Transports

Mobilités : l’Autorité rend public son avis sur le fonctionnement concurrentiel du secteur des transports terrestres de personnes

Mobilités

L’essentiel

La diversité, l’efficacité et le coût des transports terrestres de voyageurs sont des enjeux essentiels pour le bon fonctionnement du système productif et du marché du travail français, pour l’accès des Français à l’éducation, à la formation et à la santé et pour la cohésion sociale et territoriale. En outre, l’effort français de réduction des émissions de gaz à effet de serre repose de manière critique sur le secteur des transports, principal émetteur de ces gaz.

Constatant que le secteur a fortement évolué ces dernières années, notamment sous l’impulsion de nouvelles législations européennes, et que les transports ferroviaires conventionnés s’apprêtent à s’ouvrir à la concurrence, l’Autorité de la concurrence avait annoncé le 19 décembre 2022 s’être autosaisie pour avis afin de se livrer à un exercice inédit d’avis-bilan.

La réflexion de l’Autorité s’est nourrie des résultats d’une consultation publique qui a été menée du 3 au 31 mars 2023 (36 contributions) ainsi que de ses échanges avec l’ensemble des acteurs du secteur : l’Autorité de régulation des transports (ART), les ministères concernés, plusieurs régions et métropoles, SNCF Réseau, SNCF Gares & Connexions, l’Association française du rail, ou encore la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). Son analyse s’est appuyée sur de nombreux rapports et documents publics, notamment ceux de l’ART, de la Cour des comptes, du Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), de l’Agence de la transition écologique (ADEME) et des ministères compétents.

L’Autorité rend aujourd’hui public son avis final.

Un bilan de ses recommandations passées et un diagnostic d’ensemble

Pour la première fois, l’Autorité s’intéresse de manière systématique à la mise en œuvre et aux effets de ses recommandations passées dans un secteur. Elle procède, par ailleurs, à une réactualisation de son analyse du paysage concurrentiel des secteurs concernés afin d’y intégrer deux dimensions supplémentaires - l’intermodalité et le développement durable - et de tenir compte des évolutions législatives et réglementaires.

Le document de 250 pages propose un diagnostic d’ensemble, selon le découpage suivant :

  • les marchés sur lesquels la concurrence s’exerce de manière permanente :
  • transports routiers interurbains librement organisés (« cars Macron »), transports ferroviaires librement organisés, transports publics particuliers de personnes (taxis et VTC) ;
  • les marchés sur lesquels la concurrence trouve à s’exercer lors des procédures d’appels d’offres : transports conventionnés urbains, routiers interurbains, et ferroviaires ;
  • les gares ferroviaires, routières et multimodales ;
  • la question de l’intermodalité.

Les nouvelles recommandations

Si l’Autorité adresse des recommandations spécifiques pour chaque marché, elle constate, de manière transversale, que la concurrence est non seulement un facteur de baisse des coûts, d’améliorationde la qualité et de la diversité de l’offre, mais joue aussi un rôle clé dans l’objectif de transition écologique du secteur. Que ce soit sur le marché des transports librement organisés ou sur le marché des transports conventionnés, la concurrence offre de nouveaux leviers au service d’une politique durable des transports.

  • Pour les marchés sur lesquels la concurrence peut s’exercer librement entre plusieurs opérateurs, les recommandations de l’Autorité ciblent un certain nombre de barrières à l’entrée devant être levées, ainsi que les facteurs susceptibles de favoriser le monopole historique ferroviaire face à ses concurrents.
  • Concernant les transports conventionnés, l’Autorité constate que la commande publique joue un rôle central dans le processus concurrentiel puisque les autorités organisatrices de la mobilité choisissent les attributaires des contrats au terme d’appels d’offres publics. S’agissant des transports urbains, l’Autorité observe que le secteur est marqué par une faible intensité concurrentielle. S’agissant des transports ferroviaires, elle relève qu’à compter du 25 décembre prochain, tout nouveau contrat d’exploitation d’un service de transport ferroviaire conventionné régional (actuellement exploité sous la marque TER par SNCF Voyageurs) devra faire l’objet d’une mise en concurrence. Au vu des enjeux concurrentiels attachés à ces procédures de mise en concurrence, l’Autorité formule des recommandations, sous la forme de bonnes pratiques à mettre en œuvre, à l’attention des collectivités territoriales afin qu’elles dynamisent la concurrence entre opérateurs lors des appels d’offres qu’elles organisent.
  • Concernant les gares, l’Autorité rappelle le caractère multimodal de ces installations et considère que l’ouverture à la concurrence du secteur impose de repenser le modèle des gares. Dès lors, l’Autorité invite les différentes parties prenantes et notamment les collectivités territoriales à s’emparer du sujet.
  • Enfin, pour accompagner la mutation du secteur des transports terrestres de personnes dans la transition écologique, l’Autorité recommande au législateur de modifier le code des transports, afin que l’ART puisse s’appuyer sur une base légale qui consacrerait plus nettement, dans le cadre de ses missions, la protection de l’environnement et le développement régional.
  • De manière générale, l’Autorité réaffirme son soutien au régulateur sectoriel dont le rôle est capital dans la réussite de l’ouverture à la concurrence et qui pourrait utilement voir ses moyens et prérogatives renforcés.

Le développement durable est l’un des objectifs de la politique d’ouverture à la concurrence des transports terrestres de personnes

Alors que le Pacte vert pour l’Europe présenté en décembre 2019 prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050, il est nécessaire que le secteur des transports évolue afin de diminuer son impact négatif sur l’environnement. Au niveau national, il est le secteur qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre (31 % des émissions de gaz à effet de serre en France en 2019). Dans ce Pacte vert est mentionné l’objectif d’une réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre provenant des transports, rendant nécessaire de penser la politique des transports à travers le prisme du développement durable.

Les politiques d’ouverture à la concurrence des transports publics ont très tôt intégré les problématiques de développement durable et de lutte contre le changement climatique. Dès son Livre blanc de 1996 sur le transport ferroviaire, la Commission a établi un lien clair entre la mobilité durable et les bienfaits attendus de l’ouverture à la concurrence. Observant que « [l]es chemins de fer pourraient contribuer de manière appréciable à garantir la mobilité durable au siècle prochain », mais que leurs parts de marché continuaient à baisser, la Commission préconisait alors de les ouvrir à la concurrence pour les « revitaliser ».

Les Livres blancs successifs de la Commission ont tous intégré la problématique du développement durable dans leur définition de la politique de transports ouverts à la concurrence, en particulier dans les transports terrestres de voyageurs. En effet, l’atteinte des objectifs de la politique de concurrence contribue au développement durable lorsque la concurrence améliore l’offre de transport pour les voyageurs et rend plus attractive, du point de vue des consommateurs, la mobilité sous ses formes les moins polluantes, ce qui est susceptible de favoriser le report modal.

Dans le cadre de cet avis, l’instruction menée par les services de l’Autorité a permis de constater que l’ouverture à la concurrence peut accélérer la transition écologique des transports.

Sur les marchés conventionnés de transports urbains, la Cour de justice de l’Union européenne comme la Commission reconnaissent le droit au pouvoir adjudicateur de choisir entre l’offre la moins-disante et l’offre économiquement plus avantageuse, considérant que des éléments environnementaux peuvent servir à déterminer celle-ci. L’introduction de critères environnementaux dans les appels d’offres lancés par les autorités organisatrices de mobilité peut inciter les acteurs à redoubler d’innovation. Ainsi, la région Hauts-de-France a retenu, dans le cadre d’un appel d’offres, un transporteur qui proposait une offre ambitieuse sur le plan écologique (80 % de la flotte « verdie »). À partir du 23 août 2026, il deviendra obligatoire d’inclure au moins un critère environnemental dans les critères d’attribution des marchés publics.

Compte tenu de leur importance, les objectifs de développement durable et l’intermodalité qui y concourt pourraient être plus nettement intégrés à la mission du régulateur sectoriel, l’ART, par l’introduction d’une base légale plus explicite. Dans ce sens, l’Autorité recommande au législateur de modifier le code des transports afin que l’exercice de ses missions par l’ART soit cohérent avec l’ensemble des objectifs de la politique nationale des transports, qui incluent notamment la protection de l’environnement et le développement régional.

La situation concurrentielle sur les marchés des services librement organisés

Le marché du transport interurbain par autocar : le succès des « cars Macron »

Dès 2013, anticipant le développement du marché, l’Autorité s’était saisie d’office, pour avis afin d’analyser le fonctionnement du marché français du transport interrégional régulier par autocar. L’Autorité a proposé une série de mesures visant à ouvrir l’accès au marché à la concurrence. Ces propositions ont été suivies par le législateur et le Gouvernement dans le cadre de la « loi Macron » de 2015.

Depuis lors, une entreprise peut assurer librement des services réguliers interurbains par autocar. Ces services sont librement commercialisés lorsque tous les arrêts qu’ils desservent sont distants de plus de 100 kilomètres. Les liaisons de moins de 100 kilomètres  peuvent faire l’objet de mesures d’interdiction de la part des autorités organisatrices de services de transport dont l’équilibre économique serait menacé, sous le contrôle de l’ART.

L’Autorité constate aujourd’hui que ce secteur, bien que dominé par un duopole (FlixBus et Blablacar représentant respectivement 66 % et 33 % du trafic en autocar par km en 2021),  affiche un dynamisme certain. Ainsi, même si la fréquentation reste polarisée géographiquement (45 % des passagers ont voyagé en partant de Paris ou à destination de Paris), l’ouverture des lignes SLO (services librement organisés) a permis de développer des transports dans des zones mal desservies.

L’instruction menée par l’Autorité a permis en outre de constater que ces services d’autocars complètent l’offre de transport, et constituent davantage une alternative aux SLO ferroviaires qu’aux transports ferroviaires conventionnés organisés par les régions. 

L'Autorité a formulé une série de nouvelles recommandations afin de parfaire l’organisation du secteur et de mesurer l’impact concurrentiel et environnemental des cars « Macron ».

  • Afin de stimuler davantage la concurrence dans le secteur, l’Autorité recommande au législateur de redéfinir la notion de service interurbain à la lumière du nouveau découpage des régions, dans la mesure où la notion de longue distance n’est plus forcément synonyme d’interrégional.
  • L’Autorité recommande également au législateur de compléter le code des transports afin de permettre à l’ART de collecter auprès de régions des données qu’elles détiennent en tant qu’autorités organisatrices de services conventionnés, afin que le régulateur sectoriel puisse exercer efficacement la mission d’évaluation de l’offre globale de transports interurbains existante que lui a confiée le législateur.
  • Afin de mesurer le bilan environnemental des cars « Macron », l’Autorité recommande à l’ADEME d’actualiser son étude publiée en décembre 2016.

Le marché du transport ferroviaire SLO : les nouveaux entrants se heurtent à des barrières à l’entrée persistantes

Depuis 2008, l’Autorité a rendu plusieurs décisions et avis assortis de recommandations pour favoriser la concurrence sur ce secteur progressivement ouvert à la concurrence. Depuis le 12 décembre 2020, les entreprises ferroviaires ont librement accès au réseau ferré national pour y développer des services de transport de voyageurs (marché de services librement organisés, dits « en open access »).

Cette ouverture à la concurrence se matérialise depuis le 18 décembre 2021, puisque SNCF Voyageurs est dorénavant en concurrence sur l’itinéraire Paris-Lyon avec la compagnie Trenitalia. En juillet dernier, c’est l’opérateur espagnol Renfe qui est entré sur le marché, notamment sur la ligne Lyon-Barcelone. L’Autorité note par ailleurs que plusieurs autres acteurs envisagent de pénétrer sur le marché français : Midnight Trains, Le Train, Railcoop, Kevin Speed, entre autres.

Le marché du transport ferroviaire de voyageurs est ainsi entré dans une nouvelle phase de son développement. L’entrée sur le marché de concurrents de SNCF Voyageurs révèle les conditions pratiques de la concurrence. Elle met au jour de nombreux obstacles susceptibles d’entraver le développement de la libre concurrence. L’avis de l’Autorité s’attache donc, d’une part, à dresser le bilan des recommandations antérieures de l’Autorité, et, d’autre part, à décrire ces nouvelles difficultés et à formuler différentes suggestions propres à les résoudre.

  • L’organisation de SNCF Réseau dans le groupe SNCF

La société SNCF Réseau, en tant que gestionnaire d’infrastructure, est investie de missions de régulation et d’animation concurrentielle sur les marchés du transport ferroviaire. Au-delà de la maintenance, de la régénération et de la modernisation de l’infrastructure, elle est chargée du rôle crucial d’assurer l’égal accès au réseau de toutes les entreprises ferroviaires.

L’Autorité avait  recommandé de créer un gestionnaire d’infrastructure indépendant du groupe SNCF mais a pris acte du choix différent fait par le législateur. Elle tient toutefois à souligner les limites, sur le plan concurrentiel, de la solution choisie et constate l’inquiétude persistante que cette organisation suscite chez les nouveaux entrants.

À cet égard, l’instruction menée par l’Autorité a permis de déceler un ensemble de risques concurrentiels inhérents à cette organisation intégrée. Cette situation est, en effet, porteuse de nombreux risques en termes de conflits d’intérêt, d’impartialité, d’égalité dans l’accès au réseau, de subventions croisées et de conditions équitables de concurrence entre entreprises ferroviaires. La proximité entre les différentes activités du groupe, les similitudes des identités visuelles et la marque unique du groupe SNCF créent une confusion entre les activités de gestionnaire d’infrastructure, réputé indépendant, et les activités d’entreprise ferroviaire.

En outre, l’Autorité relève que SNCF Réseau semble s’adapter lentement à l’ouverture de la concurrence et peine à faire place à la diversité des modèles d’affaires des nouveaux entrants.

L’Autorité réaffirme ainsi la nécessaire vigilance sur les conséquences pratiques de l’intégration verticale de SNCF Réseau avec les entreprises ferroviaires et non ferroviaires du groupe SNCF. Elle formule une série de recommandations en vue de neutraliser les risques concurrentiels inhérents à cette organisation.

L’Autorité propose une série de recommandations visant à faire de SNCF Réseau un véritable gestionnaire d’infrastructure indépendant des autres activités du groupe SNCF.

Par exemple, l’Autorité recommande :

  • d’étendre à toutes les missions de SNCF Réseau les mesures de sauvegarde prévues par la loi pour l’exercice des fonctions essentielles ;
  • de modifier le code des transports pour donner à l’ART un pouvoir d’avis conforme sur le code de bonne conduite de SNCF Réseau et des pouvoirs d’injonction et de sanction en cas de manquement de SNCF Réseau à ce code.

L’Autorité vise également le renforcement de l’indépendance du conseil d’administration de SNCF Réseau et le sujet des carrières et des mouvements de personnel au sein du groupe.

  • La persistance de barrières à l’entrée

L’Autorité pointe la persistance de barrières à l’entrée qui font obstacle au développement de la concurrence : difficultés d’accès au matériel roulant et aux équipements de signalisation embarqués, aux prestations d’homologation et de conformité du matériel roulant, ainsi qu’aux installations de service, qualité insatisfaisante de l’infrastructure et des prestations fournies par le gestionnaire d’infrastructure.

La mauvaise qualité de l’infrastructure est décriée par tous les acteurs du marché : le manque de visibilité sur la programmation des travaux, l’absence de cartographie exhaustive des installations ainsi que l’hétérogénéité des systèmes de signalisation engendrent des risques et des coûts pour les entreprises ferroviaires présentes sur le réseau ou qui souhaitent l’utiliser. Cette faible performance ainsi que l’insuffisance d’investissement de l’État est à mettre au regard du niveau élevé des péages dont doivent s’acquitter les entreprises ferroviaires.

Face à une forte demande de transport ferroviaire, encouragée par les pouvoir publics dans le cadre de la transition climatique, la concurrence peut favoriser le développement de l’offre et aider ainsi à financer les investissements indispensables pour restaurer la qualité de l’infrastructure ferroviaire. Cet impact sur l’offre est confirmé par l’exemple de l’Autriche et de l’Italie, qui ont ouvert leurs marchés ferroviaires plus tôt que la France. À titre d’exemple, sur les marchés ferroviaires librement organisés, en Autriche l’arrivée d’un nouvel entrant sur la liaison Vienne-Salzbourg face à l’opérateur historique ÖBB a fait baisser les prix sur cette ligne de 25 % et augmenter le nombre de voyageurs de 25 %. En Italie, l’arrivée du nouvel entrant NTV en 2012 a poussé l’opérateur historique Trenitalia à augmenter ses fréquences et améliorer sa qualité de service. En France, l’ART a constaté une baisse du prix des billets de l’ordre de 10 % sur la ligne Paris–Lyon depuis l’arrivée de Trenitalia.

Le niveau des péages ferroviaires, particulièrement élevé en France, pourrait contribuer à dissuader les nouveaux entrants. Une évaluation de l’impact qu’aurait une baisse des péages sur l’offre ferroviaires et, à travers celle-ci, sur le financement de l’infrastructure paraît nécessaire

L’Autorité recommande une série de mesures visant à abaisser ces barrières à l’entrée sur le marché français.

Par exemple :

  • elle appelle SNCF Réseau à communiquer avec plus de précision le planning des travaux, mais aussi SNCF Voyageurs à assurer un accès transparent, équitable et non discriminatoire à son expertise en matière de systèmes de sécurité embarqués ;
  • elle recommande également à SNCF Voyageurs de généraliser les appels à manifestation d’intérêt lorsqu’elle retire son matériel roulant du service ;
  • elle recommande à l’État et aux autres autorités organisatrices d’envisager la création d’une ROSCO, qui pourrait louer du matériel roulant aux entreprises ferroviaires ;
  • elle soutient les efforts de l’ART pour mettre en œuvre une régulation incitative de l’accès aux infrastructures ferroviaires dans le cadre de ses missions de régulation ;
  • elle rappelle que l’ART, en tant que régulateur sectoriel, est l’interlocuteur indispensable des nouveaux entrants et est le principal animateur de la concurrence dans le secteur ferroviaire. Elle invite donc les pouvoirs publics à veiller à l’adéquation des moyens humains et financiers de l’ART à ses missions et à son rôle dans l’ouverture à la concurrence.

Le marché du transport public particulier de personnes : taxis et VTC

Pour la huitième fois depuis 2013, l’Autorité se prononce sur ce secteur. Conformément à sa pratique décisionnelle, l’Autorité distingue deux marchés: celui de la maraude, c’est-à-dire le transport sans réservation, marché sur lequel les taxis sont en situation de monopole légal, et le marché du transport avec réservation préalable. Sur ce second marché les taxis se retrouvent en concurrence avec les VTC.

Le développement des plateformes d’intermédiation et des outils de géolocalisation rend, en pratique, la séparation entre ces deux marchés peu effective mais le maintien d’un monopole légal sur le marché de la maraude demeure une caractéristique essentielle du secteur.  

L’Autorité a eu l’occasion, lors de ses précédents avis, de formuler des recommandations sur l’encadrement des tarifs des courses de taxis, sur les obligations spécifiques imposées aux VTC, sur la nécessaire création d’un outil statistique et d’un observatoire sur le marché et sur les conditions d’accès aux professions de conducteur de taxi et de conducteur de VTC, notamment l’organisation des examens d’obtention des cartes professionnelles. Elle constate que ses recommandations ont été insuffisamment prises en considération par les pouvoirs publics.

En outre, l’Autorité relève que les pouvoirs publics ont une connaissance du marché qui reste lacunaire. L’Observatoire national des transports publics particuliers de personnes créé par la « loi Grandguillaume » de 2016 devrait permettre de faire évoluer la situation puisque le dispositif de collecte des données est désormais effectif. L’Autorité salue la création de cet observatoire mais constate que les données publiées sont encore insuffisantes pour apprécier la réalité des conditions concurrentielles.

Enfin, l’Autorité constate que la création et les modalités de l’examen professionnel pour les chauffeurs de VTC a permis, conformément à la recommandation émise dans l’avis n° 14-A-17, de supprimer une barrière à l’entrée et de rapprocher les conditions d’accès aux deux professions.

  • L’Autorité salue la création de l’Observatoire national des transports publics particuliers de personnes et souhaite que les échanges en cours entre l’État et les acteurs sur les modalités techniques de la collecte de données aboutissent à une publication périodique de données complètes et précises afin d’améliorer la connaissance de ce secteur.
  • L’Autorité réitère ses recommandations d’assouplissement de la réglementation des prix applicables aux courses de taxi sur le marché de la réservation préalable et celles visant à supprimer l’exigence d’une garantie financière applicable uniquement aux exploitants de VTC.
  • Concernant l’organisation des examens d’obtention des cartes professionnelles, l’Autorité invite le Gouvernement à publier rapidement l’arrêté d’application sur la composition et le fonctionnement des jurys d’examen. Elle invite également le Gouvernement à adapter la fréquence des sessions d’examen aux situations particulières des territoires ultramarins.
  • Afin de permettre au secteur de répondre à la demande, l’Autorité recommande de rapprocher, autant que possible, les délais d’obtention effective des cartes professionnelles de taxi et de VTC du délai prévu par le code des transports.

La situation concurrentielle sur les marchés conventionnés

Le droit de l’Union accorde aux pouvoirs publics la possibilité de faire le choix de subventionner les services de transport qu’ils organisent, par dérogation au régime des aides d’État, si ces derniers constituent des services d’intérêt économique général, soumis à des obligations de service public (OSP).

En France, l’organisation des transports publics est une compétence partagée entre l’État, les régions et les intercommunalités. Ces autorités organisatrices de mobilité (AOM) ont un rôle crucial à jouer puisque, dans le secteur du transport conventionné, la concurrence s’exerce lors des appels d’offres qu’elles lancent.

Les transports urbains : face à la faible intensité concurrentielle, les AOM doivent pleinement jouer leur rôle pour dynamiser la concurrence

En ville, l’essentiel des déplacements en transports publics se fait dans le cadre de réseaux de transport denses, souvent multimodaux, organisés à l’échelle de l’agglomération. Les AOM chargées par le législateur d’organiser les services de transports urbains sont en principe les intercommunalités.

En 2009, l’Autorité avait appelé les collectivités territoriales à la vigilance face au risque potentiel que représente, pour les marchés de transports urbains, la conjonction d’un degré élevé de concentration des opérateurs et la présence de l’opérateur historique du transport ferroviaire, via sa filiale Keolis. La Cour des comptes, dès 2005, avait relevé que, dans ce secteur concentré autour d’un très petit nombre d’opérateurs, la mise en concurrence effective des contrats d’exploitation était « problématique », l’ouverture à d’autres opérateurs restant dans la pratique « quasi-inexistante » et les appels d’offres portant le plus souvent sur l’intégralité du réseau urbain concerné.

La situation n’a pas changé significativement depuis. L’Autorité constate que les appels d’offres récents de plusieurs métropoles n’ont vu qu’un seul candidat déposer une offre. En outre, entre 2005 et 2021, dans 74 % des cas étudiés, l’opérateur en place a été renouvelé à la suite d’une procédure de mise en concurrence. Face à cette situation, la vigilance des AOM et de l’Autorité reste de mise.

En 2020, l’Autorité avait d’ailleurs appelé chaque entreprise en monopole légal à « ne pas avantager indûment sa filiale par un effet de levier tenant à des actifs ou à des informations en situation exclusive qui seraient mis à la disposition de l’entreprise soumissionnaire dans des conditions privilégiées ».

Dans le présent avis, l’Autorité réitère l’appel à la vigilance qu’elle avait adressé aux autorités organisatrices, responsables de l’animation concurrentielle des marchés de transports urbains, sur les risques concurrentiels que peut présenter l’adossement d’un soumissionnaire à un opérateur historique réunissant en un seul groupe la gestion d’infrastructures et l’exploitation de services sur celles-ci.

Elle recommande, le cas échéant, aux opérateurs concernés de renforcer les mesures de séparation entre filiales, et recommande à l’État actionnaire de veiller à la séparation entre les filiales des sociétés qu’il détient pour garantir le respect du droit de la concurrence.

En outre, dès 2009, l’Autorité avait invité les autorités organisatrices à engager une réflexion sur l’allotissement de leurs appels d’offres, tout en prenant en considération les intérêts des usagers, dans la mesure où l’allotissement est susceptible d’augmenter la concurrence et de limiter la dépendance des AOM vis-à-vis des quelques très gros opérateurs présents sur le marché.

Constatant que cette recommandation a été peu suivie, l’Autorité la réitère en la précisant et invite ainsi les AOM :

  • à ne pas écarter par principe la solution de l’allotissement et à en étudier systématiquement l’impact avant de prendre les décisions relatives aux prochaines échéances de leurs contrats avec des opérateurs ;
  • à inclure dans tout dispositif contractuel un ensemble robuste d’incitations à la qualité de service et à la performance et de pénalités, dans l’intérêt des usagers, en particulier lorsqu’elles décident de ne contractualiser qu’avec un seul opérateur.

Enfin, l’Autorité invite les AOM à intensifier leurs échanges et leurs retours d’expérience sur l’organisation concurrentielle des transports urbains, notamment au sein des associations dont elles sont membres. Ces travaux pourraient aboutir à l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques. L’Autorité se tient prête à y contribuer dans la limite de ses compétences et invite les ministères concernés et l’ART à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des AOM sur le sujet, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Recommandations

  • L’Autorité réitère l’appel à la vigilance qu’elle avait adressé en 2020 aux autorités organisatrices responsables de l’animation concurrentielle des marchés de transports urbains sur les risques concurrentiels que peut présenter l’adossement d’un soumissionnaire à un opérateur historique réunissant en un seul groupe la gestion d’infrastructures et l’exploitation de services sur celles-ci.
  • L’Autorité recommande, le cas échéant, aux opérateurs concernés de renforcer les mesures de séparation entre filiales, et recommande à l’État actionnaire de veiller à la séparation entre les filiales des sociétés qu’il détient pour garantir le respect du droit de la concurrence.
  • L’Autorité invite les autorités organisatrices à intensifier leurs échanges et leurs retours d’expérience sur l’organisation concurrentielle des transports urbains, notamment au sein des associations dont elles sont membres. Ces travaux pourraient utilement aboutir à l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques.
  • L’Autorité se tient prête à y contribuer dans la limite de ses compétences et invite les ministères concernés et l’ART à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des AOM sur le sujet, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
  • La place du développement durable dans la commande publique en matière de transport, notamment sous la forme d’inclusion de critères environnementaux, pourrait être évoquée dans le cadre de ces travaux.

Bonnes pratiques

La liberté dont disposent les AOM pour organiser et mettre en œuvre leur politique des mobilités est un élément structurant du secteur des transports urbains. Toutefois, lorsque ces dernières ont recours à la concurrence, certaines bonnes pratiques sont susceptibles de leur donner de nouveaux leviers. Il en est ainsi du fait :

  • d’intégrer dans leurs réflexions et travaux préparatoires au lancement des procédures de mise en concurrence les recommandations d’ordre général que l’Autorité a formulées dans ses différents avis ;
  • en particulier, de ne pas écarter par principe la solution de l’allotissement et d’en étudier systématiquement l’impact avant de prendre les décisions relatives aux prochaines échéances de leurs contrats avec des opérateurs ;
  • d’inclure dans tout dispositif contractuel un ensemble robuste d’incitations à la qualité de service et à la performance et de pénalités, dans l’intérêt des usagers, en particulier lorsqu’une AOM décide de ne contractualiser qu’avec un seul opérateur ;
  • de sonder en amont des appels d’offres les différents opérateurs et de rendre plus transparent le calendrier prévisionnel des futurs appels d’offres afin de susciter des candidatures ;
  • de veiller à l’indépendance des cabinets d’assistance à maîtrise d’ouvrage qu’elles consultent sur des facteurs susceptibles d’affecter la concurrence entre opérateurs et de conserver suffisamment de compétences internes pour contrôler la mise en œuvre des contrats.

Le transport ferroviaire régional : l’ouverture à la concurrence représente une opportunité dont les régions doivent se saisir

L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire conventionné a été opérée par la loi de 2018 portant nouveau pacte ferroviaire. Dès 2019, la région PACA a engagé une procédure de mise en concurrence pour l’exploitation de deux lots TER, dont l’un a été remporté par SNCF Voyageurs et l’autre par Transdev. La région Hauts-de-France a également mené un appel d’offres, sur le lot « étoile d’Amiens », finalement remporté par SNCF Voyageurs.

Cette mise en concurrence semble montrer de premiers effets. Ainsi, en PACA, SNCF Voyageurs s'est, entre autres, engagée à un objectif de régularité de 98,5 % et à une augmentation de l'offre mesurée en trains.kilomètre de 9,5 %.

L’ouverture à la concurrence du secteur va se généraliser puisqu’à compter du 25 décembre 2023, tout nouveau contrat d’exploitation d’un service de transport ferroviaire conventionné régional (actuellement exploité sous la marque TER par SNCF Voyageurs) devra faire l’objet d’une mise en concurrence.

L’Autorité relève toutefois que l’ouverture à la concurrence pourrait être retardée en raison du comportement des régions, parfois hésitantes à ouvrir leur transport ferroviaire à la concurrence. Ainsi, par exemple, la région Occitanie a fait le choix de résilier la convention qui la liait à SNCF Voyageurs pour en signer une nouvelle avant le 24 décembre 2023 - les conventions signées avant cette date peuvent courir pendant dix ans et prévoir une ouverture à la concurrence progressive, ou même que l’ouverture à la concurrence ne se fera qu’à leur expiration (soit en décembre 2033). L’Autorité constate que plusieurs autres régions ont repoussé au moins jusqu’à la fin des années 2020 la mise en concurrence de SNCF Voyageurs.

Au-delà des choix politiques et des moyens dont se dotent les régions pour engager ce processus, l’Autorité relève que la réussite de l’ouverture repose également sur la nécessité que plusieurs opérateurs puissent soumettre, lors des appels d’offres, des propositions solides et se positionner comme des concurrents crédibles de SNCF Voyageurs.

À l’heure actuelle, cette condition ne semble pas garantie puisque, pour chaque appel d’offres, seul un nombre minimal de candidats est en mesure de mener à leur terme les procédures de mise en concurrence. Par exemple, en 2019, pour l’un des deux lots ouverts à la concurrence par la région PACA, seule SNCF Voyageurs a pu aller au terme de la procédure d’appel d’offres. L’Autorité rappelle d’ailleurs à cet égard que la mise en concurrence en 2020 par l’État de l’exploitation des lignes « Intercités » s’est révélée infructueuse, l’appel d’offres n’ayant recueilli aucune candidature autre que celle de SNCF Voyageurs.

Cette situation trouve son explication dans un ensemble de facteurs inhérents, notamment, à la lourdeur des appels d’offres concernés et aux incertitudes des calendriers de mise en concurrence de certaines régions, mais aussi à l’existence d’un grand nombre de barrières à l’entrée, parfois communes avec les SLO, telles que les difficultés d’accès aux installations de service, la question du transfert du matériel roulant et des personnels, les problèmes d’accès aux pièces détachées ou encore aux données nécessaires pour formuler une offre, l’intervention de SNCF Réseau dans l’examen des offres à la demande de certaines régions, etc.

Face à ces nombreux risques et barrières à l’entrée, il est indispensable qu’encourager les opérateurs qui en ont les moyens à déposer des offres soit au cœur des préoccupations des régions et un aspect central de leurs procédures de mise en concurrence. L’Autorité identifie une série de bonnes pratiques que les régions pourraient mettre en œuvre pour dynamiser la concurrence lors des appels d’offres qu’elles organisent afin de bénéficier des effets vertueux de la mise en compétition des entreprises.

Outre une baisse des coûts de service, l’ouverture à la concurrence apporte davantage de liberté aux régions, notamment dans les termes de la convention qu’elles concluent avec un opérateur. Les régions peuvent, par exemple, choisir de promouvoir l’intermodalité et la soutenabilité ou encore exiger une augmentation de l’offre. L’Autorité considère que les investissements réalisés par les régions au moment de la mise en concurrence sont porteurs de bénéfices de long terme.

L’Autorité adresse, par ailleurs, des recommandations à l’État et à SNCF Réseau afin qu’ils contribuent à neutraliser certains risques concurrentiels identifiés.

Recommandations

  • L’Autorité recommande à SNCF Réseau, dès la phase d’appel d’offres, de faire preuve de souplesse vis-à-vis des demandes des candidats et des autorités organisatrices, pour ne pas décourager les nouveaux entrants et l’innovation sur le marché.
  • L’Autorité recommande à la DGITM de suivre avec les opérateurs les difficultés qu’ils rencontrent avec les transferts de personnel, et de faire évoluer, le cas échéant, le cadre réglementaire pour en préciser les modalités.
  • L’Autorité invite les autorités organisatrices de services de transport ferroviaire à intensifier leurs échanges et leurs retours d’expérience sur l’organisation concurrentielle de ce mode de  transport, notamment au sein des associations dont elles sont membres. Ces travaux pourraient utilement aboutir à l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques, voire, dans un second temps, à des coopérations bilatérales ou multilatérales plus structurées, voire à la création d’un centre d’expertise mutualisé selon l’intérêt des régions.
  • L’Autorité se tient prête à y contribuer dans la limite de ses compétences et invite les ministères concernés et l’ART à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des AOM sur le sujet, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Bonnes pratiques

Si les régions sont libres d’organiser leurs appels d’offres dans les conditions qui leur paraissent les plus à même d’atteindre les objectifs de leur politique des mobilités, favoriser la concurrence au stade de la réflexion sur l’économie générale des contrats de transport conventionné peut leur donner de nouveaux leviers pour atteindre ces objectifs. Cela peut nécessiter de :

  • définir précisément l’offre de services de transport et les mécanismes contractuels qu’elles veulent mettre en place, et laisser les opérateurs différencier leurs offres ;
  • limiter au maximum les interactions entre les soumissionnaires et les entreprises du groupe SNCF lorsque celles-ci sont indispensables à la conception des offres, et mettre tout en œuvre pour formaliser et centraliser ces relations.
  •  affirmer leur rôle face à l’omniprésence des entités du groupe SNCF et ne pas se reposer sur elles durant les appels d’offres ; en particulier, l’Autorité recommande aux régions de cesser de demander à SNCF Réseau d’analyser les offres qu’elles reçoivent et de se doter des moyens d’évaluer les offres sans les transmettre, même anonymisées, au gestionnaire d’infrastructure ;
  • considérer que de nombreux facteurs sont susceptibles d’entraver ou, au contraire, de favoriser la concurrence entre soumissionnaires, et ne pas multiplier les décisions qui excluent ou défavorisent de fait les nouveaux entrants. L’accumulation de tels choix pourrait être lue comme un signal par le marché et encourager, à long terme, les opérateurs et en particulier SNCF Voyageurs à soumettre des offres plus élevées aux régions en question. Le bénéfice de l’ouverture à la concurrence pour les voyageurs et les contribuables régionaux serait ainsi perdu.

Le rôle des gares dans la concurrence : les enjeux de l’intermodalité

L’Autorité a déjà eu l’occasion dans son avis n° 09-A-55 d’analyser les problématiques concurrentielles propres aux gares ferroviaires. Dans cet avis, l’Autorité a souligné que ces infrastructures ne sont pas « mono-modales » et doivent répondre aux besoins d’intermodalité. Le caractère multimodal des gares ferroviaires, qui pouvait au départ se limiter à la présence d’un parc de stationnement pour les voitures ou d’une station de taxis, n’a cessé de se développer depuis lors. Par ailleurs, la libéralisation du transport interurbain par autocar a rendu nécessaire le développement d’un second type de gares : les gares routières, qui peuvent aussi être multimodales, en particulier lorsqu’elles sont incluses dans ou proches d’une gare ferroviaire.

L’Autorité note que globalement, ses recommandations ont été prises en compte dans la réglementation.

Les gares ferroviaires

En France, SNCF Gares & Connexions est le gestionnaire unique des gares ferroviaires, qualifiées de longue date par la jurisprudence d’infrastructures essentielles. Depuis le 1er janvier 2020, elle est le gestionnaire de tous les ouvrages de gare.

La création de SNCF Gares & Connexions a répondu à une recommandation faite par l’Autorité  visant à séparer la gestion et l’exploitation des gares de l’opérateur historique du transport. Cependant, malgré le transfert de SNCF Gares & Connexions au gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau, la gestion opérationnelle des gares continue, en pratique, d’être assurée en grande partie par l’entreprise ferroviaire SNCF Voyageurs. Celle-ci est en effet le principal usager, voire l’usager exclusif des gares et peut, à ce titre, réaliser des économies d’échelle importantes dans leur exploitation. C’est le modèle du « transporteur-intégrateur » [1].

Cette organisation, du fait de son faible pilotage par SNCF Gares & Connexions, pose un certain nombre de difficultés, relevées par la Cour des comptes et l’ART.

L’instruction du présent avis a permis d’établir que trois modalités de gestion des gares ferroviaires sont possibles : gestion des gares en propre par SNCF Gares & Connexions, modèle du transporteur-intégrateur, transfert de la gestion des gares aux autorités organisatrices.

Du point de vue de l’Autorité, le modèle du transporteur-intégrateur pose de nombreuses difficultés dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. En effet, hors des 46 gares dont la gestion a été reprise en propre par SNCF Gares & Connexions, au fur et à mesure de l’ouverture à la concurrence les entreprises ferroviaires seront amenées à opérer dans des gares dont la gestion est aujourd’hui assurée par SNCF Voyageurs.

L’Autorité estime ainsi que la mise en concurrence des services de transport conventionné est incompatible avec le modèle du transporteur-intégrateur dès lors que celui-ci repose exclusivement sur SNCF Voyageurs.  

L’Autorité note, en outre, qu’il est dans l’intérêt des AOM d’être davantage impliquées dans le pilotage des gares, dans la mesure où elles supportent les coûts liés à la gestion des gares desservies uniquement par le transport ferroviaire conventionné et peuvent se voir déléguer la gestion des gares [2].

Pour les gares desservies par les TER, la délégation de leur gestion aux autorités organisatrices et leur intégration dans les appels d’offres de transport conventionné semblent la meilleure solution.

Toutefois, ce modèle n’est pas en train de s’imposer. En effet, la délégation de la gestion des gares aux AOM est une faculté, dont elles n’ont pas l’obligation de se saisir.

Par ailleurs, la crise du modèle du transporteur-intégrateur dans le contexte de l’ouverture à la concurrence pourrait également peser sur la qualité de service offerte en gare aux usagers :

  • Cette difficulté tient d’abord à la faible performance de SNCF Gares & Connexions. Dans son rapport de 2021 sur les gares ferroviaires de voyageurs, la Cour des comptes soulignait la faible performance interne de SNCF Gares & Connexions, qui alimentait la fragilité de son modèle économique. Elle relevait en particulier que la qualité de service était insuffisamment prise en compte par SNCF Gares & Connexions et pointait l’absence de cahiers des charges pour en définir la teneur précise et fixer le niveau de service correspondant à chaque catégorie de gares.
  • Par ailleurs, la vigilance est de mise quant aux effets de l’ouverture à la concurrence sur l’accessibilité des gares aux personnes à mobilité réduite (PMR). L’Autorité invite les différentes parties prenantes à prendre cette question en considération en amont pour garantir l’accessibilité des gares.

Recommandations

L’Autorité recommande :

  • que les autorités organisatrices soient davantage impliquées dans le pilotage de l’exploitation des gares ;
  • à SNCF Gares & Connexions de continuer à encourager les régions à s’intéresser et à prendre en charge la gestion des gares, et de mettre en place un cadre de gouvernance efficace et transparent du modèle du transporteur-intégrateur et de la gestion des gares afin que cette gestion soit susceptible d’être reprise par les autorités organisatrices ;
  • à SNCF Gares & Connexions de mettre en place des cahiers des charges normés pour les différents types de gare et d’y associer une tarification pluriannuelle des redevances (ce qui nécessite de modifier le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003).

Bonnes pratiques

  • L’Autorité invite les autorités organisatrices à articuler les responsabilités des entreprises ferroviaires et du ou des gestionnaires des gares autour des enjeux d’accessibilité des gares et des services conventionnés aux PMR.
  • Elle conseille aux régions d’anticiper la mise en concurrence du transport ferroviaire conventionné en demandant l’application du décret « mono-transporteur » pour se voir déléguer la gestion des gares, afin d’intégrer celle-ci dans les appels d’offres TER ou de l’organiser séparément.

Les gares routières

La typologie établie par l’ART permet de recenser 76 gares routières parmi les 327 aménagements dont le descriptif figure dans le registre public dont elle est chargée. La nature des exploitants est très diverse : il peut s’agir de collectivités territoriales (communes, régions), de groupements de collectivités ou d’opérateurs comme Keolis (qui exploite notamment des gares routières à Caen et Nîmes) et Transdev (qui exploite notamment des gares routières à Lens, Le Mans et à La Réunion). SNCF Gares & Connexions exploite une cinquantaine de gares routières adossées à des gares ferroviaires qui forment des pôles multimodaux.

L’Autorité constate que la situation des gares routières en France n’est pas satisfaisante et constitue un obstacle au développement des services d’autocars. En pratique, les acteurs du secteur dressent un tableau négatif des gares routières existantes. Certains des problèmes signalés par les acteurs relèvent de la compétence de l’ART, en matière de tarification de l’accès aux gares routières, mais ce sont essentiellement des problèmes de capacités et de saturation  et des problèmes qualitatifs qui sont exposés.

  • S’agissant des capacités insuffisantes, elles sont principalement liées à des contraintes matérielles et techniques : beaucoup de gares routières sont dimensionnées pour des lignes régulières conventionnées de transport urbain ou interurbain, très sollicitées en heure de pointe, ce qui réduit les créneaux possibles pour du transport longue distance sur ces tranches horaires. Par ailleurs,  certaines gares routières sont de trop petite taille pour pouvoir proposer des créneaux à de nouveaux opérateurs, ou de nouveaux créneaux aux opérateurs déjà en place. Cette situation doit être mise en regard de la sous-utilisation globale des gares routières exploitées par SNCF Gares & Connexions, qui conduit à s’interroger sur la pertinence de leur implantation au cas par cas et sur la réflexion qui a été faite, au stade de leur conception, sur l’articulation entre les modes de transport.

Plus largement, puisque certaines gares routières sont sous-utilisées tandis que d’autres sont saturées, on peut considérer que le maillage actuel du territoire n’est pas optimal et que le processus de décision sur l’implantation de nouvelles gares routières ou l’aménagement de gares routières existantes doit évoluer.

  • S’agissant de la qualité de service, les contributions reçues font, notamment, état d’interconnexions insuffisantes avec les autres modes de transport dans un certain nombre de gares routières, de niveaux déplorables de sécurité, d’hygiène et de confort (en particulier dans la gare routière de Paris Bercy mais aussi à Bordeaux ou à Toulouse), d’une insuffisance de l’information fournie aux voyageurs et des équipements mis à leur disposition (salles d’attente, sanitaires, lieux de restauration, etc.). Plusieurs opérateurs se plaignent, en conséquence, de tarifs de toucher de quai qui leur semblent trop élevés par rapport au niveau de qualité de service fourni à leurs conducteurs et aux passagers

Il est peu probable que les dynamiques de marché conduisent spontanément à une amélioration importante de la situation des gares routières. En conséquence, compte tenu des carences relevées, l’Autorité invite les collectivités territoriales, en tant qu’AOM, à assumer un rôle de régulation concurrentielle du secteur, en se saisissant davantage de la question des gares routières.

Bien que de nombreuses collectivités aient un rôle à jouer, les régions, chefs de file de l’intermodalité, sont particulièrement concernées et pourraient utilement élaborer des standards de qualité, ces standards pouvant ensuite être intégrés dans les marchés publics portant sur des gares routières ou des pôles multimodaux.

L’amélioration de la qualité de service dans les gares routières existantes peut nécessiter, selon les cas, une meilleure formation du personnel pour l’accueil des usagers, l’assistance aux conducteurs et l’information sur l’intermodalité, des prestations (exigées par les collectivités territoriales dans leurs clauses contractuelles ou à l’initiative des exploitants) pour améliorer la propreté, le confort et la sécurité, tant pour les voyageurs que pour les personnels des opérateurs, etc. Lorsque la gare routière fait partie d’un pôle multimodal, un temps de transit très court entre modes de transport pour les voyageurs est particulièrement appréciable. Les travaux de concertation engagés par l’ART avec les exploitants de gares routières pourront contribuer à l’élaboration de ces standards en répertoriant les bonnes pratiques.

L’Autorité recommande aux régions et à Île-de-France Mobilités d’élaborer, en concertation avec l’ART, des standards de qualité exigeants et harmonisés pour les gares routières, de rendre publics ces standards dans leurs documents de planification stratégique de l’intermodalité et de les intégrer dans les contrats de délégation de service public ou dans des partenariats public-privé portant sur la construction ou l’exploitation des gares routières et des pôles multimodaux.

Intermodalité : aménagement des abords des gares et systèmes billettiques

L’Autorité souligne le rôle croissant de l’intermodalité dans le secteur des transports, à l’aune duquel il est indispensable de penser à l’articulation entre intermodalité et ouverture à la concurrence. Ainsi, si au premier abord, l’ouverture à la concurrence complique l’intermodalité puisqu’elle morcelle l’offre de transports, elle est source d’innovation et de gains d’efficacité qui peuvent la favoriser.

L’Autorité invite à penser le rôle des gares au prisme de l’intermodalité. Les gares constituent les nœuds des échanges entre modes de transport terrestres, aussi bien d’un point de vue physique, pour assurer un accès fluide des voyageurs aux différents modes de transport, que d’un point de vue commercial.

  • L’aménagement des abords des gares

L’Autorité note que l’intermodalité concerne tant  l’aménagement intérieur des gares que celui de leurs abords. SNCF Gares & Connexions dans le cadre de son contrat de performance 2021-2026 conclu avec l’État, a également un rôle à jouer en faveur de l’intermodalité. Le gestionnaire d’infrastructure s’est notamment engagé à développer le stationnement pour les vélos, l’installation de stations de gonflage et des ateliers de réparation pour ces derniers.

Le rôle très important de SNCF Gares & Connexions dans le secteur, à l’intersection de tous les modes de transport, et donc ultimement dans les politiques de mobilité des AOM, peut créer un risque de conflit d’intérêt lorsque les AOM lancent des appels d’offres pour lesquels d’autres entreprises du groupe SNCF sont candidates. Pour pallier ce risque, l’Autorité propose de bonnes pratiques aux AOM.

Bonnes pratiques

Dans la mesure du possible, l’Autorité invite les autorités organisatrices à ne pas faire coïncider leurs appels d’offres avec les échanges qu’elles ont avec des groupes dont des filiales pourraient participer à ces appels d’offres ou, dans le cas où cela serait impossible, à être le plus transparentes possible sur ces échanges.

  • Information des voyageurs et billettique

L’intermodalité se joue également dans la billettique et l’information des voyageurs.

Prima facie, la libéralisation semble morceler les services de transport, multiplier les conditions et offres commerciales différentes et accroître la complexité de la réservation de billets. Cette tendance pourrait se renforcer à l’avenir, parallèlement à l’ouverture à la concurrence, puisque nombre de régions ont fait part aux services d’instruction de leur intention de lancer des services régionaux de billettique multimodaux. Ces services régionaux de billettique et d’information des voyageurs répondent à des besoins d’articulation au niveau le plus local des services de transport, mais pourraient nuire à la cohérence nationale de ces services, faute d’interopérabilité entre les différents systèmes. De telles initiatives pourraient, de plus, évincer des opérateurs privés qui souhaiteraient se lancer dans le secteur et dont les services seraient susceptibles de mieux articuler le niveau régional et le niveau national.

Là encore, l’Autorité propose de bonnes pratiques aux AOM afin de réduire les risques identifiés.

Bonnes pratiques

L’Autorité recommande aux AOM :

  • d’animer la concurrence sur le marché de la distribution en rendant accessibles les données et interfaces nécessaires à la constitution de services de billetterie par toutes sortes d’opérateurs, pour les services de transport qu’elles organisent ;
  • lorsqu’elles créent leur propre système billettique, de rendre possible l’interopérabilité entre leur système et tout autre service de distribution.

[1] Les gares concernées sont gérées dans le cadre d’un contrat de coopération conclu entre SNCF Voyageurs et SNCF Gares&Connexions, SNCF Voyageurs refacturant les coûts de gestion à SNCF Réseau sans appliquer de marge.

[2] Cette faculté ouverte aux autorités organisatrices est prévue par le décret n° 2021-966 du 20 juillet 2021 (dit décret mono-transporteur) et concerne potentiellement les gares dont au moins 95 % du trafic est issu du transport conventionné.

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Contact(s)

Maxence Lepinoy
Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication
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