Agriculture / Agro-alimentaire
Développement durable : L’Autorité de la concurrence publie des orientations informelles relatives à la création d’un système de prise en charge collective des surcoûts et risques associés à la transition agroécologique

L'essentiel
L’Autorité de la concurrence a publié ce jour des orientations informelles en matière de développement durable, rendues dans le cadre du communiqué adopté le 27 mai 2024.
En l’espèce, une association, se présentant comme un tiers de confiance de la transition agroécologique des exploitations agricoles françaises, avait sollicité le Rapporteur général concernant la création d’un système de prise en charge collective des surcoûts et risques associés à la transition agroécologique des exploitations agricoles.
Le Rapporteur général a considéré que la demande de l’association était recevable et qu’une réponse pouvait y être opportunément apportée, alors même que plusieurs aspects du projet n’étaient pas encore totalement arrêtés, compte tenu de l’importance des enjeux de transition pour le secteur agricole.
Dans la lettre adressée à la demanderesse, le Rapporteur général a en particulier souligné la nécessité de fixer des conditions de participation au projet qui soient transparentes, objectives et non discriminatoires, sauf à pouvoir les justifier. Il a également insisté sur la nécessité de recourir à des outils robustes en termes scientifiques pour mesurer la transition d’une exploitation et identifier les besoins de financement, et la nécessité de privilégier le recours à un tiers pour collecter, agréger et anonymiser les informations commercialement sensibles nécessaires à la mise en œuvre du projet.
Le Rapporteur général a en outre esquissé la grille d’analyse que les acteurs du projet devraient suivre pour apprécier la compatibilité de celui-ci avec les règles de concurrence, pour les aspects du projet sur lesquels les informations disponibles n’étaient pas suffisantes, et en particulier pour les aspects relatifs à la baisse de rendement et à l’octroi d’une prime par les acteurs aval.
Enfin, le Rapporteur général a rappelé que les agriculteurs devraient pouvoir bénéficier de la valorisation éventuelle des données agroécologiques, notamment de leur valorisation auprès des acteurs de l’aval.
Origine et contenu de la demande
L’association « Pour une Agriculture Du Vivant » a sollicité le Rapporteur général concernant un projet visant à déterminer et prendre en charge collectivement les besoins de transition agroécologique des exploitations agricoles à l’échelle de plusieurs territoires.
Le projet fédère de nombreux acteurs de la chaîne de valeur qui souhaitent soutenir la transition agroécologique des exploitations agricoles françaises. Il s’agit de :
- l’association Pour une Agriculture Du Vivant (PADV, la demanderesse) ;
- des collecteurs ;
- des industriels et distributeurs issus du secteur agroalimentaire ou du luxe ;
- des partenaires financiers publics ou privés (banques, assurances, collectivités territoriales, agences de l’eau etc.) ;
- des parties prenantes telles que des syndicats, des instituts techniques, des structures de développement agricole, des organisations professionnelles et des organisations à but non-lucratif.
Pour ce faire, l’association a recours un diagnostic du niveau de transition agroécologique d’une exploitation agricole, appelé l’indice de régénération. À l’issue du diagnostic, l’exploitation agricole obtient un score sur 100. Par exemple, une exploitation qui obtient un score de 40/100 est considérée ayant démarré sa transition.
À cet outil préexistant, l’association souhaite adosser une méthode de détermination et de prise en charge collective des surcoûts et des risques encourus par les agriculteurs lorsque ceux-ci inscrivent leurs exploitations dans un parcours de transition agroécologique.
L’accompagnement proviendrait :
- d’acteurs de l’aval qui verseraient des primes ;
- d’acteurs publics qui verseraient des subventions ;
- d’établissements de crédit et de compagnies d’assurance qui proposeraient des prestations adaptées et valorisant l’engagement de l’exploitation dans la transition.
Le projet a tout d’abord vocation à se déployer dans 6 territoires pilotes avant d’être déployé à l’échelle nationale.
L’Autorité examine pour la première fois des faits entrant potentiellement dans le champ d’application de l’article 210 bis du règlement OCM
Le Rapporteur général a considéré que la demande de l’association était recevable et son traitement opportun, notamment compte tenu du fait que l’Autorité n’a jamais apprécié la compatibilité avec les règles de concurrence d’un projet visant à créer un système de prise en charge collective des surcoûts et risques de la transition agroécologique des exploitations agricoles.
Le Rapporteur général a en outre considéré que des orientations pouvaient être délivrées alors même que plusieurs aspects du projet n’étaient pas encore totalement arrêtés, compte tenu de l’importance des enjeux de transition pour le secteur agricole. Pour ces aspects du projet, les orientations fournissent par conséquent une grille d’analyse que les acteurs du projet sont invités à suivre pour apprécier la compatibilité de celui-ci avec les règles de concurrence.
Dans la mesure où il ne pouvait être exclu que plusieurs aspects du projet encore en cours de définition constituent une restriction de concurrence au sens de l’article 101 TFUE, le Rapporteur général a explicité les conditions d’application de l’article 210 bis du règlement UE n°1308/2013 portant organisation commune des marchés du 17 décembre 2013. Cette disposition prévoit une exception, lorsque les conditions de son application sont satisfaites, à l’interdiction prévue à l’article 101 TFUE pour les comportements adoptés par les acteurs dans le cadre de la mise en œuvre d’une norme de durabilité supérieure dans le secteur agricole.
La nécessité de conditions de participation objectives, transparentes et non discriminatoires
Le Rapporteur général a tout d’abord rappelé que les conditions d’éligibilité des participants au projet devaient en principe être objectives, transparentes et non-discriminatoires, sauf à pouvoir être justifiées.
Il a en outre souligné que le caractère volontaire et non-exclusif du projet préserve les incitations des acteurs à innover ou à emprunter des chemins de transitions différents, plus exigeants ou complémentaires, ce qui est fondamental pour assurer le dynamisme concurrentiel dans un secteur agricole en pleine mutation.
La nécessité d’outils de mesure robustes scientifiquement
Si l’indice de régénération ne pouvait faire l’objet d’un examen en tant que tel puisqu’il est déjà déployé en pratique et qu’il ne répondait donc pas à la condition de « projet » fixé dans le communiqué sur les orientations informelles, le Rapporteur général a toutefois rappelé qu’une méthodologie et des données reposant sur des principes scientifiques solides sont nécessaires pour s’assurer de la conformité aux règles de concurrence d’un projet de calcul d’une empreinte environnementale.
Le Rapporteur général a également souligné que pour garantir sa conformité aux règles de concurrence, une méthode arrêtée collectivement pour déterminer le besoin de financement d’une exploitation doit reposer sur des principes scientifiques solides permettant d’identifier, de la manière la plus précise possible, les surcoûts et les risques spécifiques à la mise en œuvre du projet par les agriculteurs. Il a rappelé que dans cette perspective, une vigilance particulière doit être apportée à la préservation du plus large spectre d’itinéraires de transition afin de ne pas enfermer les agriculteurs participants dans un ou plusieurs schémas particuliers, sauf à remettre en cause les objectifs du projet.
La nécessité de prévenir les échanges d’informations commercialement sensibles
Le Rapporteur général a relevé que le projet nécessite de collecter des données dont certaines peuvent être commercialement sensibles, en particulier pour évaluer les besoins de financement, d’une part, et modéliser les schémas de financement, d’autre part.
Après avoir rappelé les risques de collusion et de verrouillage résultant d’échanges d’informations commercialement sensibles, le Rapporteur général a émis des réserves concernant la possibilité pour les participants, et les collecteurs en particulier, à qui il était envisagé de confier cette mission, de collecter et plus largement d’avoir accès à de telles données. Il a en effet considéré que cette pratique était susceptible de constituer une restriction de concurrence au sens de l’article 101 TFUE, sans pouvoir bénéficier de l’exception prévue à l’article 210 bis du règlement OCM.
La nécessité d’examiner la conformité au droit de la concurrence des baisses de rendement attendues et du financement collectif
En ce qui concerne les baisses de rendements attendus, faute d’informations suffisantes pour mener une analyse concurrentielle en l’espèce, le Rapporteur général a invité la demanderesse à examiner la conformité de son projet à l’aide de la grille d’analyse développée dans les orientations et faisant référence aux lignes directrices de la Commission en matière d’accords de durabilité dans le secteur agricole.
En ce qui concerne le financement de la transition, le Rapporteur général a tout d’abord rappelé que seul un financement correspondant au besoin réel de financement associé à la transition d’une culture considérée peut préserver le projet de risques concurrentiels. Faute d’informations suffisantes pour mener une analyse concurrentielle en l’espèce, le Rapporteur général a invité la demanderesse à examiner la conformité de son projet à l’aide de la grille d’analyse développée dans les orientations et faisant référence aux lignes directrices de la Commission en matière d’accords de durabilité dans le secteur agricole.
Enfin, le Rapporteur général a souligné que, sans remettre en cause le principe de libre utilisation de la prime fixé dans le projet qui permet de préserver le jeu concurrentiel notamment par la diversité des itinéraires de transition, un suivi ex post était nécessaire pour garantir que le projet poursuit effectivement, avec efficacité et en conformité avec le droit de la concurrence les objectifs qu’il s’est fixés.
La nécessité de garantir que les agriculteurs bénéficient de la valorisation éventuelle des données agroécologiques
Enfin, le Rapporteur général a relevé que les données collectées auprès des agriculteurs pourraient être utilisées par les partenaires de l’aval à des fins de reporting extra financier. Au-delà des questions relatives à la licéité des échanges d’informations sensibles, il a recommandé de s’assurer que la répartition des éventuels revenus qui pourraient être tirés de la valorisation des données soit également conforme aux règles de concurrence, et en particulier, qu’elle ne soit pas opérée au préjudice des agriculteurs.
Informations aux entreprises :
Depuis 2020, l’Autorité s’est engagée dans une politique de « porte ouverte ». Les acteurs désireux de développer des projets vertueux mais pour lesquels l’analyse au regard des règles de concurrence est particulièrement complexe, peuvent en effet se rapprocher de l’Autorité afin de bénéficier d’orientations leur permettant de mieux auto-évaluer la compatibilité de leurs projets au regard des règles de concurrence.
Afin d’accompagner les entreprises dans cette démarche, l’Autorité a publié le 27 mai 2024 un document-cadre, après avoir mené une large consultation publique. Ce document s'articule avec les grilles d'analyse qui figurent dans le chapitre des nouvelles lignes directrices horizontales de la Commission européenne relatif aux accords de développement durable tout en retenant un champ plus large qui couvre l'ensemble de l'analyse concurrentielle, à l'exception des concentrations.
Orientations informelles n° 25-DD-01 du 29 janvier 2025
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