Professions réglementées

L’Autorité de la concurrence sanctionne pour entente deux bureaux communs de signification et plusieurs de leurs membres, tous huissiers de justice à Paris et en Seine Saint Denis

huissiers

L'essentiel

Faisant notamment suite à la saisine d’offices d’huissiers de justice, l’Autorité rend aujourd’hui deux décisions par lesquelles elle sanctionne pour entente le Bureau de signification de Paris (« BSP ») et certains de ses membres, tous titulaires d’offices d’huissiers de justice à Paris (75), ainsi que la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis ( « SCM 93 ») et l’ensemble de ses membres, tous titulaires d’offices d’huissiers de justice en Seine-Saint-Denis (93).

L’Autorité a considéré que les conditions d’adhésion au BSP et à la SCM 93 portaient atteinte à la concurrence dans la mesure où, d’une part, l’adhésion à ces structures communes confère un avantage concurrentiel déterminant à leurs membres et où, d’autre part, ces conditions  ont été définies ou appliquées de façon non objective, non transparente et discriminatoire.

À cet égard, en offrant un accès immédiat à un service mutualisé de signification par des clercs assermentés, l’adhésion au BSP et à la SCM 93 permet aux offices adhérents de réduire sensiblement leurs coûts de fonctionnement, tout en améliorant de façon notable la qualité du service offert à leurs clients. Cet avantage concurrentiel déterminant ne pouvant pas être obtenu autrement, l’adhésion au BSP et à la SCM 93 revêt dans leurs départements respectifs, un intérêt stratégique pour toute étude d’huissier de justice, en particulier pour celles nouvellement créées.

Par ailleurs, le BSP et la SCM 93 ont proposé puis mis en œuvre les conditions d’adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires qui ont été adoptées par leurs membres en assemblée générale, à l’encontre tout particulièrement, des huissiers de justice installés en application de la loi Macron. En particulier, les mis en cause ont exigé de la part des candidats à l’adhésion, principalement les huissiers de justice installés en application de la loi Macron, le paiement d’un droit d’entrée prohibitif (entre 100 000 et 300 000 euros).

L’Autorité a également sanctionné la SCM 93 et ses membres au titre de la prohibition des ententes, pour avoir introduit dans le règlement intérieur de la SCM 93 une clause de répartition de clientèle.
À Paris, le BCS et ses membres n’ont pas contesté avoir adopté des conditions d’adhésion définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire. Ils ont ainsi bénéficié d’une procédure de transaction, à l’issue de laquelle l’Autorité leur a infligé des sanctions pécuniaires, d’un montant total de 320 000 euros pour le BCS, et d’un montant cumulé de 538 800 euros pour les différents membres concernés (soit 51 titulaires d’offices d’huissiers de justice parisiens).

En Seine-Saint-Denis, les mis en cause ont été sanctionnés au titre des deux ententes (portant respectivement sur les conditions d’adhésion et sur une répartition de clientèle). Ils encouraient respectivement des sanctions pécuniaires d’un montant de 396 888 euros pour la SCM 93 et d’un montant cumulé de 595 700 euros pour les différents membres concernés (soit 26 titulaires d’offices d’huissiers de justice séquano-dyonisiens). Toutefois, en raison de son placement en liquidation judiciaire, la SCM 93 ne s’est pas vu infliger de sanction pécuniaire, conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité. De même, le montant cumulé des sanctions pécuniaires infligées à ses membres a été ramené à 485 350 euros, pour tenir compte des difficultés financières de certains d’entre eux.

Les sanctions prononcées :
BCS Paris et ses membres : 858 800 €
Membres SCM 93    : 485 350 €
Total    : 1 344 150 €

La signification d’un acte

La signification d’un acte est une formalité réalisée par un huissier de justice ou un clerc assermenté par laquelle une personne est informée du contenu d’un acte juridique. Un certain nombre d’actes ou de décisions de justice doivent faire l’objet d’une signification comme, s’agissant d’actes judiciaires, des citations à comparaître et des assignations en justice ou, s’agissant d’actes extrajudiciaires, d’offres ou demandes de renouvellement de bail commercial ou de cessions de fonds de commerce.

Il y a une trentaine d’années, les huissiers de justice des départements concernés ont créé le BSP à Paris (en 1988) et la SCM 93 en Seine-Saint-Denis (en 1992) sous la forme de sociétés civiles. L’objet statuaire de ces « bureaux communs de signification » est de réduire, au bénéfice de leurs membres et par l’effort commun de ceux-ci, le prix de revient de certaines prestations relatives à l’exercice de leur profession, et notamment la signification des actes d’huissiers de justice.

Au sein de ces structures communes, les clercs collectent ainsi les actes à signifier auprès des études qui en sont membres, les portent et les trient avant de partir les signifier pour le compte des huissiers. Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 (dite « loi Macron »), le BSP et la SCM 93 regroupaient ainsi l’intégralité ou la quasi-intégralité des offices d’huissiers de justice de chacun des deux départements concernés.
 

Des conditions d’entrée discriminatoires à Paris comme en Seine-Saint-Denis visant à dissuader les nouveaux entrants de devenir membres de la structure commune

Les statuts des BCS concernés ont fait l’objet de plusieurs modifications pour y faire figurer des conditions d’adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires.

Les statuts respectifs du BSP et de la SCM 93 ont prévu depuis 2016 pour le premier et 2017 pour la seconde, qu’un agrément serait désormais nécessaire pour adhérer à ces structures, que les candidats soient des offices récemment créés ou des huissiers de justice reprenant des offices déjà adhérents. Toutefois, aucune stipulation ne précisait les conditions de délivrance d’un tel agrément. De même, il a été instauré, au détriment de ces candidats à l’adhésion, un droit d’entrée d’un montant prohibitif (100 000 euros, puis 300 000 euros à Paris, et 100 000 euros en Seine-Saint-Denis), revêtant clairement un caractère discriminatoire. Bien qu’ils ne soient prévus par aucun texte, le BSP a, par ailleurs, imposé aux candidats à l’adhésion de satisfaire à des prérequis informatiques non transparents, non objectifs et appliqués de façon discriminatoire pour accéder à ses services, ce qui a pu les dissuader de déposer ou de maintenir leurs demandes. Enfin, dépourvus de justification objective, les motifs d’exclusion et de suspension des services du BSP étaient pareillement susceptibles d’engendrer des discriminations.

Dans un cas comme dans l’autre, ces pratiques visaient à dissuader les nouveaux entrants de devenir membres de la structure commune alors qu’une telle adhésion conditionne l’accès ou le maintien sur le marché des prestations d’huissier de justice. La mutualisation de l’activité de signification, à laquelle une adhésion à ces structures permet d’accéder immédiatement dans leurs zones de compétence respectives est, en effet, à l’origine d’une réduction sensible des coûts et d’une amélioration notable de la qualité de service. Elle confère, par conséquent, à leurs adhérents un avantage concurrentiel déterminant, qui ne peut être obtenu par aucun autre moyen. De ce point de vue, elle revêt un intérêt stratégique pour les études d’huissier de justice des départements concernés et, en particulier, pour celles nouvellement créées.
 

Un accord de répartition de clientèle en Seine-Saint-Denis

L’Autorité a estimé qu’une stipulation introduite le 26 janvier 2017 dans le règlement intérieur de la SCM 93, visant à interdire aux huissiers d’accomplir certaines démarches  pour « se procurer des affaires ou de détourner celles dont un confrère serait ou devrait être chargé », était constitutive d’une clause de répartition de clientèle. Il s’agit d’une des pratiques les plus graves en droit de la concurrence.
 

L’objectif de faire échec à la volonté du législateur d’ouvrir la profession

Les modifications des conditions d’adhésion des services du BSP et de la SCM 93 sont intervenues quasi-concomitamment à l’adoption et à l’entrée en vigueur de la loi Macron.

En Seine-Saint-Denis, l’insertion d’une clause de répartition de clientèle dans le règlement intérieur de la SCM 93 a également suivi de quelques mois l’adoption de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a autorisé la sollicitation personnalisée par les huissiers de justice. L’objectif poursuivi par les mis en cause était alors clairement affiché : « protéger au maximum les confrères et fermer notre bureau aux nouveaux arrivants. […] la chambre départementale devant disparaître, il ne restera que le bureau commun comme organe de contrôle »1.

Dans un cas comme dans l’autre, les pratiques en cause sont d’autant plus graves qu’elles avaient pour objectif de faire obstacle à la volonté du législateur de favoriser la création de nouveaux offices d’huissiers de justice dans les départements concernés. Pour mémoire, Paris et la Seine-Saint-Denis figurent parmi les zones d’installation pour lesquelles l’Autorité a identifié le plus grand potentiel de création de nouveaux offices d’huissiers de justice.
 

Des sanctions dissuasives

À Paris, ni le BSP ni ses 51 membres mis en cause n’ont contesté ni les faits qui leur étaient reprochés, ni leur qualification juridique, ni leur imputabilité. Ils ont sollicité le bénéfice de la procédure de transaction, à l’issue de laquelle l’Autorité leur a infligé une sanction pécuniaire d’un montant total de 858 800 euros. L’Autorité a également pris acte et a rendus obligatoires les engagements proposés par le BSP, qui prévoient, notamment, que les offices issus de la liberté d’installation bénéficient pendant leur première année d’utilisation des services du BSP de tarifs de signification réduits de 15 %.

En Seine-Saint-Denis, un montant cumulé de 485 350 euros d’amende a été prononcé à l’encontre des 26 membres de la SCM 93. En raison de son placement en liquidation judiciaire, la SCM 93 ne s’est pas vu infliger de sanction pécuniaire.

Enfin, pour informer largement le public de l’illicéité de ces différentes pratiques, le BSP, d’une part, et la SCM 93 et ses membres, d’autre part, se sont engagés à, ou vu enjoindre de, publier un résumé de leur affaire dans des médias spécialisés (Journal des huissiers de justice et/ou site internet de la section des huissiers de justice de la chambre nationale des commissaires de justice : www.huissier-justice.fr).

 

1Procès-verbal d’assemblée générale de la SCM 93 du 26 janvier 2017.

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
Imprimer la page