Pratiques de non-débauchage : l’Autorité de la concurrence sanctionne quatre entreprises actives dans les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques

L'essentiel
L’Autorité de la concurrence sanctionne deux ententes distinctes entre Ausy (devenu Randstad Digital) et Alten d’une part, et Expleo et Bertrandt d’autre part, pour avoir mis en place des accords généraux de non-débauchage. Ces pratiques ont pris la forme de gentlemen’s agreements visant à s’interdire mutuellement de solliciter et d’embaucher leur personnel respectif, paramètre de concurrence essentiel sur les marchés du travail sur lesquels sont actives les entreprises mises en cause.
Ces pratiques ont été révélées à l’Autorité par une demande de clémence présentée en avril 2018 par Ausy et par la réalisation d’opérations de visite et de saisie en novembre 2018.
Pour les deux griefs retenus, l’Autorité prononce à l’encontre d’Alten, Expleo et Bertrandt une sanction globale de 29,5 millions d’euros. Ausy bénéficie d’une exonération totale de sanctions en raison de son statut de demandeur de clémence.
En outre, l’Autorité a imposé aux parties de publier un résumé de la présente décision sur le réseau social LinkedIn, ainsi que dans une édition électronique et papier du journal Le Monde Informatique.
Les ressources humaines, un paramètre de concurrence clé dans les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques
Les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques se caractérisent par l’importance stratégique des ressources humaines, au cœur des prestations offertes par les entreprises actives dans ces secteurs.
Ces secteurs se caractérisent en outre par des mouvements importants de personnel, qui peuvent perturber le fonctionnement des entreprises et la réalisation des missions confiées par les clients à ces prestataires.
La mise en place de gentlemen’s agreements
Dans ce contexte, les sociétés sanctionnées ont mis en place des accords de non-débauchage prenant la forme de gentlemen’s agreements de portée générale sans limitation de durée.
- L’accord entre Ausy et Alten
L’entente entre Alten et Ausy visait à s’interdire mutuellement le débauchage (sollicitation directe de l’entreprise concurrente) et l’embauche (candidature spontanée) de personnels dits business managers et à se concerter lorsque des mouvements étaient en projet.
Cet accord généralisé, mis en œuvre entre 2007 et 2016, a été révélé à l’Autorité par le demandeur de clémence et corroboré par plusieurs éléments du dossier d’instruction qui font état de l’existence « d’un gentlemen’s agreement pour ne pas se chasser mutuellement les équipes managériales ».
Le champ d’application de cet accord n’était pas limité dans sa durée et s’appliquait à tous les business managers, indépendamment de la mission à laquelle ils étaient affectés et du client pour lequel ils intervenaient.
- L’accord entre Bertrandt et Expleo
L’accord de non-débauchage entre Bertrandt et Expleo, en vigueur entre février et septembre 2018, a également pris la forme d’un gentlemen’s agreement sur le non-débauchage de leur personnel respectif, et a porté également sur l’embauche en cas de candidatures spontanées.
Plusieurs éléments saisis lors des opérations de visite et saisie ont permis de mettre en évidence l’existence de cet accord, dont le fonctionnement a été régulièrement rappelé, les deux entreprises se contactant à plusieurs reprises afin de « repasser le message concernant le gentleman agreement » et ce, notamment, pour ne pas se livrer à une « guerre des embauches ».
- Non-lieu au titre de l’accord entre Ausy et Atos
L’Autorité a par ailleurs mis hors de cause les sociétés Atos et Ausy au titre d’un troisième grief notifié par les services d’instruction, faute d’éléments de preuve suffisant pour caractériser la mise en place d’un « pacte de non-agression » portant sur leurs ressources humaines.
Non-lieu concernant des clauses de non-sollicitation contenues dans des contrats de partenariat
Les services d’instruction de l’Autorité reprochaient également à Bertrandt et Expleo (grief n° 2) et Ausy et Atos (grief n° 3) une entente anticoncurrentielle sous la forme de clauses de non-sollicitation de personnel insérées dans des contrats de partenariat.
L’Autorité, compte tenu des éléments au dossier et après avoir analysé la teneur, le contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivaient ces clauses et les objectifs qu’elles poursuivaient, a considéré qu’elles ne pouvaient pas être qualifiées, en l’espèce, de restrictions ayant un objet anticoncurrentiel. L’Autorité a en outre estimé que les pièces au dossier ne lui permettaient pas d’établir que les pratiques avaient entraîné des effets anticoncurrentiels.
L’Autorité de la concurrence sanctionne des gentlemen’s agreements portant sur le non-débauchage et se prononce pour la première fois sur des clauses de non-sollicitation de personnel
Dans la présente décision, l’Autorité rappelle que des accords généraux de non-débauchage entre entreprises visant à s’interdire mutuellement de solliciter et d’embaucher leur personnel respectif sont des pratiques anticoncurrentielles par objet.
Si l’Autorité a déjà sanctionné de telles pratiques lorsqu’elles s’inséraient dans le cadre d’une entente plus globale[1], elle rappelle ici que, même prises isolément, ces pratiques demeurent des pratiques anticoncurrentielles, en particulier lorsqu’elles sont mises en œuvre dans le cadre d’accords généraux, dont le champ temporel et matériel est large et imprécis.
L’Autorité a par ailleurs mené une analyse circonstanciée des clauses de non-sollicitation contenues dans les contrats de partenariats. Si elle a considéré, au cas d’espèce, qu’elles ne pouvaient pas être qualifiées de restriction de concurrence, notamment au regard de leur champ temporel et matériel limité et des objectifs qu’elles poursuivaient, cette analyse ne préjuge toutefois pas de la possibilité que de telles clauses, compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, soient considérées comme anticoncurrentielles par objet dans de futurs dossiers.
[1] Décision n° 24-D-06 du 21 mai 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits préfabriqués en béton
L’Autorité prononce une sanction de 29 500 000 euros et enjoint aux entreprises mises en cause de publier un résumé de la présente décision sur le réseau social LinkedIn
L’Autorité rappelle que les pratiques d’ententes horizontales sont parmi les pratiques anticoncurrentielles les plus graves, qu’elles ont concerné des secteurs sur lesquels les ressources humaines sont un critère essentiel de concurrence et qu’elles ont en l’espèce affecté des travailleurs, dont les perspectives de mobilité et d’amélioration des conditions de travail et de vie ont pu être impactées.
Pour ces raisons, elle a estimé qu’il y avait lieu de prononcer des sanctions pécuniaires d’un montant total de 29,5 millions d’euros. Le demandeur de clémence Ausy/Randstad s’est vu accorder une exonération totale des sanctions encourues.
Entreprise | Sanction |
---|---|
Ausy/Randstad | 0€ (exonération totale de sanction) |
Alten SA | 24 000 000€ |
Bertrandt SAS | 3 600 000€ |
Expleo France | 1 900 000€ |
Total | 29 500 000€ |
En outre, l’Autorité enjoint aux entreprises de publier un résumé de la présente décision sur le réseau social LinkedIn ainsi que dans une édition électronique et papier du journal Le Monde Informatique.
Support de présentation
Décision 25-D-03 du 11 juin 2025
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