Rachat de Conforama par le groupe But : l’Autorité identifie des risques concurrentiels mais autorise l’opération sans engagement en application de l’exception de l’entreprise défaillante
L’essentiel
En juillet 2020, l’Autorité a autorisé Mobilux (société mère du groupe But) à acquérir Conforama sans attendre son examen au titre du contrôle des concentrations. Au terme de son analyse, l’Autorité a considéré que l’opération entraînerait trois grandes catégories de risques d’atteinte à la concurrence, dont Mobilux n’a par ailleurs pas été en mesure de démontrer qu’ils pourraient être contrebalancés par des gains d’efficience.
En dépit de ces risques, l’Autorité a autorisé l’opération sans engagement, en application de l’exception de l’entreprise défaillante. L’exception de l’entreprise défaillante consiste à autoriser sans condition la reprise par un concurrent d’une entreprise qui disparaîtrait à brève échéance si l’opération n’était pas réalisée, et ce même si l’opération porte atteinte à la concurrence.
Cette faculté particulière a été très peu utilisée en Europe. Depuis qu’elle a reçu en 2009 la compétence de contrôler les concentrations, l’Autorité n’en avait jamais fait application compte tenu du caractère très strict des critères d’appréciation.
L’opération et les parties
Mobilux est la société mère du groupe But, actif dans la distribution au détail de produits d'ameublement, de produits électrodomestiques et de décoration et bazar, en France métropolitaine et dans les départements et régions d'outre-mer (ci-après « DROM »), à travers un réseau de 322 magasins sous enseigne BUT exploités en propre ou sous franchise.
Conforama est, elle aussi, active dans la distribution au détail de produits d'ameublement, de produits électrodomestiques et de décoration et bazar, en France métropolitaine et dans les DROM. Elle dispose d’un réseau de 170 points de vente exploités en propre ou sous franchise.
Le groupe Mobilux a prénotifié à la Commission européenne son projet d’acquisition de l’activité de Conforama en France en 2020. À la suite d’une demande de Mobilux, la Commission a renvoyé à l’Autorité l’examen de cette opération le 26 juin 2020 (voir le communiqué de presse) Cette opération a été formellement notifiée à l’Autorité le 17 juillet 2020.
Compte tenu de graves difficultés financières rencontrées par le groupe Conforama, l’Autorité a octroyé à Mobilux le 23 juillet 2020, une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations, lui permettant de procéder à la réalisation effective de l’acquisition sans attendre le résultat de l’examen de sa demande d’autorisation de notification.
Les risques concurrentiels identifiés
Au terme de son analyse, l’Autorité a considéré que l’opération entraînerait trois grandes catégories de risques d’atteinte à la concurrence. Mobilux n’a par ailleurs pas été en mesure de démontrer que ces effets négatifs pouvaient être compensés par des gains d’efficience.
Le risque de création ou de renforcement d’une puissance d’achat de nature à placer les fournisseurs de produits de literie en état de dépendance économique
À l’issue de l’opération, la nouvelle entité représentera près de 50 % du marché de la distribution de produits de literie en France. Par ailleurs, plus de la moitié des fournisseurs communs de literie des parties réaliseront une part substantielle de leur chiffre d’affaires avec la nouvelle entité. Or, sur un marché de dimension nationale, les alternatives à la nouvelle entité sont très limitées. De plus, les autres acheteurs ont des volumes très réduits par rapport à ceux des parties.
Le risque d’une dégradation des conditions contractuelles des franchisés présents dans les DROM
But et Conforama sont les deux principaux groupes qui proposent des franchises dans le secteur des produits d’ameublement dans les DROM. Par conséquent, l’opération entraîne la disparition d’une alternative pour les franchisés qui se retrouveraient principalement face à un seul groupe franchiseur actif dans le secteur de l’ameublement à l’issue de l’opération. L’Autorité a ainsi considéré qu’il existait un risque de dégradation des conditions contractuelles des franchisés dans les DROM, avec par exemple, un risque d’augmentation de la redevance due au titre du contrat de franchise.
Les risques liés aux chevauchements d’activité sur les différents marchés aval de la distribution au détail de produits d’ameublement
À l’occasion de l’examen de cette opération, l’Autorité a sensiblement fait évoluer sa pratique décisionnelle concernant la distribution de produits d’ameublement. L’Autorité a ainsi considéré qu’il n’était plus pertinent de retenir un marché global de l’ameublement mais qu’il convenait de segmenter ce marché en six grandes familles de produits (meubles meublants, meubles rembourrés, literie, cuisines, meubles de salle de bain et dressing). L’Autorité a également considéré qu’il était pertinent d’opérer une segmentation selon la gamme de prix. Enfin, l’Autorité a considéré que les ventes en magasins physiques et en ligne de produits d’ameublement appartenaient à un même marché, dans la lignée de décisions antérieures comme celle de 2016 sur le rapprochement entre la Fnac et Darty.
Si l’opération ne fait pas apparaître de problèmes de concurrence s’agissant des meubles de cuisines, l’Autorité a considéré au terme de son analyse que l’opération entraînait des risques d’atteinte à la concurrence dans 4 zones de chalandise s’agissant des meubles rembourrés, 35 zones s’agissant des meubles meublants et 40 zones s’agissant des meubles de literie, soit en enlevant les doublons 56 zones.
L’application inédite de l’exception de l’entreprise défaillante
Au cours de l’instruction, et faisant valoir les importantes difficultés financières rencontrées par Conforama, la partie notifiante a invoqué l’exception de l’entreprise défaillante. L’exception de l’entreprise défaillante consiste à autoriser sans condition la reprise par un concurrent d’une entreprise qui disparaîtrait à brève échéance si l’opération n’était pas réalisée, même si l’opération porte atteinte à la concurrence.
Depuis qu’elle a reçu en 2009 la compétence de contrôler les concentrations, l’Autorité n’avait jamais fait application de cette faculté particulière, compte tenu du caractère très strict des critères d’appréciation.
Dans sa décision de 2004 sur le rapprochement entre Seb et Moulinex, le Conseil d’Etat a identifié trois critères cumulatifs qui doivent être remplis afin de considérer que l’exception de l’entreprise défaillante peut s’appliquer :
- critère 1 : les difficultés de l’entreprise cible entraîneraient sa disparition rapide en l'absence de reprise ;
- critère 2 : il n'existe pas d'autre offre de reprise que celle de la partie notifiante moins dommageable pour la concurrence, portant sur la totalité ou une partie substantielle de l'entreprise ;
- critère 3 : la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.
Compte tenu des importantes difficultés financières rencontrées par Conforama et de l’absence d’offre alternative à celle de Mobilux moins dommageable pour la concurrence, l‘Autorité a considéré que les deux premiers critères étaient remplis.
Afin de vérifier que le troisième critère était rempli, l’Autorité s’est d’abord assurée que les actifs de la cible auraient inéluctablement disparu (critère 1). Elle a ensuite mené une large consultation auprès de l’ensemble des acteurs du marché. Cette consultation a permis de confirmer l’absence de manifestation d’intérêt émanant d’opérateurs actifs sur les marchés identifiés comme problématiques, c’est-à-dire les meubles meublants, rembourrés et de literie (critère 2). L’Autorité a enfin comparé les effets d’une disparition des actifs de la cible à ceux d’une reprise par Mobilux s’agissant de chacun des risques concurrentiels identifiés. Elle a considéré que les effets de cette disparition ne seraient pas moins dommageables que la reprise par But, cette reprise permettant d’assurer un maintien de la diversité de l’offre. L’Autorité a donc considéré que le troisième critère était rempli.
Par conséquent, en dépit des risques concurrentiels identifiés, l’Autorité autorise l’opération sans engagement, en application de l’exception de l’entreprise défaillante.