Transports

L’Autorité de la concurrence dessine les conditions d’une ouverture à la concurrence réussie dans le secteur du transport ferroviaire de voyageurs

gare, train, voie ferrée

La directive 2007/58/CE du 23 octobre 2007 prévoit la libéralisation des services ferroviaires internationaux de transport de voyageurs au plus tard le 1er janvier 2010. Cette ouverture partielle à la concurrence du transport ferroviaire constitue la première étape d’un mouvement conduisant d’ici 5 à 10 ans à la mise en concurrence totale du secteur ferroviaire.

Forte des enseignements et des actions menées dans d’autres secteurs récemment ouverts à la concurrence, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office pour avis en mai 2009 (voir communiqué de presse) avec, notamment, pour objectif de déterminer « d’une part, si d’éventuelles restrictions de concurrence relatives aux gares sont susceptibles d’avoir des répercussions sur le secteur des transports publics terrestres de voyageurs et/ou sur le marché de l’intermodalité, s’il existe et d’autre part, si la diversification de l’opérateur historique nécessite que celui-ci prenne des précautions particulières afin de préserver la concurrence. »

Même si la concurrence dans ce secteur se développera probablement de manière très progressive, il est utile d’anticiper les évolutions nécessaires pour que celle-ci soit effective au service des voyageurs et des entreprises.

Les gares ferroviaires occupent une place centrale dans la chaine des transports. Leur gestion et les conditions d’accès des nouveaux entrants conditionnent le succès de l’ouverture à la concurrence du secteur

Les gares ferroviaires présentent a priori les caractéristiques d’infrastructures essentielles au transport ferroviaire. Elles semblent en effet indispensables à un opérateur économique pour pouvoir offrir un service ou un produit sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel se trouvent ces infrastructures et ne sont pas réplicables dans des conditions de coûts acceptables.

Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la SNCF va devoir permettre l’accès aux gares des nouveaux opérateurs ferroviaires afin que ces derniers puissent à la fois les desservir et bénéficier d’un certain nombre de prestations. La tarification de cet accès et de ces prestations sera notamment un élément déterminant pour les autres opérateurs, tout comme l’allocation d’espace dans les gares.

Par ailleurs, les gares constituent le point de fixation des autres réseaux de transport et représentent de ce fait un enjeu sur les marchés connexes de transport public où la SNCF est également présente au titre de la diversification de ses activités.

L’intermodalité, une exigence croissante de la part des collectivités

L’intermodalité - c’est-à-dire la capacité des opérateurs de transport à assurer des prestations permettant d’assurer une continuité entre les différents modes de transport et de rendre fluide et prévisible le trajet de l’usager - est aujourd’hui devenue un élément d’appréciation incontournable des offres des transporteurs lors des appels d’offres de transport public lancés par les collectivités locales.

La SNCF est présente sur l’ensemble de la chaîne de transport, du train au vélo, en passant par les prestations liées au transport ou la gestion de parcs de stationnement. Elle continue d’étendre sa diversification sur les marchés connexes au transport ferroviaire, notamment par l’intermédiaire de Keolis, premier opérateur privé de transport urbain dont elle va prochainement prendre le contrôle (1) (voir communiqué de presse), qui occupe également une place majeure sur le transport interurbain.

Compte tenu de ces risques concurrentiels, l’Autorité formule plusieurs recommandations.


Les recommandations de l’Autorité

1. Le système de gouvernance de la mission de gestion des gares envisagé par la SNCF n’est pas satisfaisant. Il devrait être revu à l’instar des modèles qui ont été mis en place lors de l’ouverture à la concurrence des monopoles publics dans d’autres industries de réseau.

A la suite du rapport Keller (2), la SNCF a annoncé la création d’une nouvelle branche dénommée Gares & Connexions, en charge de la gestion des gares ferroviaires. Si ce choix organisationnel n’est pas contraire aux dispositions régissant les activités ferroviaires, il n’apparaît pas pleinement satisfaisant : le fait que la SNCF n’ait pas rendu Gares & Connexions plus indépendant des activités concurrentielles de l’EPIC et que cette entité soit placée sous l’autorité directe du président de la SNCF n’apparaît pas de nature à offrir des garanties suffisantes de transparence de la gestion des gares reposant sur d’autres facteurs que la seule bonne volonté de l’opérateur historique.

Afin de prévenir les risques liés à la détention par l’opérateur historique d’infrastructures essentielles, l’Autorité recommande donc que la gestion des gares fasse l’objet d’une séparation plus aboutie. Plusieurs modèles existent : la séparation de propriété, la séparation juridique ou encore la séparation fonctionnelle Le modèle de simple séparation comptable mis en place par la SNCF ne saurait répondre aux enjeux induits par l’ouverture à la concurrence de ce secteur.


2. La tarification applicable aux entreprises ferroviaires utilisant les services en gare est un élément essentiel des conditions d’accès au marché. La justification de ces tarifs doit pouvoir être vérifiée de manière indépendante afin d’évaluer la sincérité des coûts exposés par l’opérateur historique, et de garantir pour les nouveaux entrants la transparence des sommes qui leur seront facturées. A cet égard, l’Autorité considère que le futur régulateur sectoriel doit être doté d’un pouvoir d’examen ex ante de ces tarifs au regard des coûts sous-jacents, afin de pouvoir apprécier s’ils répondent aux exigences réglementaires. Or, l’ARAF ne dispose pas de cette compétence en l’état actuel du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires.


3. L’Autorité ne remet pas en cause la stratégie de diversification de la SNCF, qui peut être un facteur d’animation de la concurrence sur les marchés où elle est présente mais elle considère que cette stratégie doit faire l’objet de précautions particulières, compte tenu de sa position extrêmement forte sur le transport ferroviaire.

  • La position de la SNCF sur le marché du transport ferroviaire de voyageurs est susceptible de fausser la compétition entre les filiales de la SNCF et leurs concurrents. Elle doit donc veiller à ne pas proposer aux autorités organisatrices une offre de transport intégrée verticalement qui présenterait un avantage concurrentiel significatif auquel les autres opérateurs de transport ne pourraient prétendre. 
     
  • La SNCF, via Gares & Connexions, peut être amenée à délivrer des autorisations d’occupation temporaire du domaine public ferroviaire en vue d’exploiter des parcs de stationnement à proximité des gares. Afin de ne pas favoriser sa filiale Effia, elle devrait procéder de manière systématique à une mise en concurrence pour l’attribution de l’exploitation des parcs de stationnement situés sur le domaine public dont elle est affectataire. 
     
  • L’opérateur historique doit également veiller à ne pas se livrer à des pratiques susceptibles d’être qualifiées de prix prédateurs. A cet égard, la puissance financière de la SNCF pourrait lui permettre de supporter dans le temps des pertes élevées dans le cadre de ses activités de diversification et, par conséquent, d’affecter la concurrence sur les marchés sur lesquels elle entend se diversifier.
     
  • Enfin, l’information en matière de transport ferroviaire influe sur la capacité des opérateurs de transport urbain ou interurbain de voyageurs à proposer aux autorités organisatrices des offres de transport public prenant en compte la dimension intermodale. C’est pourquoi l’Autorité estime indispensable que tous les opérateurs de transport urbain et interurbain répondant à un appel d’offres en matière de transport public puissent disposer des informations relatives au transport ferroviaire, et en particulier les horaires, dans une gare donnée. Ces informations doivent pouvoir être transmises dans des conditions non discriminatoires et sous format normé afin d’en permettre l’interopérabilité.
     

4. L’Autorité invite enfin les autorités organisatrices à engager une réflexion sur l’allotissement de leurs appels d’offres de transport public, tout en prenant en considération les intérêts des usagers. Si la délégation de la globalité d’un réseau de transport sur une agglomération permet, dans une certaine mesure, à l’entreprise délégataire de bénéficier d’économies d’échelle, elle peut également conduire à un appauvrissement de l’offre, tant du point de vue du nombre d’opérateurs candidats aux appels d’offres que de celui de la qualité des services proposés. Cet appauvrissement potentiel est d’autant plus à souligner dans le contexte de renforcement éventuel de la concentration du secteur. L’allotissement des réseaux, qu’il soit organisé suivant les modes de transports (métro, tramway, bus), ou bien par zone géographique, pourrait stimuler la concurrence, faciliter l’entrée de nouveaux opérateurs et l’émergence de nouveaux services.

 

(1) Le contrôle de cette opération au titre des concentrations vient d’être renvoyé à l’Autorité de la concurrence par la Commission européenne.
(2) Le rapport parlementaire remis au Premier Ministre le 10 mars 2009 par Mme la sénatrice Fabienne Keller, intitulé « La gare contemporaine », a recommandé, en vue de l’ouverture prochaine du secteur à la concurrence, la séparation de l’activité de gestionnaire de gares de la SNCF de son activité concurrentielle de transporteur ferroviaire.

 

L’avis 08-A-17 rendu par le Conseil de la concurrence le 3 septembre 2008 sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et collectifs ainsi qu’à la sécurité des transports est cité à plusieurs reprises dans le présent avis. Il est disponible sur le site internet de l’Autorité de la concurrence pour faciliter la bonne compréhension de ce dernier.

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Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication
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