L’Autorité sanctionne Doctolib à hauteur de 4 665 000 euros pour avoir abusé de sa position dominante dans le secteur de la prise de rendez-vous médicaux en ligne et des solutions de téléconsultation médicale

Doctolib

L'essentiel

À la suite d’une plainte de Cegedim Santé et d’une opération de visite et saisie réalisée en 2021, l’Autorité sanctionne Doctolib, à hauteur de 4 665 000 euros, pour avoir exploité de manière abusive sa position dominante sur les marchés des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne (service Doctolib Patient) et des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations médicales (service Doctolib Téléconsultation), en mettant en œuvre deux infractions consistant respectivement :

- d’une part, à imposer à ses abonnés de recourir exclusivement à ses services, via la présence dans ses contrats d’abonnement de clauses d’exclusivité et à imposer aux abonnés à Doctolib Téléconsultation de souscrire préalablement à Doctolib Patient ;

- d’autre part, à avoir fait disparaître son principal concurrent, la société MonDocteur, en procédant à son acquisition le 10 juillet 2018, afin de verrouiller le marché national des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne et de consolider sa position sur un marché alors encore émergent.

L’Autorité, après avoir examiné l’ensemble des spécificités du dossier, a prononcé une sanction de 4 615 000 euros au titre des pratiques d’exclusivité et de ventes liées.

S’agissant de l’acquisition de la société MonDocteur, l’Autorité a sanctionné pour la première fois au titre des articles 102 du TFUE et L.420-2 du code de commerce une opération de concentration située sous les seuils nationaux de notification et n’ayant pas fait l’objet d’un examen ex ante à ce titre. Tenant compte toutefois de l’incertitude juridique prévalant antérieurement à l’arrêt Towercast de la CJUE du 16 mars 2023, elle a prononcé une sanction forfaitaire de 50 000 euros.

Elle a, par ailleurs, enjoint à Doctolib de publier un résumé de la présente décision dans l’édition papier et sur le site Internet du journal « Le Quotidien du Médecin ».

Les marchés des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne et des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations

  • Le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne

Les services de prise de rendez-vous médicaux en ligne, tels que le service « Doctolib Patient », créé en 2013, permettent aux professionnels de santé de gérer en ligne leur agenda médical et de l’ouvrir aux patients, qui peuvent ainsi réserver directement un rendez-vous. Cet outil intègre des fonctionnalités de confirmation et de rappels automatisés de rendez-vous. Pour les patients, la plateforme est accessible via un site Internet ou une application mobile. Elle leur offre la possibilité de rechercher un professionnel de santé selon différents critères, puis de réserver une consultation en cabinet ou à distance.

Le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne est donc un marché biface qui met en relation d’un côté des professionnels de santé et de l’autre des patients. L’interaction entre ces deux groupes engendre des effets de réseau : les patients sont attirés par les plateformes proposant un large choix de professionnels de santé et ces derniers ont tendance à favoriser les plateformes utilisées par un grand nombre de patients.

Ce marché a connu une forte accélération depuis la crise sanitaire, le Gouvernement ayant notamment confié, en 2021, à certaines de ces plateformes (Doctolib, Maiia et KelDoc) la gestion des rendez-vous en ligne lors de la campagne de vaccination contre la Covid-19.

  • Le marché des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations

Les services de téléconsultation, tels que le service « Doctolib Téléconsultation », crée en 2019, mettent à disposition des praticiens et de leurs patients une interface sécurisée de vidéotransmission, conforme aux exigences du code de la santé publique, afin de réaliser des actes médicaux à distance. La crise sanitaire a fortement développé le recours à la téléconsultation à compter du mois de mars 2020.

 

Doctolib est en position dominante sur le marché français des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne ainsi que sur le marché français des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations

  • La position dominante de Doctolib sur le marché français des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne

Doctolib, compte tenu de ses parts de marché et de celles, beaucoup plus faibles, de ses concurrents, de leur évolution, des barrières à l’entrée sur le marché et de l’absence de puissance d’achat compensatrice, est en position dominante sur le marché français des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne, au moins depuis 2017.

En effet, ses parts de marché, que ce soit en nombre de clients de services de prise de rendez-vous médicaux en ligne ou en chiffre d’affaires réalisé via ces services, sont de manière constante supérieures à 50 % entre 2017 et 2022 et dépassent certaines années 90 %.

  • La position dominante de Doctolib sur le marché français des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations

Depuis son entrée sur le marché, les parts de marché de Doctolib, que ce soit en nombre de clients ou en nombre de téléconsultations réalisées via ces solutions, sont supérieures à 40 %. Compte tenu, là encore, des barrières à l’entrée sur le marché et de l’absence de puissance d’achat compensatrice, Doctolib est en position dominante sur le marché français des solutions technologiques dédiées permettant la réalisation de téléconsultations médicales depuis 2019.

 

Doctolib a abusé de sa position dominante en combinant des pratiques d’exclusivité et de ventes liées

Doctolib a délibérément mis en œuvre plusieurs pratiques anticoncurrentielles, au sein d’une infraction unique, répondant à une stratégie anticoncurrentielle globale, structurée et cohérente visant à verrouiller les marchés concernés et évincer les entreprises concurrentes.

  • La présence de clauses d’exclusivité dans les contrats d’abonnement

Doctolib a imposé, jusqu’au mois de septembre 2023, dans ses contrats d’abonnement avec les professionnels de santé, une clause d’exclusivité, combinée à une clause dite « anti-allotement » permettant à Doctolib de suspendre ou résilier le contrat. Ces clauses interdisaient aux professionnels de santé, ou dissuadaient ces derniers, de recourir à des services de prise de rendez-vous médicaux ou à des solutions de téléconsultation concurrents de ceux de Doctolib.

De nombreux documents internes de Doctolib corroborent cette volonté d’imposer l’exclusivité aux professionnels de santé, ses dirigeants affichant la volonté « [d’] être une interface obligatoire et stratégique entre le médecin et son patient afin de les verrouiller tous les deux ».

Pour, selon ses propres termes, « ne laisse[r] aucun cabinet à la concurrence » et ainsi évincer ses concurrents, Doctolib a volontairement maintenu cette clause d’exclusivité dans ses contrats et cela alors même que sa direction juridique l’avait alertée sur le fait qu’une telle clause « est illégale au regard du droit de la concurrence ». Ainsi, bien que la direction juridique ait indiqué « [j’] insiste vraiment fortement pour la supprimer », le président de Doctolib a pourtant décidé de la maintenir, arguant « qu’il faut stratégiquement la garder ».

L’Autorité constate que cette clause a limité le choix des professionnels de santé, dès lors que Doctolib, sous prétexte de difficultés techniques ou opérationnelles, exigeait de ceux déjà abonnés à un service concurrent qu’ils résilient leur abonnement avant de pouvoir souscrire à Doctolib Patient.

Elle a également entravé le développement des opérateurs concurrents, particulièrement ceux de petite taille, aux ressources limitées, mais également des opérateurs adossés à des groupes de fournisseurs historiques de logiciels de gestion de cabinet. Certains opérateurs, tels que Solocal ou Qare, ont cessé de développer leur service ou ont même abandonné l’idée d’en développer.

  • L’obligation pour les praticiens de souscrire à Doctolib Patient pour pouvoir utiliser Doctolib Téléconsultation

Dès le lancement de Doctolib Téléconsultation en 2019, les contrats d’abonnement prévoyaient la souscription préalable obligatoire à Doctolib Patient pour accéder à cette solution. Le professionnel de santé était donc obligé de régler les deux prestations cumulativement. 

Cette pratique a été activement mise en œuvre sur le plan commercial par Doctolib, qui imposait notamment aux clients d’autres services de prise de rendez-vous ou d’autres solutions de téléconsultation d’installer préalablement Doctolib Patient : « dans le cas où un praticien est client d’une solution concurrente de téléconsultation mais pas encore client de l’agenda Doctolib, il faut tout d’abord lui installer l’agenda pour que 30 jours plus tard on puisse lui installer la téléconsultation ». Elle a eu pour effet d’augmenter le nombre de clients de Doctolib Patient et ainsi la position dominante détenue par Doctolib sur le marché national des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne. En effet, en liant les deux services et en imposant la souscription préalable à Doctolib Patient pour bénéficier de Doctolib Téléconsultation, les clients n’avaient d’autre choix que de recourir au service de Doctolib, au détriment des services concurrents de prise de rendez-vous en ligne.

 

Doctolib a racheté la société MonDocteur, son principal concurrent, dans le but de verrouiller le marché national des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne

En juillet 2018, Doctolib a racheté la société MonDocteur, qualifiée dans des documents internes de « concurrent # 1 ». Ce rachat n’a pas fait l’objet d’un examen dans le cadre du contrôle des concentrations, l’opération se situant sous les seuils de notification qui déclenchent un examen ex ante de la part des autorités de concurrence. L’Autorité a donc examiné cette opération de concentration en application de la jurisprudence Towercast de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mars 2023 (C-449/21).

Dans cet arrêt, la Cour de justice a considéré qu’une opération de concentration, non notifiée au titre du contrôle européen ou national des concentrations, pouvait, à elle seule, constituer un abus de position dominante au sens des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce. La Cour a toutefois précisé que le simple constat du renforcement de la position dominante d’une entreprise ne suffit pas, à lui seul, à caractériser un abus lors d’une opération de concentration. Il convient de démontrer que le degré de domination ainsi atteint est de nature à entraver substantiellement la concurrence, c’est-à-dire à ne laisser subsister que des entreprises dont le comportement demeure dépendant de celui de l’entreprise dominante.

En l’espèce, l’acquisition de MonDocteur a été réalisée dans un but d’éviction et de verrouillage du marché et a permis à Doctolib de consolider son pouvoir de marché sur le marché national des services de prise de rendez-vous médicaux tout en évinçant son principal concurrent. Des éléments internes confirment la volonté de « killer le produit », et indiquent que pour Doctolib « la création de valeur […] n’est pas l’ajout de l’actif [MonDocteur] mais sa disparition en tant que concurrent ». Un document rédigé à la demande de Doctolib indique ainsi qu’à la suite de l’acquisition de MonDocteur « Doctolib fonctionnera sans plus aucune concurrence en France ».

Cette opération a permis à Doctolib de gagner 10 000 nouveaux professionnels de santé et d’augmenter sensiblement et durablement ses parts de marché. En outre, dans plusieurs documents internes saisis lors des perquisitions, on peut lire que Doctolib voyait au travers de cette acquisition le moyen de « réduire la pression sur les prix » et un levier pour « augmenter [ses] prix de 10 à 20% ». Doctolib a bien procédé ultérieurement à plusieurs augmentations successives de ses tarifs. L’Autorité constate que ces augmentations ont été plus importantes que celles initialement envisagées (de 3 points de pourcentage supplémentaires) sans que cela engendre de perte de clientèle et freine sa croissance, et ce bien que les plateformes concurrentes pratiquaient des prix inférieurs aux siens.

Au regard de ces éléments, l’Autorité a considéré que cette opération de concentration constituait un abus de position dominante contraire aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce.

 

L’Autorité prononce une sanction globale de 4 665 000 euros

Les pratiques mises en œuvre par Doctolib ont bien eu pour effet, au moins potentiel, et ce quels que soient les mérites propres de cette entreprise, qui ne sont pas contestés, d’évincer les concurrents sur les marchés concernés.

D’une part, l’Autorité considère que Doctolib a mis en œuvre, par les deux pratiques d’exclusivité et de ventes liées, une infraction, unique complexe et continue en élaborant une stratégie globale anticoncurrentielle visant à verrouiller le marché et à évincer ses concurrents. L’Autorité prononce à ce titre une sanction de 4 615 000 euros.

D’autre part, Doctolib a acquis la société MonDocteur, dans le seul et unique but de faire disparaitre son principal concurrent et de verrouiller le marché. Pour la première fois, l’Autorité sanctionne une entreprise pour avoir procédé à une acquisition prédatrice sur le fondement de l’arrêt Towercast du 16 mars 2023 de la Cour de justice de l’Union européenne. L’Autorité relève néanmoins que la pratique mise en œuvre par Doctolib avait pour point de départ une date antérieure à l’arrêt Towercast, qui a clarifié la jurisprudence en réaffirmant la portée de l’arrêt Continental Can du 21 février 1973, appliquant les règles relatives aux abus de position dominante aux opérations de concentration. Prenant en compte l’incertitude juridique prévalant antérieurement à cet arrêt, elle prononce une sanction de
50 000 euros au titre de cette pratique.

Enfin l’Autorité enjoint à Doctolib de publier un résumé de la décision dans l’édition papier et sur le site Internet du journal « Le Quotidien du Médecin ».

Support de présentation

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Chargé de communication, responsable des relations avec les médias

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