Développement durable : l'Autorité publie des orientations informelles relatives à la création d’une plateforme de collecte et partage de données relatives à l’empreinte carbone des fournisseurs dans le secteur de la grande distribution
L'essentiel
L’Autorité de la concurrence a publié ce jour des orientations informelles en matière de développement durable, rendues dans le cadre du communiqué adopté le 27 mai 2024.
En l’espèce, deux organisations professionnelles de distributeurs avaient sollicité le Rapporteur général concernant la création d’une plateforme de collecte et partage de données relatives à l’empreinte carbone des fournisseurs dans le secteur de la grande distribution. Le Rapporteur général a considéré que la demande de l’association était recevable et qu’une réponse pouvait y être opportunément apportée.
Dans la lettre adressée aux demanderesses, le Rapporteur général a rappelé que l’empreinte carbone pouvait être un paramètre de concurrence et a considéré que le projet LESS pour « Low Emission Sustainable Sourcing », pouvait s’analyser comme un accord créant une base de données collective peu susceptible de poser des problèmes de concurrence. Ont notamment été pris en considération : l’absence d’échanges d’informations sensibles entre concurrents ainsi que le caractère ouvert, volontaire et non exclusif de la plateforme, l’absence de tout engagement collectif sur un comportement commercial ou encore l’absence de classement des fournisseurs selon l’empreinte carbone déclarée.
Le Rapporteur général a toutefois attiré l’attention des demanderesses sur les points suivants :
- Offrir un accès aisé à la plateforme pour tous les fournisseurs ;
- S’assurer de la qualité des informations transmises, de préserver la concurrence entre les outils existants et de préserver la possibilité des acteurs de se faire concurrence sur l’empreinte carbone ;
- S’abstenir de tout échange d’informations sensibles et, a fortiori, de toute coordination entre concurrents, y compris sur des stratégies en matière de décarbonation et sur des stratégies de communication sur l’impact carbone ou la décarbonation ;
- Prendre en considération le droit de la concurrence pour discuter et déterminer les conditions de l’éventuelle publicité par les fournisseurs de leurs engagements en matière de décarbonation, en ce qu’une discussion et une telle publicité pourraient être appréhendées comme des échanges d’informations.
Origine et contenu de la demande
- Les porteurs du projet
La demande émane des deux organisations professionnelles à l’origine du projet LESS (pour « Low Emission Sustainable Sourcing »): la Fédération du commerce et de la distribution qui représente les intérêts des principales enseignes de la distribution alimentaire et non-alimentaire en France, et Perifem, qui se présente comme l’association technique du commerce et de la distribution
- Le projet LEES
Le projet LEES consiste à déployer une plateforme de centralisation des données relatives aux émissions indirectes des distributeurs en provenance de l’amont (émissions dites de scope 3).
Concrètement :
- les fournisseurs volontaires pourront entrer leurs données sur la plateforme et renseigner plusieurs types de données comme leurs émissions de CO2 (émissions dites de scopes 1, 2 et 3) pour chaque enseigne et la règle d’allocation entre enseignes retenue (quote-part monétaire, quote-part physique etc.), leurs engagements de réduction des émissions de CO2 (y compris les trajectoires et les objectifs), les résultats associés à ces engagements ou encore les données de CO2 au niveau des produits ou des familles de produits. La saisie des données sera accompagnée d’une information sur la méthodologie retenue par le fournisseur.
- OpenClimat un opérateur spécialisé dans la collecte des données CO2, notamment dans la relation entre fournisseurs et distributeurs, sera chargé de gérer la plateforme et en particulier de procéder au contrôle et à la validation des informations entrées sur celle-ci.
- les distributeurs accèderont à une interface de visualisation qui leur sera dédiée en fonction de leurs fournisseurs propres et pourront exporter les données de leurs fournisseurs pour leurs propres besoins. En plus de ce tronc commun, des modules supplémentaires en option pourront être développés.
Par ailleurs, les fournisseurs seront invités à rendre publics, s’ils le souhaitent, leurs engagements volontaires de réduction des émissions de CO2, indépendamment de leurs données chiffrées.
Le rapporteur général considère que le projet peut être considéré comme un accord peu susceptible de restreindre la concurrence
Dans la lettre adressée aux demanderesses et après avoir souligné que l’examen du projet ne portait pas sur l’impact concurrentiel du projet sur les marchés des plateformes et outils de mesure de l’empreinte carbone, le Rapporteur général a rappelé que l’empreinte carbone des produits pouvait être un paramètre de concurrence.
Il a indiqué que la mise en commun de données relatives à l’empreinte carbone dans le cadre de ce projet est source d’efficience et ne présente pas d’objet anticoncurrentiel en tant que tel et permet d’éviter la multiplication des sollicitations pour les fournisseurs, d’augmenter les incitations des fournisseurs à partager ces données avec les distributeurs et à s’engager dans des stratégies de décarbonation, tout en faisant bénéficier les distributeurs de ces données et engagements par l’intermédiaire d’un seul et même outil.
Dans la mesure où le projet LESS ne prévoit pas d’échange d’informations sensibles entre concurrents, présente un caractère ouvert, volontaire et non exclusif, ne contient aucun engagement collectif sur un comportement commercial, ni ne classe des fournisseurs selon l’empreinte carbone déclarée, il peut être considéré comme étant peu susceptible de présenter des risques en termes concurrentiels, au sens du chapitre 9 des lignes directrices sur les accords horizontaux de la Commission européenne[1].
Le rapporteur général appelle les acteurs à la vigilance dans la mise en œuvre du projet
Toutefois, le rapporteur général a relevé quatre points de vigilance.
En premier lieu, les conditions d’accès à la plateforme doivent être conçues dans le respect des exigences d’objectivité, de transparence et de non-discrimination afin de garantir qu’elles ne constituent pas des obstacles injustifiés pour les plus petits fournisseurs.
En deuxième lieu, la possibilité pour les fournisseurs de recourir à la méthode de calcul de l’empreinte carbone et aux sources de données de leur choix peut inciter les fournisseurs à participer à l’initiative en limitant les contraintes pesant sur eux et permet de préserver le jeu concurrentiel entre outils. Elle ne doit néanmoins pas conduire les acteurs à s’appuyer collectivement sur des outils qui ne seraient pas robustes scientifiquement ou, pour les distributeurs, à ne pas pouvoir solliciter le recours à des outils offrant une comparabilité des données. Le rapporteur général invite par conséquent les acteurs à être vigilants quant à la qualité des informations transmises, à la concurrence entre les outils existants et à la possibilité pour les acteurs de se faire concurrence sur l’empreinte carbone.
En troisième lieu, la participation des acteurs aux collèges et comités liés au fonctionnement du projet nécessite de s’abstenir de tout échange d’informations sensibles et de toute coordination entre concurrents, y compris sur des stratégies en matière de décarbonation et ou en matière de communication sur l’impact carbone ou la décarbonation.
En quatrième lieu, la demande évoquant la possibilité d’une invitation des fournisseurs à publier leurs engagements de décarbonation dans le cadre du projet LESS, la lettre d’orientations informelles souligne que les discussions sur ce point comme la publicité elle-même pourraient être considérées comme des échanges d’informations dont la nature commercialement sensible et l’éventuel caractère restrictif de concurrence devraient être appréciés avec vigilance, en particulier pour préserver les incitations des fournisseurs à se faire concurrence sur cet aspect.
[1] Commission, lignes directrices précitées, paragraphe 530.
Informations aux entreprises :
Depuis 2020, l’Autorité s’est engagée dans une politique de « porte ouverte ». Les acteurs désireux de développer des projets vertueux mais pour lesquels l’analyse au regard des règles de concurrence est particulièrement complexe, peuvent en effet se rapprocher de l’Autorité afin de bénéficier d’orientations leur permettant de mieux auto-évaluer la compatibilité de leurs projets au regard des règles de concurrence.
Afin d’accompagner les entreprises dans cette démarche, l’Autorité a publié le 27 mai 2024 un document-cadre, après avoir mené une large consultation publique. Ce document s'articule avec les grilles d'analyse qui figurent dans le chapitre des nouvelles lignes directrices horizontales de la Commission européenne relatif aux accords de développement durable tout en retenant un champ plus large qui couvre l'ensemble de l'analyse concurrentielle, à l'exception des concentrations.
Orientations informelles n° 25-DD-02 du 23 octobre 2025
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