L’Autorité de la concurrence rend public son avis dans lequel elle procède  au décryptage d’un marché très complexe, marqué par un équilibre concurrentiel fragile.

Compte tenu des préoccupations exprimées par les acteurs du secteur, le rapporteur général annonce que ses services vont  procéder à un examen  préliminaire des éléments rassemblés afin d’estimer s’il y a lieu d’ouvrir une (ou plusieurs) enquête(s) contentieuse(s). 

Une vaste enquête sectorielle d’initiative

Il y a plus d’un an, l’Autorité de la concurrence a lancé une vaste enquête sectorielle sur la publicité en ligne. Elle rend aujourd’hui ses conclusions au terme d’une large consultation de tous les acteurs du marché. Auditions, questionnaires ciblés, consultation en ligne, séances du collège se sont succédé pour comprendre le plus finement possible le fonctionnement du secteur. Dans son avis, l’Autorité décrit sur près d’une centaine de pages les lignes de forces et les mécanismes de fonctionnement de ce secteur. Cet avis lui permettra, lorsqu’elle sera saisie ou lorsqu’elle se saisira de problèmes concurrentiels dans le secteur, de disposer d’un cadre d’analyse très précis lui permettant d’instruire plus efficacement les dossiers se présentant à elle.

Ce communiqué n’est qu’un reflet partiel de l’ensemble du travail mené par l’Autorité. Pour plus de détails, il convient de se référer au texte intégral de l’avis et à sa synthèse.

L’avis rendu aujourd’hui étudie la publicité dite « display » c’est-à-dire les pavés, bannières, habillages qui sont intégrés au contenu d’un site pour être vus des internautes. Elle se distingue de la publicité liée aux recherches dite « search» que l’Autorité a étudiée en 2010 (voir le communiqué de presse du 14 décembre 2010). Cet avis se situe également dans le prolongement de la publication, le 10 mai 2016, de l’étude conjointe de l’Autorité et de son homologue allemand du Bundeskartellamt sur les données et leurs enjeux pour l’application du droit de la concurrence2.

LA PUBLICITÉ SUR INTERNET : 1ER MEDIA PUBLICITAIRE EN FRANCE

La publicité sur Internet est devenue en France le 1er média publicitaire (devant la télévision). Les investissements publicitaires y sont  estimés entre 3,5 et 4,2 milliards d’euros en 2016, la France se situant  au 3ème rang européen derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. La croissance du secteur est soutenue (12 % en France en 2017), portée par la généralisation des technologies programmatiques - qui permettent l’automatisation de la mise en place et de la diffusion des campagnes -, le développement de la publicité vidéo et le fort taux d’utilisation des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des plateformes de partage de vidéos.

L’une des explications du succès de la publicité en ligne, notamment par rapport à la publicité télévisée, tient aux possibilités de ciblage qu’elle permet grâce aux données collectées.

Un vaste ensemble de données sont en effet recueillies lors de la navigation des internautes : données clients (centres d’intérêt, âge, sexe, langue), données de contact (adresse mail, numéro de téléphone), données de navigation (pages consultées, temps passé sur le site…), données d’achat (produits achetés, nombre de commandes), données de géolocalisation, centres d’intérêt, données géographiques, sociodémographiques…

Aujourd’hui, accéder à ces données est crucial pour les entreprises dans la mesure où elles leur permettent de mettre en place des publicités ciblées et ainsi d’adresser une population identifiée. Ce bouleversement majeur dans le secteur de la publicité a conduit tout un écosystème à se mettre en place.

UN SECTEUR AU FONCTIONNEMENT COMPLEXE DOMINÉ PAR DES ACTEURS GLOBAUX

  • Un secteur marqué par la présence de nombreux acteurs…

En quelques années, ce mouvement a fait naître de nouveaux métiers, de nouveaux acteurs, tels que Criteo spécialisé dans le ciblage par action (retargeting3), et de nouvelles technologies. Des services sont apparus pour les annonceurs comme les trading desks, plateformes spécialisées dans l’achat programmatique et l’optimisation des campagnes ou les Demand Side Platforms (DSP), qui optimisent et automatisent l’achat d’espaces publicitaires. Côté éditeurs, les Supply Side Platforms (SSP), qui optimisent et automatisent la vente d’espaces publicitaires, se sont développés comme les Ad Networks, qui s’apparentent à des régies publicitaires qui commercialisant les espaces des petits sites indépendants.

L’étude de l’Autorité a permis de décrire et de décrypter de façon exhaustive le fonctionnement de ce nouveau marché dont l’une des caractéristiques est la complexité des processus à l’œuvre. Il fait intervenir de nombreux acteurs - tant du côté des éditeurs que des fournisseurs de services d’intermédiation, dont les processus sont fondés sur des prestations pointues et innovantes sur le plan technologique mais aussi très « séquencées », lesquelles peuvent donner une impression d’opacité.
> Pour plus de détails sur le fonctionnement du secteur, voir les pages 16 et suivantes de l’avis

Si de très nombreux acteurs sont entrés sur le marché et ont pu capter une partie de la valeur du marché de la publicité en ligne, l’équilibre concurrentiel du secteur est fragile, les acteurs étant confrontés à la concurrence d’acteurs globaux, présents à plusieurs échelons de la chaîne de valeur (édition, intermédiation), au premier rang desquels Google et Facebook.
 

  • …Avec deux opérateurs majeurs : Google et Facebook

Facebook et Google, les deux leaders du secteur de la publicité en ligne, fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs. Le succès de leurs services publicitaires sont fondés sur l’exploitation du volume colossal d’informations dont ils disposent grâce à la popularité de leurs sites. Au niveau mondial comme au niveau français, la majorité des revenus dans le secteur est d’ailleurs réalisée par ces deux opérateurs.

L’Autorité a identifié plusieurs avantages concurrentiels significatifs dont bénéficient Google ou Facebook :

> Une forte popularité auprès des internautes

Le développement des positions fortes de Google et Facebook repose avant tout sur l’exploitation de sites et de services populaires pour les internautes tels que Google Search, YouTube, Chrome, Gmail, Maps pour Google ; Instagram, WhatsApp et le réseau social éponyme pour Facebook.

> Une intégration verticale avec une présence à la fois dans l’édition et l’intermédiation publicitaire

Comme d’autres acteurs, Google et Facebook exercent ces deux types d’activités, mais avec un nombre de visiteurs et des audiences inégalés sur leurs propres sites et applications, dont les inventaires ne sont accessibles que par leur propres outils publicitaires. Ces mêmes outils peuvent être utilisés pour effectuer des campagnes sur des sites tiers, et Google, en particulier, a développé une présence sans pareil sur l’ensemble des métiers de l’intermédiation, en fournissant des services d’intermédiation, tant aux annonceurs qu’aux éditeurs, parfois incontournables.

> Des capacités de ciblage publicitaire très performantes

En collectant des données issues de leurs services mais aussi de sites et applications tiers utilisant leurs services publicitaires, Google et Facebook disposent de volumes de données sans équivalents, en raison du nombre d’utilisateurs de leurs services mais aussi de la nature des données collectées : sociodémographiques et comportementales.

Compte tenu du volume et de la variété des données mais aussi de la taille des inventaires publicitaires4 proposés, Google et Facebook offrent aux annonceurs la possibilité de diffuser des publicités à des segments d’audience larges - grâce au nombre d’utilisateurs des services-, et définis précisément - grâce aux nombreuses options de ciblage et aux données exploitables-.

> L’avantage spécifique  de Google dans la publicité liée aux recherches

Google exploite la gamme de services publicitaires pour les annonceurs la plus étendue sur le marché. Elle est en particulier une des rares entreprises à proposer des services publicitaires Display et Search où elle bénéficie d’une position très forte depuis près d’une vingtaine d’années. Elle a ainsi développé plusieurs relations entre le Display et le Search en proposant par exemple une interface unique à partir de laquelle les annonceurs et leurs agences peuvent gérer des campagnes Search et des campagnes Display et en proposant des services d’analyse de données fondées sur les deux canaux.

LES PROBLÈMES SIGNALÉS À L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Dans le cadre de l’instruction de l’avis, de nombreux acteurs ont décrit un ensemble de situations et de pratiques mises en œuvre par différents acteurs du secteur de la publicité, susceptibles pour certaines, si elles étaient établies, d’avoir des effets sur le jeu concurrentiel.

Parmi les intermédiaires techniques, de nombreux acteurs ne disposent pas de sites propriétaires dont ils peuvent commercialiser directement les espaces publicitaires. Leur position apparaît fragile à plusieurs égards. Ils ne peuvent proposer aux annonceurs un accès à des inventaires aussi étendus que ceux proposés par Google et demeurent dans une situation d’incertitude s’agissant de leurs possibilités de collecter des données sur des sites et des applications tierces, afin de pouvoir offrir des publicités personnalisées.  En effet, les internautes se montrent de plus en plus réservés vis-à-vis de l’exploitation de leurs données et utilisent plus en plus des solutions technologiques proposées par des éditeurs de logiciels ou des fabricants de terminaux (notamment Apple) limitant la collecte de données et l’affichage de publicités, entraînant un effet immédiat sur le chiffre d’affaires et la rentabilité des éditeurs et de certains intermédiaires dont l’activité repose sur l’exploitation de données. 

Plusieurs acteurs estiment par ailleurs que leur situation est fragilisée par des pratiques individuelles et collectives de certains acteurs.

> Des stratégies de couplages ou de ventes liées, de prix bas et d’exclusivités

Certains acteurs ont identifié des pratiques qu’ils présentent comme des stratégies de couplages ou de ventes liées, de prix bas et d’exclusivités : association de plusieurs services d’intermédiation, association de services d’intermédiation et de fourniture de données de ciblage, association entre un service d’intermédiation et l’accès exclusif à l’inventaire d’un site.
> Pour plus de détails, voir les paragraphes 248 et 249 de l’avis

> Des effets de levier

D’autres acteurs pointent l’utilisation par effet de levier de positions prépondérantes sur certains marchés de services pour se développer sur d’autres marchés. Les comportements dénoncés concernent les secteurs de l’audit média et des agences média, mais aussi la fourniture de services publicitaires et de services d’exploitation de données aux annonceurs.
> Pour plus de détails, voir le paragraphe 250 de l’avis

> Des pratiques de traitement discriminatoire

Certains éditeurs et intermédiaires considèrent qu’ils subissent des différences de traitement de la part d’acteurs qu’ils estiment dominants dans le secteur de l’intermédiation publicitaire.
Ces comportements concernent d’une part, la possibilité de monétiser certains types de contenus, et d’autre part les conditions d’accès des DSP aux places de marché et à certains inventaires.
> Pour plus de détails, voir le paragraphe 251 de l’avis

> Des freins à l’interopérabilité

 Plusieurs acteurs ont par ailleurs relevé le développement de freins à l’interopérabilité dans le secteur de l’intermédiation publicitaire, qui pourraient affecter les conditions d’interconnexion de certains intermédiaires avec d’autres dans le cadre des enchères en temps réel et de la mise en œuvre des campagnes de leurs clients annonceurs.
> Pour plus de détails, voir le paragraphe 252 de l’avis

> Des restrictions sur les possibilités de collecter et d’accéder à certaines données

Des acteurs ont enfin souligné l’existence de restrictions concernant les possibilités de collecter et d’accéder à certaines données. Certains grands acteurs refuseraient l’intégration d’éléments de tracking des campagnes pour certains formats publicitaires, la fourniture des données relatives à la qualification par impression des audiences, ou la fourniture de statistiques de recherches des marques des annonceurs. Certains éditeurs considèrent qu’ils sont également confrontés à des limitations relatives à l’accès aux données générées par leurs services et distribués sur d’autres plateformes.
> Pour plus de détails, voir le paragraphe 254 de l’avis

S’il n’est juridiquement pas possible pour l’Autorité d’examiner ces questions dans le cadre d’un avis, le rapporteur général annonce que ses services vont  procéder à un examen  préliminaire des éléments rassemblés afin d’estimer s’il y a lieu d’ouvrir une (ou plusieurs) enquête(s) contentieuse(s). Seul un examen contradictoire permettra d’établir si ces pratiques sont avérées ou non et si elles sont par ailleurs contraires au droit de la concurrence.


1La publicité display est constituée des pavés, des bannières, d’un habillage qui, à l’image de l’affichage publicitaire urbain classique, sont intégrés au contenu d’un site éditeur pour être vus des internautes.
2Étude conjointe de l’Autorité de la concurrence et du Bundeskartellamt de mai 2016 sur les données et leurs enjeux pour l’application du droit de la concurrence, publiée le 10 mai 2016
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3Forme de ciblage comportemental qui consiste à adresser un message publicitaire aux profils ayant manifesté une intention d’achat, par exemple en ayant rempli puis abandonné un panier lors de la visite du site d’un annonceur.
4L’inventaire publicitaire désigne l’ensemble des espaces publicitaires disponibles à la vente à un moment donné pour une période donnée et pour un support publicitaire donné.

 

Contact(s)

Virginie Guin
Directrice de la communication
Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication

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