Carburants en Corse : l’Autorité inflige une sanction de 187,5 millions d’euros à TotalEnergies Marketing France, à deux sociétés du groupe Rubis et à EG Retail pour avoir mis en œuvre une entente
L'essentiel
Le 15 décembre 2021, l’Autorité a ouvert un dossier contentieux visant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de carburants routiers en Corse. Saisie en septembre 2022 d’une plainte de la société Ferrandi, elle a procédé à la jonction des deux volets du dossier.
Dans sa décision, l’Autorité de la concurrence sanctionne plusieurs entreprises, actionnaires de la société Dépôts Pétroliers de la Corse (ci-après « DPLC ») et actives dans les secteurs de l’approvisionnement, du stockage et de la distribution de carburants routiers en Corse, pour avoir mis en œuvre une entente consistant, par un accord écrit, à réserver à leur seul bénéfice un droit de passage au sein des dépôts pétroliers corses.
En procédant ainsi, les actionnaires de DPLC ont mis en place une pratique anticoncurrentielle susceptible d’évincer leurs concurrents non‑actionnaires. Ces derniers étaient, en effet, contraints d’acheter leur carburant aux conditions imposées par leurs propres rivaux et subissaient par ailleurs des coûts plus élevés, du fait de la superposition de plusieurs marges.
Cette situation a pu nuire à leur compétitivité et être défavorable in fine au consommateur en entraînant un renchérissement du prix des carburants à la pompe. À cet égard, l’Autorité a souligné dans sa décision que les pratiques sanctionnées s’inscrivaient dans un contexte particulier. Comme elle l’avait déjà relevé dans un avis rendu en 2020[1], d’une part, en Corse, le secteur de la distribution de carburants est très concentré, s’articulant autour de trois opérateurs seulement (Total, Rubis/Vito et Esso/Ferrandi), et, d’autre part, contrairement à la France continentale, le réseau des stations‑service ne subit pas la pression concurrentielle, notamment, des grandes et moyennes surfaces. Ces pratiques ont ainsi pu impacter le budget des ménages corses, particulièrement dépendants de l’automobile pour leurs déplacements.
Le montant total des sanctions pécuniaires s’élève à 187 490 000 euros.
[1] Avis n° 20‑A‑11 du 17 novembre 2020 sur le niveau de concentration des marchés en Corse et son impact sur la concurrence locale.
| Entreprises | Montants des sanctions (en euros) |
| TEMF | 115 820 000 |
| Rubis | 64 670 000 |
| dont Rubis Terminal | 430 000 |
| dont Rubis Energie | 64 240 000 |
| EG RETAIL | 7 000 000 |
Le secteur de l’approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse
Aucune raffinerie n’est installée en Corse et seulement deux dépôts pétroliers y sont présents. Ces derniers fonctionnent selon un système de mutualisation des capacités de stockage disponibles, dont la mise en œuvre s’effectue sous la coordination et la gestion de la société DPLC. Concrètement, les produits approvisionnés par chaque opérateur se trouvent être physiquement mélangés dans les cuves de stockage.
Historiquement, DPLC était conjointement contrôlée et exploitée par quatre opérateurs (TEMF, Shell, BP et Esso), qui possédaient chacun une participation minoritaire au capital de cette structure. Entre 2010 et 2017, différentes opérations de cessions d’actifs ont modifié la composition de DPLC, la faisant passer sous le contrôle exclusif de Rubis (70 % étant détenus par Rubis Terminal et 5 % par Rubis Énergie).
Le contrat régissant les conditions d’utilisation et de fonctionnement des dépôts de DPLC ne permet pas aux opérateurs de louer des espaces individuels mais seulement de disposer de produits dans les limites des stocks disponibles. Or, jusqu’au 1er janvier 2023, une clause imposait d’être actionnaire de DPLC pour être adhérent au contrat. Une entreprise non‑actionnaire de DPLC était donc tenue d’acheter son carburant routier à un actionnaire de DPLC.
L’entente visant à réserver aux seuls actionnaires de DPLC l’utilisation des dépôts de carburants corses est anticoncurrentielle et de nature à évincer des concurrents au détriment du consommateur
L’Autorité considère que la clause contractuelle, insérée entre 2016 et 2023, liant la qualité d’actionnaire de DPLC à celle d’adhérent du contrat est anticoncurrentielle. L’article 1er de ce contrat stipulait que, pour « les sociétés ayant une activité de distribution de produits pétroliers en Corse, l’actionnariat dans DPLC leur donne simultanément le statut d’adhérent au [contrat]. Symétriquement, la perte de ce statut d’actionnaire entraîne la perte du statut d’adhérent au [contrat] ».
Or, dès lors que l’adhésion au contrat était subordonnée à la qualité d’actionnaire de DPLC, les opérateurs non‑actionnaires se retrouvaient dans un rapport de sujétion vis-à-vis des actionnaires pour leur approvisionnement, alors même que ces derniers étaient leurs concurrents directs.
L’insertion de la clause litigieuse a donc conduit à structurer le marché de la distribution de carburants en Corse en deux catégories distinctes d’opérateurs : d’une part, les actionnaires de DPLC, libres de s’approvisionner à leurs propres conditions et d’utiliser les capacités de stockage des dépôts via le contrat ; d’autre part, les opérateurs non‑actionnaires de DPLC, contraints de s’approvisionner uniquement en sortie de dépôts aux conditions imposées par leurs concurrents.
L’Autorité a considéré que l’asymétrie de traitement, résultant de conditions d’adhésion au contrat dépourvues d’objectivité, de transparence et de caractère non discriminatoire, est de nature à engendrer des effets d’éviction au détriment des opérateurs non‑actionnaires de DPLC, ces derniers étant soumis notamment à des conditions d’achat moins avantageuses que celles offertes aux actionnaires de DPLC.
L’Autorité prononce une sanction de 187 490 000 euros
Tout d’abord, l’Autorité considère que cette entente est grave, dans la mesure où elle est de nature à produire des effets d’éviction sur le marché de la distribution de carburants routiers au détriment des opérateurs non‑actionnaires de DPLC. Ensuite, l’Autorité souligne que la gravité des pratiques est d’autant plus forte, en l’espèce, qu’elles ont été mises en œuvre dans un secteur fortement concentré, ne comptant que trois acteurs. Enfin, l’Autorité précise que ces pratiques sont de nature à porter préjudice au consommateur final, en entraînant un renchérissement du prix des carburants à la pompe.
Pour ces raisons, d’une part, elle a estimé qu’il y avait lieu de prononcer des sanctions pécuniaires d’un montant total de 187,490 millions d’euros.
| Entreprises | Montants des sanctions (en euros) |
| TEMF | 115 820 000 |
| Rubis | 64 670 000 |
| dont Rubis Terminal | 430 000 |
| dont Rubis Energie | 64 240 000 |
| EG RETAIL | 7 000 000 |
| Total | 187 490 000 |
D’autre part, l’Autorité enjoint aux entreprises sanctionnées de publier un résumé de la décision dans l’édition électronique et papier du journal Corse Matin.
Décision n° 25-D-07 du 17 novembre 2025
Contact(s)