Autorité précise les circonstances dans lesquelles cette pratique pourrait être qualifiée  d’imposition de conditions de transaction inéquitables.

En outre, si un éditeur actif dans la distribution applique des règles différentes selon qu’il s’agit de ses propres marques ou de celles de ses concurrents, utilise son système de notation pour obtenir des informations avantageuses sur ses fournisseurs, ou discrimine des fournisseurs dans des situations similaires, cela pourrait constituer un abus de position dominante.

Est qualifié d’abus de position dominante le fait pour un opérateur dominant sur un marché d’imposer des conditions de transaction non équitables à ses partenaires ou de mettre en œuvre des pratiques discriminatoires. Une telle qualification répond à un standard de preuve exigeant, défini en jurisprudence.

Pour finir, l’Autorité rappelle les conditions devant être réunies afin que d’éventuelles pratiques contraires au droit de la concurrence puissent être justifiées ou exemptées, compte tenu de l’objectif de protection du consommateur ou de durabilité poursuivi (page 54).

Contact(s)

Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
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