Liberté d’installation des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires
Le processus d’ouverture progressive des deux professions, qui sont appelées à fusionner dans la nouvelle profession de commissaire de justice en 2022, donne des résultats encourageants et doit se poursuivre.
En application de la « loi Macron », l’Autorité formule de nouvelles recommandations pour favoriser, de manière graduelle, l’installation de nouveaux professionnels.
Sur 99 zones d’installation sur le territoire, l’Autorité en identifie 32 d’installation libre pour les huissiers de justice et 3 pour les commissaires-priseurs judiciaires. Elle y recommande l’installation libérale de respectivement 100 nouveaux huissiers de justice et 3 nouveaux commissaires-priseurs judiciaires d’ici 2022.
L'essentiel
En application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (« loi Macron »), l’Autorité de la concurrence a proposé ce jour aux ministres de la justice et de l’économie des cartes révisées des zones d’installation pour deux professions : les huissiers de justice (« HJ ») et les commissaires-priseurs judiciaires (« CPJ »). Ces cartes sont assorties de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices de chacune de ces professions pour la période 2020-2022. La loi prévoit en effet que ces cartes doivent être révisées tous les deux ans.
Pour mémoire, les premières cartes avaient été adoptées sur propositions de l’Autorité du 20 décembre 2016 (avis n° 16-A-25/communiqué de presse pour les HJ et avis n° 16-A-26/communiqué de presse pour les CPJ) par arrêtés conjoints des ministres de l’économie et de la justice du 28 décembre 2017 (publiés au Journal Officiel). Elles arriveront à échéance le 30 décembre 2019.
Les premiers objectifs de nominations, fixés dans les cartes adoptées en 2017, ne sont pas encore atteints
Les précédentes cartes identifiaient respectivement 64 zones d’installation contrôlée (« zones orange ») pour les HJ, contre 35 zones d’installation libre (« zones vertes »), et 63 zones orange pour les CPJ, contre 36 zones vertes.
Les arrêtés du 28 décembre 2017 précités fixaient un objectif de nomination de 202 HJ et 41 CPJ. En pratique, malgré le nombre très élevé des candidatures (plus de 2 400 pour les HJ et 540 pour les CPJ) et la forte mobilisation des services de la Chancellerie pour instruire les demandes, la longueur et la complexité de la procédure de nomination ont été telles que cet objectif ne sera vraisemblablement pas atteint en décembre 2019.
Des effectifs renforcés et féminisés
Les créations consécutives à la réforme ont permis d’endiguer la baisse du nombre d’HJ libéraux et d’accroître les effectifs de CPJ libéraux au-delà du niveau de 2014, tout en contribuant à la féminisation des deux professions (la proportion de femmes est ainsi passée à 39,7 % en 2019 contre 31,2 % en 2014 pour les HJ, et à 26,8 % en 2019 contre 23,5 % en 2016 pour les CPJ).
Des effets inégaux sur l’âge des professionnels en exercice
Si la réforme a permis un rajeunissement de la profession d’HJ (la moyenne d’âge des nouveaux professionnels nommés est de 43,5 ans pour les hommes et 35 ans pour les femmes, contribuant à abaisser la moyenne d’âge de la profession à 48 ans1), on constate au contraire que la moyenne d’âge des CPJ a légèrement augmenté, passant de 52,9 ans en 2014 à 53,7 ans en 2019.
L’Autorité recommande la nomination de 100 nouveaux HJ libéraux de 3 nouveaux CPJ libéraux au cours des deux prochaines années
L’Autorité estime que le potentiel à l’horizon 2026 est compris entre 450 et 500 installations de nouveaux HJ libéraux et entre 25 et 30 installations de nouveaux CPJ libéraux. Pour atteindre cet objectif, et compte tenu des éléments pertinents recueillis lors de l’instruction pour analyser l’évolution de l’activité des deux professions à court terme, l’Autorité recommande au Gouvernement la création d’offices supplémentaires permettant l’installation libérale de 100 nouveaux HJ dans 32 zones d’installation et 3 nouveaux CPJ dans 3 zones d’installation sur la période de validité de la prochaine carte (2020–2022), chiffres auxquels il conviendra d’ajouter le reliquat des recommandations qui n’auraient pas pu être satisfaites sur la période 2020-2022. Le rythme de création retenu est donc un peu plus lent que pour la carte précédente (2018-2020).
Parallèlement, l’Autorité a respectivement défini 67 et 96 zones orange, dans lesquelles elle n’a pas identifié de besoin a priori de création d’offices d’HJ et de CPJ. S’agissant des HJ, 9 anciennes zones vertes (le Finistère et l’Isère, par exemple) ont bénéficié de la création d’un ou plusieurs offices en application de la carte 2018-2020, de sorte que l’offre et la demande de services d’huissiers de justice y coïncident désormais. S’agissant des CPJ, le maillage territorial apparaît renforcé, plusieurs anciennes « zones vertes » dans la première carte étant devenues orange dans la deuxième, essentiellement des zones rurales (à l’instar de la Sarthe, le Doubs, la Somme ou l’Ain) qui ont bénéficié de la création d’un office en application de la précédente carte.
Enfin, l’Autorité a assorti sa proposition de carte de six séries de recommandations, qui sont spécifiquement destinées à améliorer la mise en œuvre de la réforme et garantir, partant, la liberté d’installation des HJ et des CPJ.
1Ministère de la justice, DACS, Pôle d’évaluation de la justice civile, « Statistique sur la profession d’avocat – situation au 1er janvier 2019 »
Une deuxième étape dans l’application des dispositions de la « loi Macron »
Le cadre législatif et réglementaire
Officiers publics et ministériels, les HJ et les CPJ sont nommés par le garde des Sceaux, ministre de la justice, dans un office existant, vacant ou créé. La loi Macron a introduit un principe de liberté d’installation régulée, afin d’abaisser les barrières à l’entrée de ces professions et d’adapter le maillage territorial aux besoins de l’économie.
Dans le cadre de ce dispositif, la mission de l’Autorité2 consiste à proposer au Gouvernement, tous les deux ans, des cartes3 qui identifient des zones où l’installation respective d’HJ et de CPJ est libre (« zones vertes »)4 et des zones où cette installation est contrôlée (« zones orange »)5.
Les premières cartes proposées par l’Autorité dans le cadre des avis n° 16-A-25 et n° 16-A-26 du 20 décembre 2016 ont été homologuées par deux arrêtés conjoints des ministres de la justice et de l’économie du 28 décembre 2017, qui ont respectivement défini 35 et 36 zones vertes (sur un total de 99 zones), dans lesquelles 202 nouveaux HJ et 41 nouveaux CPJ libéraux étaient appelés à s’installer d’ici fin 2019.
État des lieux de l’offre et bilan des créations d’offices
Avant de formuler de nouvelles recommandations pour la période 2020-2022, l’Autorité a procédé à un état des lieux de l’offre et de l’implantation des professionnels concernés. Elle s’est attachée à dresser un diagnostic quantitatif et qualitatif de l’offre sur la période 2014-2018, en s’appuyant sur les dernières données économiques et financières consolidées disponibles. Sur cette base, l’Autorité fait les constats suivants :
- S’agissant du nombre d’offices, en 2018, on observe la première création nette d’offices depuis plus de 10 ans avec 55 offices d’HJ et 28 offices de CPJ créés en application de la loi du 6 août 2015 précitée. Ces créations récentes ont permis d’endiguer la baisse du nombre d’HJ libéraux, mais pas encore de rattraper les effectifs de 2014 ; en ce qui concerne les CPJ, en revanche, les effectifs de professionnels libéraux ont crû au-delà du niveau de 2014 ;
- Une répartition du chiffre d’affaires relativement homogène chez les HJ, et globalement stable sur la période, en comparaison de celle du chiffre d’affaires des CPJ, qui est très hétérogène selon les zones et globalement en baisse de 5 % en moyenne par an depuis 2016 ;
- Un taux de marge relativement élevé pour les HJ, malgré un léger6 fléchissement par rapport à la période 2012-2014, qui équivaut à la baisse du taux de marge des CPJ7 sur la même période ;
- Un maillage territorial renforcé, grâce à la création d’offices d’HJ dans des zones qui en comptaient moins de 10, notamment dans la Meuse et l’Indre, et à la création d’offices de CPJ dans des zones qui en étaient dépourvues, notamment dans l’Ain et la Corse du Sud ;
- Un plus grand choix pour les clients et de meilleurs débouchés pour les HJ et les CPJ diplômés. D’un point de vue qualitatif, ces arrivées de nouveaux professionnels libéraux ont eu un effet bénéfique sur l’offre, avec un plus grand choix pour les clients et une proximité accrue, mais également la création de débouchés professionnels pour les diplômés qui exerçaient jusqu’à présent en tant qu’officiers ministériels salariés ou étaient en recherche d’emploi, et qui peuvent désormais accéder plus aisément à l’exercice libéral de leur profession.
Les recommandations quantitatives de l’Autorité pour la période 2020-2022 : 100 nouveaux huissiers de justice et 3 nouveaux commissaires-priseurs judiciaires
Pour ses travaux de révision de la carte, l’Autorité a décidé de reconduire la méthodologie suivie pour l’élaboration des premières cartes des deux professions, celle-ci ayant été validée en tous points par le Conseil d’État l’occasion du contentieux introduit contre la carte des HJ (décision n° 417958 du 21 août 2019).
En appliquant cette méthode à des données actualisées, concernant le chiffre d’affaires et les effectifs des deux professions notamment, et en raisonnant à partir de la situation où, à la date d’échéance de la première carte, toutes les nominations prévues par les arrêtés du 28 décembre 2017 seraient effectives (ce qui constitue une approche protectrice pour les professionnels puisque, dans les faits, tel ne sera pas le cas), l’Autorité estime que le potentiel à l’horizon 2026 est compris entre 450 et 500 nouveaux HJ et entre 25 et 30 nouveaux CPJ libéraux.
Pour atteindre cet objectif, et compte tenu des différents éléments pertinents recueillis lors de l’instruction, elle propose la création d’offices supplémentaires permettant l’installation libérale de 100 nouveaux HJ répartis sur 32 zones d’installation et 3 nouveaux CPJ répartis sur 3 zones d’installation (sur un total de 99 zones) sur la période de validité de la prochaine carte (2020–2022), proportionnellement aux besoins identifiés localement. Il conviendra d’y ajouter le reliquat des recommandations non satisfaites sur la période précédente (2018-2020).
L’Autorité propose, par conséquent, les deux cartes révisées suivantes :
2Article L. 462-4-1 du code de commerce, et article 52 de la loi Macron.
3Les zones concernées recouvrent l’ensemble des départements de métropole, à l’exception de ceux du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. En outremer, les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion et de Mayotte sont tous concernés, ainsi que les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
4Dans les zones « où l’implantation d’offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services », les demandes des candidats à l’installation remplissant les conditions prévues ont vocation à être acceptées, dans la limite du rythme de création recommandé.
5Dans les zones où aucun besoin de création n’a été identifié a priori, le ministre de la Justice ne peut refuser une demande de nomination dans un nouvel office que si elle est susceptible de « porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants et à compromettre la qualité du service rendu ». Le refus ministériel est motivé. Il intervient après un avis de l’Autorité de la concurrence rendu public.
6Pour 50 % des offices d’HJ, ce taux dépasse 33 %, alors qu’il dépassait 36 % sur la période précédente.
7Pour 50 % des offices de CPJ, ce taux dépasse 32 %, alors qu’il dépassait 36 % sur la période précédente.
Les recommandations qualitatives de l'Autorité
Pour assurer le succès de la réforme et comme le législateur l’a souhaité, l’Autorité formule enfin au Gouvernement six séries de recommandations visant à :
1) prévoir un régime transitoire entre deux cartes afin de s’assurer que les nominations éventuellement restantes soient effectuées, même si la carte précédente est arrivée à échéance. Un report de l’objectif de nomination fixé pour la période 2018-2020 dans la deuxième carte pourrait ainsi être effectué.
2) améliorer la procédure de nomination en zone orange en veillant, par exemple, à la publication sur le site Internet du ministère de la justice des décisions du garde des Sceaux relatives aux demandes de créations d’offices dans ces zones.
3) améliorer la procédure de nomination en zone verte, en limitant notamment les candidatures à un nombre réduit de zones (3 par exemple) dans les 24 heures suivant l’ouverture du dépôt des candidatures. Il est également proposé de permettre aux candidats d’exprimer un ordre de préférence entre leurs différentes demandes, mais aussi d’organiser un tirage au sort électronique et simultané dans toutes les zones, d’améliorer la transmission d’informations personnalisées aux candidats sur l’état d’avancement de l’instruction des candidatures et l’évolution de leur rang. Enfin, le délai maximal entre nomination et prestation de serment pourrait être allongé et un délai entre prestation de serment et obligation d’instrumenter pourrait être officiellement institué (par exemple : 6 mois).
S’agissant des HJ, l’Autorité recommande également de clarifier, par des directives nationales, les rôles respectifs des intervenants en charge de l’organisation de la prestation de serment des professionnels nommés au niveau local.
4) abaisser les barrières à l’entrée pour les candidats à l’installation. Les règles relatives à la sollicitation personnalisée pourraient être clarifiées pour éviter toute divergence d’interprétation, mais aussi assouplies, pour que les nouveaux professionnels nommés soient effectivement en mesure de se faire connaître et d’élargir leur clientèle.
S’agissant des CPJ et des futurs commissaires de justice, il pourrait également être mis un terme au « monopole à la résidence ».
5) améliorer le dispositif d’élaboration des cartes en optimisant les procédures de collecte des données économiques nécessaires à l’élaboration des recommandations de créations d’offices mais aussi en améliorant la qualité des données transmises par les instances et en rendant obligatoire la mise en place d’un outil de suivi de l’activité des bureaux annexes pour permettre une analyse plus précise de l’activité des offices. Il est également préconisé d’associer l’Autorité à l’élaboration du rapport prévu au VII de l’article 52 de la loi du 6 août 2015 sur l’opportunité d’étendre l’application de la liberté d’installation aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
6) améliorer l’accès des femmes et des jeunes aux offices par l’extension aux professions d’HJ et de CPJ, bientôt fusionnées dans celle de commissaire de justice, du dispositif prévu par l’ordonnance n° 2015 949 du 31 juillet 2015 relative à l’égal accès des hommes et des femmes au sein des ordres professionnels et faciliter l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle des commissaires-priseurs judiciaires (système de « professionnel remplaçant » lors des congés maternité ou paternité).