L’Autorité de la concurrence sanctionne Apple à hauteur de 1,1 milliard d’euros pour s’être rendue coupable d’ententes au sein de son réseau de distribution et d’abus de dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs indépendants « premium ».

Les deux grossistes, Tech Data et Ingram Micro, ont également été sanctionnés, respectivement à hauteur de 76,1 millions et 62,9 millions d’euros au titre de l’une des pratiques d’entente.

L'essentiel

Saisie en 2012 par eBizcuss, distributeur de produits Apple spécialisé haut de gamme (dit APR pour Apple Premium Reseller), l’Autorité de la concurrence a sanctionné Apple à hauteur de 1,1 milliard d’euros, ainsi que les grossistes Tech Data et Ingram Micro à hauteur de 76,1 millions d’euros et 62,9 millions respectivement. Cette décision de sanction fait suite à des opérations de visite et saisie réalisées aux sièges d’Apple et de ses grossistes et dont le contentieux a pris fin en décembre 2017.

Au total, les sanctions s’élèvent  à 1,24 milliard d’euros et se décomposent de la manière suivante :

Apple : 1 101 969 952 €

Tech Data : 76 107 989 €

Ingram Micro : 62 972 668 €

TOTAL  : 1 241 050 609 €

Isabelle de Silva, Présidente de l’Autorité de la concurrence a déclaré : «L’Autorité a décrypté, à l’occasion de cette affaire, les pratiques très particulières qui avaient été mises en oeuvre par Apple pour la distribution de ses produits en France (hors Iphones), tels que l’Ipad. En premier lieu, Apple et ses deux grossistes se sont entendus pour ne pas se faire concurrence et  empêcher les distributeurs de faire jouer la concurrence entre eux, stérilisant ainsi le marché de gros des produits Apple.  En deuxième lieu, les distributeurs dits Premium ne pouvaient sans risque pratiquer des promotions ou baisses de prix, ce qui a conduit à un alignement des prix de détail entre les distributeurs intégrés d’Apple et les distributeurs Premium indépendants. Enfin, Apple a exploité abusivement la dépendance économique de ces distributeurs Premium à son égard,  en les soumettant à des conditions commerciales inéquitables et défavorables par rapport à son réseau de distributeurs intégrés. Au regard du fort  impact de ces pratiques sur la concurrence dans la distribution des produits Apple via les Apple premium resellers, l’Autorité inflige la sanction la plus élevée jamais prononcée dans une affaire (1,24 milliard d’euros). C’est également la plus lourde sanction prononcée à l’encontre d’un acteur économique, en l’espèce Apple (1,1 milliard d’euros), dont la dimension extraordinaire a été dûment prise en compte. Enfin, l’Autorité a estimé, qu’en l’espèce, Apple avait commis un abus de dépendance économique, à l’égard de ses détaillants premium, pratique que l’Autorité considère comme particulièrement grave ».

Il est reproché à Apple d’avoir mis en œuvre, en France, au sein de son réseau de distribution de produits électroniques (hors iPhone), trois pratiques anticoncurrentielles :

  • Une répartition de produits et de clientèle entre ses deux grossistes Tech Data et Ingram Micro

Les deux grossistes concernés ont également été sanctionnés à hauteur de 139 millions d’euros pour avoir accepté et mis en œuvre les mécanismes d’allocation de produits et de clientèle élaborés et pilotés par Apple, au lieu de déterminer librement leur politique commerciale (voir le détail des sanctions dans le tableau récapitulatif ci-dessous).

      > Ces pratiques ont en quelque sorte « stérilisé » le marché de gros des produits Apple, en gelant les parts de marché et en empêchant la concurrence entre les différents canaux de distribution de la marque Apple.
 

  • Des prix de vente imposés aux détaillants revendeurs premium (APR) afin qu’ils appliquent les mêmes prix que ceux pratiqués par Apple elle-même, dans les Apple Store et sur son site Internet.

    > Cette pratique a entraîné, pour les consommateurs finaux, un alignement des prix de vente des produits Apple sur près de la moitié du marché de détail des produits Apple.
 

  • Un abus de dépendance économique vis-à-vis des revendeurs premium (pour la plupart des PME), qui s’est notamment manifesté par des difficultés d’approvisionnement, des traitements discriminatoires, une instabilité des conditions de rémunération de leur activité (remises et encours). Ces pratiques consistaient, dans un contexte où les marges des distributeurs étaient extrêmement réduites, à maintenir les distributeurs dans une extrême dépendance quant à la réception des produits, notamment les plus demandés (nouveaux produits). L’Autorité a ainsi constaté que, lors du lancement de nouveaux produits, les APR se sont trouvés privés de stocks de sorte qu’ils n’ont pu répondre aux commandes qui leur étaient faites, tandis que le réseau des Apple Stores et des retailers était régulièrement approvisionné. Il en a résulté pour eux une perte de clients, y compris les clients habituels. Ils ont même parfois été contraints, pour répondre à une commande, de s’approvisionner eux-mêmes auprès des autres canaux de distribution, en commandant par exemple eux-mêmes directement auprès d’un Apple Store comme l’aurait fait un client final afin de fournir leurs clients.
     

        > Ces pratiques ont abouti à l’affaiblissement, et dans certains cas, à l’éviction de certains d’entre eux,     comme eBizcuss.


Si un fabricant est libre d’organiser son système de distribution comme il l’entend, de délimiter des canaux différents de vente, de choisir des grossistes pour approvisionner certains détaillants et de se réserver l’approvisionnement en direct d’autres détaillants, il doit respecter le droit de la concurrence, dès lors que les acteurs du réseau de distribution sont indépendants et ne font pas partie du groupe. Il est en particulier interdit, pour un fabricant tête de réseau, de porter atteinte à la concurrence que doivent se livrer ses grossistes en leur pré-attribuant des clients, de s’entendre avec ses distributeurs sur les prix de détail pratiqués à l’égard des consommateurs finals ou encore d’abuser de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent ses partenaires commerciaux, notamment en les désavantageant par rapport à son propre réseau de distribution interne.

L’organisation du réseau français de distribution des produits Apple

Le marché amont

En amont, Apple vend ses produits à deux grossistes agréés, qui sont les leaders mondiaux du commerce de gros de produits électroniques : Ingram Micro et Tech Data.

Le marché aval 

En aval, la distribution des produits Apple s’effectue par le biais d’un réseau d’environ 2000 revendeurs, que l’on peut classer en deux grandes catégories, en fonction de leur taille ou de leur activité.

  • Les grands distributeurs généralistes ou spécialisés (« Retailers » selon la terminologie d’Apple)

Apple approvisionne, généralement en direct, les grands distributeurs. Il peut s’agir d’acteurs généralistes (Auchan, Casino, Carrefour, E. Leclerc, etc.) ou bien d’acteurs spécialisés, tels que la Fnac, Darty, Boulanger. En 2017, Apple comptait 1800 distributeurs qu’elle identifiait comme « Retailers » en France.

  • Les revendeurs spécialisés (« Resellers » selon la terminologie d’Apple)

Les Resellers sont des revendeurs informatiques de taille plus modeste, avec généralement un nombre limité de points de vente. Ces PME, généralement installées en centre-ville, distribuent des équipements électroniques tels que des ordinateurs, tablettes, écrans, imprimantes, scanners, disques durs, des accessoires et des logiciels ; ils fournissent également des services associés à la vente de ces produits, tels qu’intégration, maintenance, réparation, etc.

La plupart des « Resellers » sont agréés par Apple. On distingue parmi eux :

  • Les « Apple Authorized Reseller » (AAR), qui ont souscrit  un contrat de distribution « standard » avec Apple.
     
  • Les « Apple Premium Reseller » (ou « APR »), qui accèdent au réseau Premium en considération de plusieurs éléments : ils se sont spécialisés dans la distribution des produits Apple et ils acceptent d’adhérer à un programme optionnel destiné à promouvoir un environnement de vente et à offrir une expérience client de très haute qualité aux consommateurs. On peut citer par exemple eBizcuss (Paris, Lyon)1, ActiMac (Le Havre, Rouen), YouCast2 (Chambéry, Montélimar, Grenoble), IConcept (Pau, Bordeaux, Toulouse, Bayonne), iSwitch (Amiens), Symbiose Informatique (Angers, Lorient, St-Brieuc), Corsidev (Bastia), Alis Informatique (Paris), Easy Computer (Épinal, Vandoeuvre, Nancy et Metz ), etc.


Le réseau en propre d’Apple (les Apple Stores et le site internet Apple)

Fin 2009, Apple a décidé, dans les zones de chalandise les plus importantes, de créer ses propres magasins physiques de vente au détail, détenus en propre, les Apple Retail Stores (ARS). Apple vend aussi ses produits en direct en ligne aux consommateurs finals par l’intermédiaire de son site Internet (AOS soit Apple Online Store).

Système de distribution d'Apple en France

Les trois pratiques sanctionnées

  1. La restriction de clientèle des grossistes

L’Autorité a constaté que, de 2005 à mars 2013, Apple avait procédé à des répartitions de produits et de clientèles entre ses deux grossistes, Tech Data et Ingram Micro. Alors que ces deux grossistes étaient des entreprises indépendantes.

Apple procédait à une  allocation fine de la distribution de ses produits, en précisant aux deux grossistes les quantités exactes des différents produits devant être livrées à chaque revendeur. Les revendeurs APR ont ainsi pu être freinés dans leur activité commerciale, étant totalement dépendants des stocks décidés par Apple, tant au niveau des grossistes qu’à leur niveau.

Si un fournisseur est libre d’organiser son réseau de distribution en distinguant plusieurs canaux et en recourant à des grossistes pour démarcher certains détaillants, tout en assurant lui‑même l’approvisionnement direct d’autres détaillants, c’est sous réserve que cette répartition des tâches n’occasionne pas de pratique anticoncurrentielle. En tant qu’opérateurs économiques autonomes sur le marché, les grossistes auraient dû avoir la possibilité de déterminer librement leur politique commerciale,  et notamment, de déterminer librement les produits qu’ils souhaitaient distribuer, puis la manière dont ils allaient livrer leurs clients détaillants, sans l’interférence d’Apple.

En l’espèce, Apple a restreint la liberté commerciale de ses grossistes, en les cantonnant à l’exécution des allocations de produits décidées par elle. Ces derniers ont acquiescé à cette politique en mettant en œuvre les allocations décidées par Apple. La restriction de la concurrence qui en a résulté est d’autant plus problématique que ceux‑ci se trouvent être en concurrence directe avec Apple elle-même pour l’approvisionnement d’un certain nombre de revendeurs premium, dits APR « directs » (revendeurs réalisant un chiffre d’affaires élevé en produits Apple et qui ont de ce fait la possibilité de choisir de se fournir directement auprès d’Apple ou bien auprès des grossistes).

Ce dispositif a donc abouti à fausser la concurrence sur le marché de gros en contrôlant totalement les ventes réalisées par les grossistes et en permettant à Apple d’avantager son propre canal de distribution, en contrôlant la façon dont sont alimentés en produits d’une part, les revendeurs directs et, d’autre part, les revendeurs dits « indirects » (c’est-à-dire ceux qui s’alimentent exclusivement auprès des grossistes).

Ainsi, la concurrence qui aurait dû en principe pouvoir exister en France pour la vente de produits de marque Apple entre les différents canaux de distribution – ce que l’on appelle la concurrence « intramarque » - n’a pu s’exercer pleinement sur le marché de gros. La pratique d’entente a aussi conduit à annihiler la concurrence entre les deux grossistes eux-mêmes, ainsi qu’entre les grossistes et Apple. Elle a aussi limité la concurrence entre les détaillants finaux en les empêchant de faire jouer la concurrence qui aurait dû exister, en amont, entre les grossistes.

2. La pratique de prix imposés

L’Autorité a également sanctionné Apple pour avoir fortement incité les revendeurs APR à pratiquer les même prix que ceux pratiqués dans les Apple Stores. Outre la communication des prix, le contrôle des promotions et la surveillance des prix pratiqués, les éléments au dossier montrent qu’Apple a élaboré un écheveau de clauses contractuelles et mis en œuvre un ensemble de comportements qui n’ont laissé aucune  marge de manœuvre aux APR.

En premier lieu, Apple diffusait les prix de ses Apple Retail Stores (présentés comme des prix  « conseillés »), sur de nombreux supports, et notamment, sur son site Internet, accessibles aux consommateurs finals.

En deuxième lieu, plusieurs clauses contractuelles très contraignantes relatives à l’usage de la marque dans les supports de communication et marketing encadraient de manière très stricte les conditions dans lesquelles les APR pouvaient organiser une opération promotionnelle. Ces stipulations, qui obligeaient en  particulier les APR à recourir à des supports et des matériels imposés par Apple lorsqu’ils souhaitaient mettre en œuvre des promotions, étaient de nature à brider toute initiative en la matière, et ce d’autant plus que leur non-respect constituait un motif de rupture immédiate et sans préavis du contrat d’APR.  En pratique, les APR ne pratiquaient que peu de promotions, et toujours sous le contrôle d’Apple.

En troisième lieu, un système de surveillance des prix faisait également peser un risque de représailles -sous la forme notamment de défaut de livraison - en cas de promotions non autorisées par Apple.

Ainsi, par exemple, l’APR Youcast a indiqué « Si nous appliquions des remises trop systématiques et si le commercial de notre secteur le savait, nos concurrents pouvaient être privilégiés dans leurs livraisons ».

Ou encore, eBizcuss : « Nous constatons qu’Apple réalise une police des prix au consommateur. En cas de pratique de prix inférieurs à celui des prix publics Apple, nous sommes contactés par les Apple Sales Local Représentatives pour nous demander de remonter les prix ».


Enfin, l’instruction a mis en évidence qu’Apple - qui disposait d’une connaissance approfondie de la situation des APR et maîtrisait leur approvisionnement ainsi que l’octroi des remises auxquelles ils pouvaient prétendre - était en mesure de contrôler leur profitabilité. Ce manque d’espace économique et cette situation d’incertitude ont également fortement contribué à dissuader les APR de dévier des prix « conseillés » par Apple.

A cet égard, on peut citer le témoignage de Corsidev, qui a indiqué : « Aucune marge de manœuvre n’est réellement possible. Ils ne nous empêcheraient pas de baisser les prix mais les marges sont si faibles que ce serait suicidaire de le faire ».

Ou encore celui d’Informatique et Prévention, qui a déclaré: « Pour les produits Apple, notre référentiel de prix est la matrice des produits Apple avec la liste de prix associés : libre à nous d’appliquer en fonction du contexte concurrentiel une remise, c’est tout de même compliqué et dangereux de remiser nos ventes compte tenu de la faiblesse de notre marge ».

 

La distribution de détail des produits Apple en France emprunte aujourd’hui deux canaux distincts : d’une part, les magasins « intégrés » détenus en propre par Apple (Apple Store et Internet) et d’autre part, quelques 2000 revendeurs indépendants (qui se fournissent via les grossistes ou directement auprès d’Apple). Ces revendeurs sont des acteurs économiques autonomes et doivent par conséquent pouvoir déterminer librement leur politique commerciale (choix des produits et des quantités commandés, choix du fournisseur, prix pratiqués, promotions, etc.).

Fortement contraints, les APR ont reconnu pratiquer les prix « conseillés » par Apple, ce que corroborent par ailleurs les relevés de prix versés au dossier. Cette pratique a par conséquent abouti à un parfait alignement des prix de vente aux consommateurs finals, pour ce qui concerne près de la moitié du marché de détail des produits Apple (hors iPhone).

En restreignant la liberté tarifaire des APR, Apple a été en mesure de limiter non seulement la concurrence qui peut s’exercer entre les APR eux‑mêmes mais également la concurrence entre ces derniers et ses propres canaux de distribution (physiques), lorsqu’ils étaient présents dans la même zone géographique, ou en ligne (Apple Online Store). Cette pratique a enfin nui aux consommateurs qui ont été privé d’une réelle concurrence sur les prix dans l’ensemble des canaux de distribution des produits Apple.

3. L’abus de dépendance économique

Les éléments au dossier mettent en évidence le fait que les APR se trouvaient dans une situation de dépendance économique par rapport à Apple et que cette dernière en a abusé. Cette situation, rarement observée dans la pratique décisionnelle du Conseil, puis de l’Autorité de la concurrence3, résulte d’un enchevêtrement complexe de multiples clauses contractuelles et de pratiques.

La situation de dépendance économique des APR vis-à-vis d’Apple

L’Autorité a relevé que les contrats des APR leur imposaient la vente quasi exclusive des produits Apple et leur interdisaient, pendant leur durée, et jusqu’à six mois après leur terme, d’ouvrir tout magasin spécialisé dans la vente exclusive d’une marque concurrente sur tout le territoire européen. Par ailleurs, l’absence d’alternative à la distribution des produits Apple a été mise en évidence par les déclarations des APR : tous ont souligné que leur clientèle était fortement attachée à la marque Apple et que la sortie de l’univers Apple se traduirait, pour eux, par la perte totale de valeur de leur fonds de commerce, par des investissements irrécupérables ainsi que par des coûts de réaménagement des magasins et de formation du personnel importants, impossibles à réaliser à court terme pour des opérateurs se trouvant dans des situations déjà fragiles.

L’abus

L’article L. 420 2, alinéa 2 du code de commerce, prohibe, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur.  

En l’espèce, l’Autorité a identifié un ensemble de règles et de comportements mis en œuvre par Apple qui, pris ensemble, constituent un abus en restreignant de manière anormale et excessive la liberté commerciale des APR. Ces différents éléments ont impacté directement l’activité des APR au-delà de ce qu’un acteur économique peut raisonnablement attendre d’un partenaire commercial et ont instauré un déséquilibre dans leurs relations avec Apple.

Les comportements constatés ont notamment consisté en des difficultés d’approvisionnement, des traitements discriminatoires, l’instabilité des conditions de rémunération de l’activité des APR (remises et encours), et la mise en œuvre discrétionnaire de certaines règles.

  • Les retards ou absences d’approvisionnement, résultant du système d’allocations mis en place par Apple et le désavantage subi par les APR par rapport aux Apple Stores et au site de vente en ligne d’Apple, toujours alimentés, pour leur part, en temps et en heure, en produits Apple.

La plupart des revendeurs APR ont déclaré rencontrer régulièrement des problèmes de livraison, particulièrement lors du lancement de nouveaux produits ou en période de fin d’année. Ils ont été confrontés à des restrictions d’approvisionnement, du fait de la politique d’allocation des clients mise en œuvre par Apple, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses grossistes. Certaines références se sont avérées totalement indisponibles pour les APR.

 

Par ailleurs, lors du lancement de nouveaux produits, les APR se sont souvent trouvés privés de stocks de sorte qu’ils n’ont pu répondre aux commandes qui leur étaient faites tandis que le réseau des Apple Stores et les « Retailers » étaient pour leur part régulièrement approvisionnés.

 

L’Autorité a démontré que ces retards ou refus d’approvisionnement n’ont pas été la conséquence de ruptures de stocks, puisque ces derniers étaient disponibles dans les « Apple Stores », sur l’« Apple Online Store » et chez les « Retailers ».

 

Ce traitement discriminatoire des APR était d’autant plus grave compte tenu de leur situation particulière à l’égard du fabricant. En effet, les APR, d’une part, sont des opérateurs indépendants commercialement, contrairement aux « Apple Stores », et doivent acheter la marchandise pour pouvoir exercer leur activité de distribution. D’autre part, ils sont contraints de s’approvisionner en produits Apple (qui doivent représenter 70 % de leurs ventes pour pouvoir conserver le statut de revendeur APR) et sont placés sous sa dépendance économique, contrairement aux «  Retailers  », qui exercent une activité de distribution généraliste et ne sont pas dans une position de dépendance par rapport à Apple.

 

  • L’incertitude sur les conditions commerciales, compte tenu de la politique de remises et d’encours mise en œuvre par Apple

Maintenus dans l’incertitude sur le volume de leur approvisionnement, les APR l’étaient également sur les conditions des remises pratiquées par Apple. En effet, le système de remises consenties aux APR présentait un caractère discrétionnaire, de sorte qu’il était source d’incertitudes s’agissant du montant des remises versé aux APR, qui s’ajoutaient à l’incertitude sur leurs livraisons. Compte tenu du poids important et croissant des remises dans la profitabilité des APR et dans leur capacité à dégager une marge positive, l’imprévisibilité du système des remises, découlant des clauses contractuelles et de leurs conditions de mise en œuvre, est constitutive d’un abus de dépendance économique.

A titre illustratif, parmi les nombreux témoignages des APR, on peut citer celui d’Acti Mac qui a déclaré : « Étant régulièrement alimentés de manière minimaliste, nous ne pouvons nous engager à livrer nos clients qui, de guerre lasse, finissent par ne même plus nous solliciter en commandant soit sur le Store, soit en allant dans l’ARS [Apple Store]le plus proche ». 

Un APR a également relevé : « Nous ne savons jamais quand un nouveau produit va être lancé, en général il y a des rumeurs (…). En dehors des iPad et iPhone, les lancements de produits ne sont pas annoncés. Pour les autres produits il n’y a pas d’annonce, nous sommes en général informés par la presse, ou nous pouvons déduire qu’il va y avoir une annonce produit lorsque certains APPLE STORE vont annoncer un lancement de nouveau produit (…). Pour les iPad nous n’avons pas le droit de communiquer autour du lancement ».

La situation particulière de la société eBizcuss vient démontrer l’impact concret et effectif de l’abus de dépendance de la société Apple. Dans l’impossibilité de recevoir les produits Apple nécessaires pour satisfaire la demande de ses propres clients ou  pouvoir concurrencer les Apple Stores par les prix ou par le niveau de services, les magasins d’eBizcuss situés à Paris ou à Lyon ont été placés dans une position commerciale désavantageuse par rapport aux Apple Stores, ce qui a entraîné une baisse du chiffre d’affaires de ces magasins de l’ordre de 15 % .

Le président de l’association des APR s’est, également plaint d’une véritable « stratégie d’éviction de la part d’Apple » à l’encontre des APR, de même que la société Alis Informatique qui évoque une « chronique d’une mort planifiée ». La société You Cast impute ses difficultés financières et sa procédure de liquidation, notamment à ses « soucis de décalage de trésorerie liés à des problèmes de livraison des produits Apple ».

Lorsqu’un fabricant maintient ses distributeurs dans une situation de dépendance à son égard, il doit veiller à ne pas en abuser, c’est-à-dire à ne pas limiter leur liberté commerciale au‑delà des limites tolérables et à ne pas les désavantager par rapport à son propre réseau de distribution interne.

Apple a profité, avec les APR, d’un réseau dont les obligations mises à la charge des distributeurs s’apparentaient à celles de franchisés, sans être elle‑même soumise aux obligations d’un franchiseur, les privant ainsi des contreparties attachées à cette forme de distribution. La mise en place de ce réseau l’a dispensée de développer des magasins en propre dans toute la France, ce qui lui a permis de concentrer l’implantation des Apple Stores dans les zones les plus rentables. Soumis à des conditions de sujétion comparables à celles d’un opérateur intégré, tout en ayant à assumer  les risques commerciaux et financiers d’une entreprise indépendante, les APR ont permis à Apple de distribuer ses produits sur tout le territoire, sans qu’elle ait à investir dans des magasins en propre et sans que ses ventes directes (en ligne et en magasin) n’en subissent la concurrence.

Ces pratiques ont abouti à l’affaiblissement et, dans un certain nombre de cas, à l’éviction de certains APR, comme eBizcuss.

1eBizcuss a exercé une activité d’APR en France de 2008 à 2012 puis s’est retiré du marché français. Il est encore actif en Belgique (Mac Line).

2You Cast a été repris en partie par Ephésus.

3Décisions sanctionnant un abus de dépendance économique : 96-D-44 du 18 juin 1996 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la publicité, 04-D-26 du 30 juin 2004 relative à la saisine de la SARL Reims Bio à l’encontre de pratiques mises en œuvre par le groupement d’intérêt public Champagne Ardenne, 04-D-44 du 15 septembre 2004 relative à une saisine présentée par le Ciné-Théâtre du Lamentin dans le secteur de la distribution et de l’exploitation de films.

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