L’Autorité rend publique son étude sur les enjeux concurrentiels liés à l’impact énergétique et environnemental de l’IA

Une main végétale et une main robotique se rencontrent, pour illustrer les enjeux de l'impact du numériques sur l'environnement

L'essentiel

L’Autorité a souhaité approfondir sa réflexion dans le prolongement de son avis n° 24-A-05 sur l’IA générative, en examinant les questions concurrentielles relatives à l’impact énergétique et environnemental de l’IA. Elle publie aujourd’hui une première étude sur le sujet et invite l’ensemble des parties prenantes à s’emparer de ces questions.

L’émergence et le déploiement massif de l’IA sont récents et son impact est encore difficile à mesurer, notamment du fait de l’amélioration de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources que l’IA rendra possible. Toutefois, le développement rapide des centres de données et de l’IA, qui revêt un caractère prioritaire pour la France et pour l’Union européenne, s’accompagne d’une forte hausse de la consommation d’électricité, de pressions importantes sur d’autres ressources (eau, métaux rares, foncier) et d’un impact carbone non négligeable.

L’Autorité constate que cet impact sur les ressources énergétiques et naturelles soulève des enjeux concurrentiels de trois ordres :

- les difficultés d’accès au réseau électrique et le prix de l’énergie peuvent affecter la dynamique concurrentielle du secteur ;

- la montée en puissance de la frugalité des services d’IA (c’est-à-dire de la recherche d’une efficience intégrant la minimisation de l’impact environnemental), est susceptible de favoriser le développement de nouvelles offres permettant à certains acteurs et notamment aux entreprises de taille plus modeste, de rivaliser avec les plus grands acteurs du secteur ;

- la standardisation en cours et notamment la mise en place de méthodes de détermination de l’empreinte environnementale apparaît fondamentale pour garantir une concurrence entre acteurs sur la base de leurs mérites respectifs.

Enfin, compte tenu de ces enjeux, l’Autorité insiste particulièrement sur la nécessité de disposer de données fiables et transparentes sur l’empreinte énergétique et environnementale de l’IA, afin de permettre l’expression du jeu concurrentiel sur ces aspects. Une telle transparence, y compris obtenue par le biais de la mise en place de standards, permettrait en outre que la frugalité puisse pleinement jouer son rôle de paramètre de concurrence. L’Autorité précise également qu’il convient de s’assurer que l’accès aux zones adaptées à l’implantation de centres de données et à l’énergie, en particulier à l’électricité d’origine nucléaire, ne se fasse pas à l’avantage de certains acteurs uniquement.

Par conséquent, l’Autorité invite l’ensemble des parties prenantes à prendre la mesure de ces enjeux et, le cas échéant, à la saisir s’ils suspectent l’existence de pratiques potentiellement anticoncurrentielles ou à solliciter du Rapporteur général de l’Autorité des orientations informelles sur la compatibilité de leurs projets poursuivant des objectifs de durabilité avec les règles de concurrence.

L’impact énergétique et environnemental de l’intelligence artificielle

L’impact énergétique de l’IA

L’essor de l’IA s’accompagne d’une consommation énergétique particulièrement élevée, en raison de ses besoins importants en électricité, notamment pour alimenter les centres de données et les infrastructures de calcul intensif.

Les centres de données représentent aujourd’hui environ 1,5 % de la consommation mondiale d’électricité, mais leur impact local est beaucoup plus significatif et leur consommation pourrait, au moins plus que doubler d’ici 2030 sous l’effet de l’IA (pour atteindre 945 térawattheures (TWh)). En France, la consommation des centres de données, estimée à 10 TWh au début des années 2020, pourrait atteindre 12 à 20 TWh en 2030 puis 19 à 28 TWh en 2035, soit près de 4 % de la consommation électrique nationale. Cette dynamique conduit certains grands acteurs, notamment américains, à sécuriser des partenariats d’approvisionnement en énergie décarbonée telles que les énergies renouvelables ou le nucléaire. 

Les ordres de grandeur de la consommation energétique en France, et comparatif des volumes de la puissance de production

L’impact environnemental de l’IA

L’IA mobilise également, tout au long de la chaîne de valeur, d’importantes ressources (eau, métaux rares, foncier) et possède un impact environnemental certain. Fautes de données disponibles, l’étude se concentre toutefois uniquement sur l’impact au niveau des centres de données.

À titre d’exemple, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), le volume d’eau, pour l’essentiel de l’eau potable, prélevé par les centres de données aurait atteint 0,6 million de m3 en 2023. Par ailleurs, la croissance annuelle du volume d’eau prélevé reste très soutenue, s’établissant à + 17 % en 2022 et + 19 % en 2023. À cette consommation directe d’eau, il faut ajouter les prélèvements et la consommation indirects, en particulier ceux liés à la production d’électricité nécessaire à l’activité des centres de données, qui sont estimés par l’Arcep à plus de 5,2 millions de m3 par an.

Plusieurs études suggèrent par ailleurs qu’en dépit de sa contribution potentielle à l’efficacité énergétique et à la gestion des ressources comme l’eau, l’IA aurait une empreinte carbone nette non négligeable. Dans ce contexte, plusieurs acteurs du numérique ont annoncé une forte augmentation de leurs émissions de gaz à effet de serre (allant de + 30 % à + 50 %) résultant notamment de l’augmentation de la consommation énergétique des centres de données.

Les enjeux concurrentiels

À partir de ces constats et compte tenu du jeu concurrentiel présent sur les différents marchés affectés par l’essor de l’IA, l’Autorité identifie trois types d’enjeux concurrentiels dans le cadre de la présente étude.

L’accès à l’énergie et la maitrise de son coût

Les acteurs du secteur sont confrontés à des difficultés de raccordement au réseau électrique et à des incertitudes relatives au prix de l’énergie, ceci pouvant affecter la dynamique concurrentielle du secteur.

Les pouvoirs publics ont mis en place plusieurs mesures destinées, notamment, à limiter les risques de saturation du réseau, accélérer le raccordement de consommateurs industriels électro-intensifs au réseau électrique et traiter plus efficacement les demandes de raccordement. L’IA tend également à atténuer, dans une certaine mesure, la nécessité de concentrer les centres de données dans les mêmes zones géographiques. En effet, si la phase d’inférence demeure sensible à la latence et requiert donc une proximité avec des centres urbains dotés d’une connectivité fiable, la phase d’entrainement offre une plus grande flexibilité en matière d’implantation géographique.

Par ailleurs, l’accès à une énergie à un prix compétitif et prévisible est un enjeu important dans un contexte où l’électricité représenterait 30 à 50 % des charges d’exploitation d’un centre de données et où, de surcroit, le contexte énergétique est marqué par de fortes incertitudes. En France, la fin du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (« ARENH »), applicable du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2025, se traduit par la mise en place d’un système dual :

  • une redistribution aux consommateurs finals des bénéfices d’EDF via un versement nucléaire universel (« VNU »). Ce dispositif est en cours d’examen parlementaire et fera prochainement l’objet d’un avis ;
  • le développement par EDF de contrats d’allocation de long terme adossés à la production nucléaire (ci-après « CAPN »). Plusieurs commandes ont ainsi été passées sur ce fondement par des opérateurs de centres de données afin de sécuriser leur approvisionnement en électricité bas carbone.

D’autres stratégies visant à l’achat direct d’électricité (Power Purchase Agreement (PPA)) auprès de producteurs d’énergie de source éolienne ou solaire sont également en cours, notamment par des opérateurs de centres de données.

Dans ce contexte, l’Autorité a analysé plusieurs comportements susceptibles de soulever des préoccupations au regard des règles de concurrence. Au-delà des risques de barrières à l’entrée ou à l’expansion pour des acteurs de taille modeste, l’Autorité sera particulièrement vigilante à ce que la position privilégiée des acteurs les plus importants du secteur ne leur permettent de sécuriser des approvisionnements d’énergie dans des conditions avantageuses. Du côté des fournisseurs d’énergie, comme l’ont récemment rappelé l’Autorité et la CRE, il convient également que la conclusion de contrats CAPN par EDF ne donne pas lieu à l’adoption de comportements anticoncurrentiels tels que la discrimination, le refus d’approvisionnement ou le verrouillage du marché des consommateurs grands industriels au détriment des concurrents. Plusieurs facteurs suggèrent enfin que les grands acteurs du numérique pourraient entrer, même occasionnellement, sur les marchés de l’énergie en tant qu’offreurs, surtout à l’étranger.

L’Autorité veillera à ce que la dynamique concurrentielle repose sur les mérites de chaque acteur et invite les entreprises du secteur à faire preuve de vigilance sur ces sujets.

L’émergence de la frugalité des services d’IA comme paramètre de concurrence

En réponse à l’impact énergétique et environnemental de l’IA, se développe le concept de frugalité, qui se définit comme la consommation optimisée des ressources dans un objectif de minimisation de l’impact environnemental.

Plusieurs signes, tant du côté de la demande que du côté de l’offre, tendent à révéler que la frugalité devient un paramètre de concurrence. Ainsi, les demandeurs, qu’ils soient des acteurs publics ou privés, montrent un intérêt croissant pour des outils plus frugaux, tandis que du côté de l’offre, plusieurs acteurs développent des modèles de plus petite taille ou communiquent sur leur empreinte environnementale. Un phénomène similaire semble également émerger plus en amont de la chaîne de valeur avec le souci de minimiser l’empreinte environnementale des centres de données en particulier.

L’Autorité considère que la frugalité peut contribuer à l’animation du jeu concurrentiel :

  • la frugalité peut tout d’abord affecter le prix puisqu’elle consiste en une optimisation du coût en fonction du besoin, de sorte qu’elle peut contribuer à l’émergence de solutions compétitive sur le plan tarifaire ;
  • une IA frugale peut aussi affecter le jeu concurrentiel par le prisme de la qualité puisqu’elle est économe en ressources et, plus légère, peut s’adapter à des déploiements moins importants, utilisant une infrastructure informatique déjà existante par exemple ;
  • enfin, la frugalité peut affecter le jeu concurrentiel en termes d’incitation et de capacité à innover. En devenant un axe de développement du secteur, elle peut conduire à ce qu’une partie de l’innovation s’oriente dans cette direction et nourrisse alors une concurrence par la diversité de l’innovation.

Cela étant, et sans qu’il s’agisse d’une liste exhaustive, l’Autorité identifie plusieurs risques en termes concurrentiels et appelle l’ensemble des acteurs du secteur à la vigilance. Ainsi, peuvent être problématiques, s’il s’agit d’un comportement coordonné entre concurrents ou d’une stratégie adoptée par un opérateur dominant :

  • l’adoption de comportements trompeurs en termes de frugalité, même de manière involontaire, ce qui serait le cas notamment si l’empreinte environnementale mise en avant ne reposait pas sur une méthodologie robuste en termes scientifiques ;
  • le fait de ne pas communiquer sur l’empreinte environnementale ou la frugalité, alors même qu’il existe une demande pour cette information ;
  • le fait de limiter l’innovation en matière de frugalité.

La standardisation en cours relative à l’empreinte environnementale

Compte tenu de l’importance de l’impact environnemental de l’IA, il devient important d’accroître la transparence à ce sujet afin de renforcer notamment la comparabilité. Ce besoin résulte plus précisément encore de la conjonction de trois constats :

  • les entreprises qui modélisent ou utilisent des solutions fondées sur l’IA communiquent peu sur l’impact environnemental de ces dernières ;
  • il n’existe pas de méthodologie partagée permettant aux acteurs de communiquer sur cet impact ;
  • les mesures entreprises jusqu’à présent sont difficilement comparables, notamment compte tenu de la différence de périmètre qu’elles retiennent.

En matière de normalisation tout d’abord, plusieurs outils ont été récemment développés ou sont en cours de développement. Ainsi, par exemple, l’Arcep et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ont co-publié un référentiel général d’écoconception des services numériques qui présente des développements pour accompagner l’écoconception de solutions fondées sur l’IA, tandis qu’un référentiel général pour l’IA frugale a été développé à l’initiative du ministère chargé de la transition écologique et porté par l’Association française de normalisation (Afnor). Ces différents outils permettent d’accompagner les entreprises mais doivent aussi être vus comme la préfiguration d’une normalisation, en particulier à l’échelle européenne et internationale.

En parallèle, l’Autorité observe le développement de plus en plus d’outils se focalisant sur la mesure de l’empreinte environnementale :

  • certains outils se concentrent sur la mesure de l’empreinte énergétique et de l’empreinte carbone (par exemple, Green Algorithms) ;
  • d’autres proposent une analyse du cycle de vie complète (par exemple l’outil déployé par Carbone 4 pour Mistral) ;
  • il existe également des outils destinés à aider à la conception de solutions d’IA frugales (par exemple, CodeCarbon ou CarbonTracker) ;
  • enfin, plusieurs outils proposent une analyse de l’impact de solutions déployées (Ecologits ou Ecoindex par exemple).

Certains acteurs proposent d’aller plus loin en promouvant la mise en place d’une notation environnementale, ou d’un score, qui permettrait de comparer les différents modèles sur la base de leur impact environnemental.

D’un point de vue concurrentiel, l’ensemble de ces initiatives peut être appréhendé comme une standardisation qui poursuit un objectif de durabilité en soutenant, par un renforcement de la transparence et la comparabilité, le rôle de la frugalité en tant que paramètre de concurrence.

Cependant, plusieurs problématiques concurrentielles peuvent émerger dans le cadre de ces standardisations. À titre non exhaustif, l’Autorité relève que peuvent être problématiques, s’il s’agit d’un comportement coordonné entre concurrents ou d’une stratégie adoptée par un opérateur dominant :

  • l’adoption d’outils de standardisation qui ne s’appuieraient pas sur une méthodologie robuste en termes scientifiques. Afin de limiter les risques en termes concurrentiels, l’Autorité rappelle que garantir la représentativité dans l’élaboration de l’outil et la transparence au profit de ses utilisateurs, comme exiger le recours à la tierce vérification, sont des éléments pertinents ;
  • l’adoption d’une standardisation dans des conditions privant certains acteurs de son bénéfice ou empêchant l’expression de la frugalité comme paramètre de concurrence ;
  • l’adoption de comportements empêchant la standardisation, comme par exemple des stratégies visant à ne pas communiquer les informations indispensables à l’élaboration et la mise en œuvre du standard ou encore par des stratégies visant à ralentir ou entraver son processus d’élaboration ;
  • l’échange entre concurrents portant sur des informations commercialement sensibles, y compris lorsqu’elles sont de nature environnementale, dès lors que ces échanges ne seraient pas objectivement nécessaires et strictement proportionnés à la standardisation ;
  • en cas de pluralité de standards, concurrents entre eux, les échanges d’informations entre concepteurs de standards, comme l’alignement de leurs stratégies et productions, dès lors que ceux-ci ne seraient pas objectivement nécessaires et strictement limités à un objectif légitime alors poursuivi ;
  • dans leur mise en œuvre, l’adoption de comportements décourageant les acteurs à aller plus loin que ce que propose la standardisation.

La présente étude souligne que les enjeux concurrentiels liés à l’impact énergétique et environnemental de l’IA sont, à titre principal, de trois ordres. Ils tiennent à l’accès à l’énergie, à l’émergence de la frugalité comme paramètre de concurrence et au développement d’outils dits de standardisation de la mesure de l’empreinte environnementale.

La présente étude vise à contribuer au débat sur ces enjeux en formulant plusieurs points de vigilance, notamment :

  • la nécessité de disposer de données fiables sur l’impact énergétique et environnemental. Une telle transparence, y compris obtenue par le biais de la mise en place de standards, permettrait en outre que la frugalité puisse pleinement jouer son rôle de paramètre de concurrence ;
  • la nécessité de s’assurer que l’accès aux zones adaptées à l’implantation de centres de données et à l’énergie, en particulier à l’électricité d’origine nucléaire à un prix attractif, ne soit pas de facto réservé aux seuls grands acteurs.

L’Autorité invite l’ensemble des parties prenantes à se saisir de la présente étude et leur rappelle la possibilité de se rapprocher de l’Autorité s’ils suspectent l’existence de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur, via une saisine de l’Autorité ou en utilisant la plateforme de signalement dédiée, mais également de solliciter, le cas échéant, des orientations informelles quant à la compatibilité de leurs projets poursuivant des objectifs de durabilité avec les règles de concurrence.

Support de présentation

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Contact(s)

Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
Coralie Anadon
Coralie Anadon
Adjointe à la Directrice du service communication
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