Centrales d'achat : l’Autorité accepte les engagements proposés par Casino, Auchan, Metro et Schiever

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Centrales d’achat : pour répondre aux risques d’atteinte à la concurrence à l’amont et à l’aval identifiés au cours de la procédure de demandes de mesures conservatoires, l’Autorité accepte les engagements proposés par Casino, Auchan, Metro et Schiever.

Les enseignes modifieront l’accord de coopération existant portant sur les produits à marques de distributeurs et réduiront le périmètre des achats en commun de ces dernières.

Certaines familles de produits agricoles (lait, œufs), ou issus de secteurs en difficultés (charcuterie, cidre), seront désormais exclues de l’accord et, pour d’autres, les volumes d’achat en commun seront réduits pour ne pas dépasser 15 %.
 

L'essentiel

L’Autorité s’est saisie d’office et a ouvert en juillet 2018 plusieurs enquêtes afin de déterminer si les accords de regroupement à l’achat qui lui avaient été notifiés en mai et juin 2018 portaient atteinte à la concurrence. Au terme de cet examen, qui a donné lieu à une large consultation des fournisseurs et des organisations professionnelles, les services d’instruction ont proposé au collège de l’Autorité de prononcer des mesures conservatoires, dans le nouveau cadre fixé par la loi Egalim du 30 octobre 2018. Celle-ci permet à l’Autorité de suspendre les accords à l’achat s’ils occasionnent des atteintes à la concurrence. Afin de répondre aux préoccupations de concurrence, identifiées sur la partie MDD de leur accord, Casino, Auchan, Metro et Schiever ont proposé des engagements. L’Autorité les accepte, ce qui conduit à modifier l’accord existant portant sur la fourniture de marques de distributeurs, et à réduire son périmètre en excluant plusieurs familles de produits agricoles (lait, œufs) ou issus de secteurs connaissant des difficultés économiques (charcuterie, cidre). Les enseignes réduiront aussi leur coopération sur d’autres familles de produits pour ne pas dépasser un poids de 15 % de parts de marché.

Cette décision, la première que l’Autorité rend en matière de regroupements à l’achat depuis la loi Egalim, qui a renforcé ses moyens d’intervention, permettra de mieux adapter les regroupements à l’achat aux situations de marché, notamment amont, et à celles des entreprises, notamment les PME et TPE qu’ils impactent et qui représentent une part significative des fournisseurs de marques de distributeurs. Elle vise, tout d’abord, à éviter que de tels accords aient une incidence sur la capacité des fournisseurs à investir et à proposer des produits innovants et, ensuite à maintenir une offre suffisamment diversifiée de produits à marques de distributeurs pour les consommateurs.    

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Les rapprochements à l’achat

Depuis plusieurs années, notamment en France, les accords à l’achat conclus entre des entreprises concurrentes sur des marchés amont (les marchés d’achat des produits concernés), souvent également concurrentes sur des marchés aval (les marchés de vente des produits concernés), comme c’est le cas en l’espèce, se multiplient dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire. En 2018, une recomposition des alliances, qui avaient été nouées en 2014, a eu lieu, avec trois nouveaux accords à l’achat signés respectivement entre :

  • Auchan, Casino, Metro et Schiever ;
  • Carrefour et Tesco ;
  • Carrefour  et Système U.

En 2018, Casino, Auchan, Metro et Schiever ont conclu des accords créant leur centrale d’achat commune, « Horizon », dont une partie porte sur la fourniture de produits à marques de distributeurs (Accord MDD et Accord MDD International). Conformément aux dispositions issues de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (loi Macron), les enseignes ont communiqué ces accords à l’Autorité.

A la suite de cette transmission, l’Autorité a ouvert une enquête contentieuse sur ces accords et, dans son prolongement, s’est autosaisie au fond en mai 2019, puis en mesures conservatoires en septembre 2019, sur le fondement du dispositif spécifique aux centrales d’achat introduit par la loi Egalim1. L’instruction a en effet permis d’identifier des préoccupations de concurrence sur les volets relatifs aux produits à marques de distributeurs, laquelle a donné lieu à la notification aux parties d’une note des services d’instruction proposant l’adoption de mesures conservatoires.

 

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Les préoccupations de concurrence soulevées par l’accord Auchan/Casino/Metro/Schiever concernant les produits MDD

L’accord MDD conclu entre Casino, Auchan Metro et Schiever consiste pour les enseignes, lorsqu’au moins deux d’entre elles le souhaitent, à organiser ensemble, via une société commune dédiée, des appels d’offres en vue de faire fabriquer en commun des produits à marques de distributeurs. Jusqu’à 46 familles de produits (lait, œufs, charcuterie, conserves de poissons, conserves de viandes, poissons panés, apéritifs, digestifs…) peuvent faire l’objet de tels appels d’offres, parmi lesquels des produits bio, premium et régionaux. Le tableau ci-dessous recense les marques de distributeurs concernées, pour chaque enseigne.

Enseignes Marques de distributeurs
Auchan (incluant le master franchisé Schiever) Auchan ; Auchan Bio ; Mmm ! ; Pouce ; Rik & Rok ; Auchan Baby ; Actuel
Casino marques Franprix ; Leader Price ; et les différentes marques proposées par les magasins Monoprix : Monoprix Gourmet ; Monoprix P’tit Prix ; Monoprix Bio ; Monoprix Vert ; Monoprix la Beauté ; et Bout’Chou
Metro Horeca Select, Rochambeau, Aro, Gilbert, Artisans & Talents (boulangerie), Rustadou (viande fraîche), Jemsa, Veuve Pelletier (vin), Metro Chef (produits alimentaires à destination des cafés-hôtels-restaurants), Metro Chef spécial artisan-boulanger et Felsgold

Lors de l’instruction, l’accord MDD a suscité des préoccupations de concurrence concernant ses effets sur les fournisseurs d’une part, et sur les consommateurs d’autre part.

  • Des fournisseurs, notamment PME et TPE, qui pourraient être fragilisés

Le marché amont de l’approvisionnement est marqué par un ensemble de conditions contractuelles qui jouent  dans un sens  généralement défavorable aux fournisseurs (absence d’exclusivité pour la fabrication des produits MDD, contrats de courte durée - rarement supérieure à un an -, absence d’engagements sur les volumes de la part des distributeurs), ce qui limite leur pouvoir de marché.

Le secteur a été également caractérisé par une diminution du volume global des ventes2 et connaît une rentabilité relativement faible pour le fabricant. Ce phénomène pourrait s’accentuer avec la multiplication des accords d’achats en commun. En diminuant la marge dont disposent les fournisseurs, les accords pourraient diminuer, à court et à moyen terme, la capacité des fournisseurs à investir et à innover sur les produits, tant en ce qui concerne leur formulation que leur packaging. Ils sont également susceptibles de réduire l’incitation même des fournisseurs à demeurer sur le marché.

En outre, une part significative de l’offre MDD, contrairement aux accords sur les produits MDF, est produite par des entreprises de taille modeste (PME, TPE), par nature plus exposées à un changement brutal des conditions de commercialisation de leurs produits, qu’il s’agisse d’une baisse de prix ou de la perte de volumes.

Or, si le cahier des charges des produits MDD est in fine défini par le distributeur, son processus d’élaboration fait également intervenir les fournisseurs en amont, lors de la phase de définition des produits. Les fournisseurs peuvent ainsi, pour certains produits, jouer un rôle important dans l’innovation.

La mise en œuvre des accords de coopération risque de fragiliser des entreprises dont certaines font partie intégrante du processus d’innovation pour les produits MDD. Il existe donc un risque de diminution  de la capacité, voire de l’incitation des fournisseurs à investir et à innover, ce qui peut nuire au bien-être des consommateurs sur le marché de détail.

  • Une diversité en prix et gammes de produits qui pourrait se réduire pour les consommateurs

L’accord de coopération conclu par Auchan/Casino/Metro et Schiever sur les MDD est également susceptible de limiter la concurrence à laquelle les enseignes se livrent sur le marché de détail de la distribution à dominante alimentaire. En effet, ils vont permettre à Auchan/Casino/Metro/Schiever de sélectionner et négocier en commun avec leurs fournisseurs de MDD, et donc de commercialiser, des produits MDD aux caractéristiques identiques, ce qui conduit à limiter la variété de l’assortiment proposé en magasins. Or, la variété de l’assortiment proposé constitue un facteur très important de la différenciation entre enseignes sur ces produits : son altération est susceptible de diminuer la concurrence existant entre les distributeurs.

Par ailleurs, lors du processus d’élaboration des produits MDD, qu’il s’agisse de la formulation ou du packaging, et à la différence de ce qui caractérise la fabrication des produits MDF, les fournisseurs échangeant avec les distributeurs pour répondre à leurs besoins. Or le marché MDD se situe dans une phase particulièrement stratégique, compte tenu des changements structurants dans les habitudes de consommation actuelles, qu’il s’agisse de l’utilisation de plus en plus massive d’applications de notation ou d’information du consommateur (comme Yuka), ou du déploiement récent à grande échelle du Nutri-score pour les produits alimentaires, ce qui peut renforcer l’incitation des distributeurs à se différencier par une reformulation des recettes de leurs produits MDD. Par conséquent, le fait, pour des distributeurs, d’échanger sur les caractéristiques des produits qu’ils souhaitent acheter en commun, et in fine de diffuser des appels d’offres communs pour leur approvisionnement, est susceptible de réduire la concurrence prévalant entre eux.

En conduisant à une homogénéisation partielle des produits qui seront commercialisés par chacun des distributeurs, les accords sont donc susceptibles de conduire à une diminution du niveau de concurrence entre les enseignes.

 

Les engagements pris : une réduction importante du périmètre de l’accord de coopération à l’achat

A la suite de ces préoccupations de concurrence, les enseignes ont proposé des engagements qui ont été soumis à une consultation des acteurs du secteur (test de marché/voir communiqué de presse du 25 juin 2020).

Auchan, Casino, Metro et Schiever ont proposé :

  • d’exclure de la coopération plusieurs familles de produits

Auchan, Casino, Metro et Schiever vont cesser de coopérer sur 6 catégories de produits agricoles ou issus de secteurs connaissant des difficultés économiques :

- le lait de consommation (conservation longue durée et présentation en dehors des rayons frais) ;

- le lait frais (conservation au rayon frais pendant une dizaine de jours) ;

- les œufs ;

- la charcuterie cuite en rayon libre-service ;

- les aides culinaires de charcuterie (lardons, allumettes, chiffonnades de jambons cuits ou jambons secs…) en rayon libre-service.

- le cidre

Pour le lait et les œufs, les parties se réservent toutefois, par exception à la règle d’exclusion, la possibilité de signer des contrats « de filière » tripartite associant producteurs, industriels, distributeurs. Ces contrats « de filière »  tripartites ne pourront pas concerner plus de 5 % du volume des ventes des produits concernés. Ces accords de filières visent à garantir un niveau de qualité spécifique pour les produits visés et, en donnant de la visibilité aux producteurs, autorisent la réalisation d’investissements dans les outils de production.

27 autres sous-catégories de familles, qui représentent des produits potentiellement différenciants, c’est-à-dire pour lesquels il peut y avoir une différenciation entre enseignes, sont aussi exclues de l’accord, parmi lesquelles les conserves de poissons (tartinables, salades…), de viandes (pâtés, rillettes, saucisses, foie gras, produits bio…), le poisson pané surgelé, les viandes et volailles surgelées (beignets de viandes, volailles, burgers), les apéritifs (premix mélangeant alcool et sucre, cocktails, apéritifs sans alcool) et les digestifs (liqueurs, eaux de vie…).

  • de plafonner  la coopération à 15 % du marché pour 12 familles de produits

Les groupes s’engagent à limiter leur coopération à hauteur de 15 % du volume du marché pour plusieurs familles de produits, comprenant notamment les pommes de terre, farines, sucres, sirops, les conserves de viandes, de légumes, ou de poissons…

  • de continuer à coopérer sur des catégories de produits MDD ne présentant pas une sensibilité trop forte en amont (café, chicorée, eau, poivre, sel, croquettes et boîtes pour chiens…)

Ces engagements sont pris pour cinq ans. Ils seront vérifiés par un mandataire agréé par l’Autorité de la concurrence. S’agissant des contrats de filières tripartites, les parties se sont engagées à faire, dans le cadre du suivi par le mandataire, des rapports réguliers sur les gains d’efficience permis par ces accords de filières.

L’Autorité a examiné l’ensemble de ces engagements qui ont été discutés lors de deux audiences du collège. Considérant qu’ils permettaient de répondre pleinement et efficacement aux préoccupations de concurrence identifiées, elle a accepté cette proposition d’engagements et l’a rendu obligatoire pour 5 ans.

L’ensemble de la procédure est ainsi close. Les enquêtes portant sur les autres volets des accords qui concernent les produits de marques nationales et les services internationaux sont clôturées à ce stade. L’Autorité de la concurrence maintiendra une surveillance forte de l’impact de ces accords, et gardera notamment la faculté de les contrôler ex post en vertu du bilan concurrentiel prévu par la loi Egalim, lequel permet le contrôle des effets de tels accords sur le marché et dans la durée.

 

1Depuis la loi Egalim du 30 octobre 2018, l’Autorité a en effet la faculté, en matière de rapprochements à l’achat, de se saisir d’office en mesures conservatoires, ce qui peut déboucher sur la suspension des accords.

2En valeur absolue et valeur relative pour les catégories de produits entrant dans le champ de la coopération.

 

 

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Autre dossier concernant les centrales d’achat

L’Autorité examine actuellement un autre dossier concernant les accords à l’achat conclus entre Carrefour et Tesco. Un test de marché est actuellement en cours concernant les propositions d’engagements soumises par Carrefour et Tesco (voir communiqué de presse du 9 octobre 2020).

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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