L’Autorité sanctionne à hauteur de 302 millions d’euros les trois principaux fabricants de revêtements de sols en PVC et linoléums pour s’être entendus notamment sur les prix
L’essentiel
Sur la base d’indices transmis par la DGCCRF, l’Autorité s’est saisie d’office et a mené, en 2013, des opérations de visite et saisie dans le secteur des revêtements de sols. Elle rend aujourd’hui une décision par laquelle elle sanctionne pour entente les trois fabricants leaders des revêtements de sols PVC et linoléums en France, Forbo, Gerflor et Tarkett ainsi que le syndicat professionnel des revêtements de sols, le SFEC (Syndicat Français des Enducteurs Calandreurs et Fabricants de Revêtements de Sols et Murs).
L’Autorité a mis au jour trois pratiques mises en œuvre par les fabricants :
- une entente entre les trois principaux fabricants de revêtement de sols PVC en France portant sur de nombreux aspects de la politique commerciale, dont les prix, et constituant un plan d’ensemble visant à réduire drastiquement, voire à totalement supprimer, la concurrence dans le secteur de la fabrication et la commercialisation des produits de revêtements de sols PVC et linoléums, et à stabiliser les situations respectives de Forbo, Gerflor et Tarkett ;
- l’échange, sous l’égide du SFEC, d’informations confidentielles précises relatives à leur activité leur permettant d’ajuster leur politique commerciale ;
- la signature, avec le concours du SFEC, d’un pacte de non concurrence concernant la communication sur les performances environnementales de leurs produits.
Ni les entreprises, ni le syndicat n’ont contesté les faits.
Dans le calcul des sanctions, l’Autorité a pris en compte la gravité des pratiques, leur durée - jusqu’à 23 ans pour l’une d’elles, 9 et 10 ans pour les deux autres - les demandes de clémence1 présentées par Forbo et Tarkett, enfin le recours à la procédure de transaction pour l’ensemble des participants à l’entente.
Les produits concernés par l’entente
Il existe principalement deux canaux de vente :
- le canal « Bâtiment » destiné aux professionnels (distributeurs, grossistes en matériaux de construction, entreprises de pose) en vue de les revendre ou de les poser dans le cadre d’un chantier ;
- le canal « Grand public » destiné aux particuliers lesquels peuvent acheter directement dans les grandes et moyennes surfaces spécialisées en bricolage (Mr Bricolage, Bricorama, Castorama, Leroy Merlin, etc.) ou indirectement auprès des distributeurs et grossistes, lorsqu’ils font appel à un artisan pour la pose des matériaux.
Les fabricants se réunissaient secrètement pour échanger, notamment, sur les prix
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Des réunions secrètes dans des hôtels parisiens ou de province
À titre d’illustration, s’agissant des hausses de prix générales, les trois concurrents discutaient, pour chaque catégorie de revêtements de sols, des taux de hausses de prix, qui variaient légèrement selon le fabricant, des dates d’application de ces hausses, qui pouvaient être décalées ou concomitantes, et désignaient l’entreprise qui enverrait la première sa circulaire de hausse à ses clients.
« (…) L’idée n’était pas d’organiser une répartition mais simplement d’établir une différenciation entre les prix de nos produits qui ne soit pas pénalisante sur un plan commercial. De manière générale, nous respections les prix minimums convenus avec Gerflor et Tarkett (…). » (voir § 94 de la décision de l’Autorité)
« L’objectif de la fixation des prix minimums était de maintenir les prix les plus bas à un certain niveau. (…) » (voir § 99 de la décision de l’Autorité)
Le directeur général de Tarkett France a précisé le sens de ces échanges :
« (…) il y avait un accord selon lequel il ne fallait pas aller en dessous de ces prix planchers, ces derniers étant peu ou prou équivalents entre Forbo, Gerflor et Tarkett. » (§ 97 de la décision de l’Autorité)
« Il fallait toutefois que les prix minimums des trois fabricants ne soient pas strictement identiques. Nous veillions donc à ce que nos prix soient différents à au moins quelques centimes d’euros près : + ou – 10 centimes sur les produits haut de gamme, + ou – 2 à 3 centimes sur les produits d’entrée de gamme. » (§ 98 de la décision de l’Autorité)
À l’origine, ces réunions, organisées à tour de rôle, se tenaient en marge des réunions officielles du SFEC ou dans un café proche des locaux du syndicat. Elles se sont, par la suite, déroulées dans des hôtels ou restaurants parisiens et également en province (voir § 63 de la décision). Le Novotel de Charenton-le-Pont ou celui situé près de la gare de Lyon à Paris ont ainsi accueilli ces réunions « 1 ; 2 ; 3 ». Les pièces au dossier (relevés bancaires, factures d’hôtellerie et de restauration, reçus de télépéage, agendas…) recensent l’existence de près d’une trentaine de réunions ayant servi de cadre à l’entente illicite, sans compter les réunions sur des problématiques précises (17 réunions sur la relation client).
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Un système sophistiqué d’échanges téléphoniques
Des données confidentielles échangées au sein du SFEC
En discutant très fréquemment (réunions annuelles et trimestrielles) de leurs positions et de leurs ventes sur le marché, les entreprises pouvaient ainsi mieux se situer sur le marché et adapter leur stratégie et politique commerciale.
Les directeurs généraux successifs de Tarkett France ont souligné que « l’intérêt était de connaître nos parts de marché respectives afin de pouvoir nous situer, analyser nos points forts et nos points faibles et ainsi adapter notre stratégie et notre politique commerciale en fonction des résultats. » (§ 355 de la décision de l’Autorité)
Des propos confirmés par Gerflor : « L’intérêt était de nous mesurer par rapport aux concurrents et aussi de connaître les tendances du marché pour certains produits déterminés. Avoir les parts de marché des concurrents nous permettait de savoir à qui nous avions éventuellement pris des parts de marché, ce qui était intéressant » (§ 352 de la décision de l’Autorité) « Cela nous permettait par exemple de mettre en place une politique produit pour nous adapter au marché. » (§ 356 de la décision de l’Autorité)
Entamées en 1990, ces pratiques n’ont cessé qu’à la suite des opérations de visite et saisie menées par l’Autorité en 2013.
Un accord de non-concurrence sur la communication environnementale
Forbo, Gerflor et Tarkett et le syndicat ont, enfin, rédigé et signé une charte interdisant à chaque entreprise de communiquer sur les performances environnementales individuelles de ses produits. Les fabricants ne pouvaient communiquer sur les performances environnementales de leurs produits que sur les bases des fiches collectives élaborées au sein du syndicat.
Cet accord tendait, selon les termes de la charte, à supprimer toutes « démarches marketing concurrentielles sur les caractéristiques environnementales » et « éviter toute polémique stérile portant sur tel ou tel produit et à adopter une démarche marketing cohérente » afin d’éviter un « dangereux marketing vert. »
Leroy Merlin, qui souhaitait communiquer vis-à-vis de ses clients sur le taux d’émission par produit des composés organiques volatils (COV), s’est vu opposer une fin de non-recevoir.
Le SFEC a adressé un courrier à Leroy Merlin le 21 décembre 2009 lui expliquant qu’« il nous paraît suffisant et utile à ce jour d’identifier pour les consommateurs les produits qui sont deux fois meilleurs que la future réglementation française (…) aller au-delà, vu le niveau de connaissance et de compréhension qu’ils ont des émissions dans l’air, ne leur apportera aucune valeur ajoutée » (§ 402 de la décision de l’Autorité).
Ces pratiques ont duré de 2002 à 2011.
Des pratiques graves qui ont empêché le libre jeu de la concurrence
En s’entendant sur les prix, leur évolution, les hausses ainsi que sur différents aspects de leurs stratégies commerciales, Forbo, Gerflor et Tarket, qui représentaient entre 2001 et 2012 entre 65 % et 85 % du marché suivant les circuits de distribution (« Grand public » et « Bâtiment »), ont affecté plusieurs paramètres essentiels du jeu de la concurrence, ce qui a conduit les entreprises en cause à adopter un comportement sur le marché différent de celui qu’elles auraient eu en temps normal.
En s’échangeant des informations stratégiques relevant du secret des affaires, pratique dont elles connaissaient l’illégalité, elles ont été en mesure d’adapter et d’ajuster leur politique commerciale.
Enfin, l’accord de non-concurrence sur la communication environnementale a pu les dissuader d’améliorer les performances techniques et d’innover pour accroître la qualité environnementale de leurs produits.
Au-delà de la gravité des pratiques, l’Autorité a tenu compte, dans le calcul des sanctions, de leur caractère massif et institutionnalisé, ainsi que de leur longue durée, impliquant de hauts responsables des différentes entreprises. L’Autorité a également pris en considération les demandes de transaction présentées par l’ensemble des entités concernées qui ont conduit à diminuer les montants de sanction encourues. Enfin deux entreprises (Forbo et Tarkett) avaient présenté des demandes de clémence, qui leur ont permis de bénéficier de réductions substantielles de sanction, eu égard à leur contribution importante au cours de l’instruction.
En conséquence, l’Autorité a prononcé les sanctions suivantes :
Organisme ou entreprise | Montant de la sanction |
---|---|
Tarkett | 165 000 000 € |
Forbo | 75 000 000 € |
Gerflor | 62 000 000 € |
SFEC | 300 000 € |
Total | 302 300 000 € |
1La procédure de clémence permet aux entreprises qui participent ou ont participé à une entente d’en révéler l’existence à l’Autorité et d’obtenir, sous certaines conditions, le bénéfice d’une exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire, en fonction notamment de leur rang d’arrivée à l’Autorité, de la valeur ajoutée des pièces apportées et de leur coopération à l’enquête.