Secteurs de la syndication de résultats de recherche et de la publicité en ligne : l’Autorité de la concurrence rejette la saisine au fond et la demande de mesures conservatoires formulées par la société Qwant à l’encontre de Microsoft
L'essentiel
L’Autorité de la concurrence a été saisie par la société Qwant S.A.S (ci-après « Qwant »), active dans le secteur des services de recherche en ligne généraliste, d’une demande de mesures conservatoires à l’encontre de la société Microsoft Corporation (ci-après « Microsoft »), également active dans ce secteur ainsi que, notamment, dans celui des services liés à la publicité en ligne liée aux recherches.
Qwant reprochait à Microsoft d’abuser à la fois de sa position dominante et de la situation de dépendance économique dans laquelle elle la maintenait.
Selon Qwant, Microsoft avait recours à des pratiques d’exclusivité et de ventes liées, restreignait sa capacité à développer un modèle d’intelligence artificielle et la discriminait dans l’accès à l’offre de publicité en ligne liée aux recherches.
L’Autorité considère que Qwant n’apporte pas d’élément suffisamment probant de nature à démontrer que Microsoft serait en position dominante sur le marché décrit dans sa saisine ou que les conditions de l’abus de dépendance économique seraient réunies.
Dès lors, l’Autorité rejette la saisine au fond et, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires.
Le secteur des services de recherche en ligne généraliste
Qwant est une société active dans le secteur des services de recherche en ligne généraliste. Elle propose aux internautes un service de moteur de recherche présenté comme respectueux de la vie privée des utilisateurs. Pour fournir ses résultats de recherche, Qwant a, pour partie, recours depuis 2016 à la technologie de Microsoft, déployée à travers son moteur de recherche Bing.
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L’importance des requêtes payantes dans le fonctionnement du secteur
Le modèle économique des moteurs de recherche généraliste repose sur un équilibre entre la fourniture d’un accès gratuit aux services de recherche pour les utilisateurs et l’obtention de recettes par le biais de la publicité liée aux recherches.
Concrètement, lorsqu’un utilisateur formule une requête sur un moteur de recherche, celui-ci fournit deux types de résultats : des résultats de recherche algorithmiques, classés uniquement selon leur pertinence grâce à des algorithmes sophistiqués développés par le fournisseur du moteur de recherche, et des résultats payants sélectionnés à l’issue d’un processus d’enchères, géré par des plateformes publicitaires, par lequel les annonceurs soumettent des offres pour l’affichage de leurs annonces publicitaires. Les deux principales plateformes publicitaires pour la fourniture de publicités liées aux recherches sont celles de Google (Google Ads) et de Microsoft (Microsoft Advertising).
Le marché de la recherche générale en ligne comprend ainsi deux faces interdépendantes, reliées par de forts effets dits « de réseau » : plus le moteur de recherche attire d’utilisateurs, plus il est en mesure d’améliorer la pertinence et le ciblage de ses publicités et ainsi d’accroître ses revenus publicitaires.
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La syndication des résultats de recherche
Hormis Google et Microsoft, très peu d’opérateurs disposent d’une technologie capable de produire des résultats, organiques ou payants. Les autres moteurs de recherche acquièrent ces résultats, qu’ils intègrent dans leur propre interface de recherche, dans le cadre de contrats dits de « syndication ». Ces contrats peuvent être conclus :
- entre deux moteurs de recherche, par exemple lorsqu’un moteur de recherche ne dispose pas de sa propre technologie de recherche ou dispose d’une technologie qui ne lui permet pas de répondre de manière suffisamment performante ou précise à certaines requêtes.
- entre un moteur de recherche et un éditeur de site web qui intègre une barre de recherche dans son site.
- au bénéfice d’une entreprise tierce pour une utilisation autre qu’à des fins d’outil de recherche, notamment pour ancrer les résultats d’un modèle d’intelligence artificielle générative.
Google et Bing sont les deux principaux offreurs de services de syndication de résultats de recherche organiques et payants. Brave, Mojeek et, depuis le mois de juin 2025, European Search Perspective (entreprise commune créée par Qwant et Ecosia) proposent également des services de syndication, limités aux résultats de recherche organiques.
Les allégations de position de dominante et de dépendance économique avancées par Qwant ne sont pas étayées
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Qwant n’apporte pas les preuves de la position dominante de Microsoft
L’Autorité constate que la requérante n’apporte aucune preuve de la position dominante de Microsoft sur le marché où sont fournis les services de syndication des résultats de recherche.
En effet, d’une part, il apparaît que Google fournit également des services de syndication. D’autre part, les moteurs de recherche dont le service repose sur des accords de syndication affichent, en plus des résultats organiques, des résultats payants qui engendrent des revenus. Or, l’instruction a permis de confirmer que la pertinence, la qualité, la variété et le volume de publicités disponibles sont des facteurs contribuant à l’attractivité d’un opérateur fournissant des services de syndication pour un moteur de recherche. Il en résulte qu’un éventuel marché de la syndication serait également dépendant du marché de la publicité en ligne liée aux recherches, marché sur lequel, selon la Commission, Google détient une position ultradominante.
Ainsi, la position tout à fait prééminente de Google sur la face rémunératrice du marché est susceptible d’exercer une forte pression concurrentielle sur la face syndication du marché, de nature à exclure, en l’absence d’éléments au dossier attestant du contraire, toute hypothèse de dominance de Microsoft sur le marché de la syndication à destination des moteurs de recherche.
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L’absence d’éléments probants au soutien d’une dépendance économique
L’existence d’une situation de dépendance économique suppose que la relation entre deux entreprises données réunisse plusieurs caractéristiques objectives. Elle s’apprécie au regard de la part de l’entreprise mise en cause dans le chiffre d’affaires de son ou ses partenaires, l’importance de ses parts de marché, sa notoriété et l’absence de solutions techniquement ou économiquement équivalentes. Si le critère tenant à l’importance des résultats fournis par Microsoft dans le chiffre d’affaires de Qwant est vérifié, l’Autorité considère que les autres critères ne sont pas réunis.
L’Autorité souligne d’abord, s’agissant du critère tenant à la notoriété de la marque, que si Bing est certes perçue par les acteurs du marché et les moteurs de recherche alternatifs comme étant l’une des seules capables de fournir un service de syndication complet, cette notoriété est toute relative en raison de la dominance de Google et de sa notoriété bien supérieure à celle de Bing sur les marchés des services de recherche généraliste et de la publicité en ligne liée aux recherches.
Ensuite, s’agissant de l’impossibilité, alléguée par Qwant, de recourir, dans un délai raisonnable, à une solution alternative techniquement et économiquement équivalente à l’offre de Microsoft, l’Autorité considère qu’elle est contredite par plusieurs constats. Non seulement Qwant dispose de capacités de recherche propres, mais est même le seul moteur de recherche contractuellement autorisé par Microsoft à développer sa propre technologie de recherche dans le cadre de la syndication. En outre, Qwant a elle-même lancé, au mois de juin 2025, une offre de syndication commune avec Ecosia fondée sur leur propre technologie de recherche. Ainsi, l’Autorité conclut que Qwant n’est pas dans une situation de dépendance économique à l’égard de Microsoft.
De surcroît, l’Autorité a examiné les pratiques alléguées par Qwant comme constitutives d’un abus de sa situation de dépendance. Qwant reprochait à Microsoft une exclusivité d’approvisionnement en publicités et une vente liée des résultats de recherche organique et des résultats payants, une discrimination dans l’accès à la publicité et des restrictions relatives au développement d’un modèle d’intelligence artificielle. Pour chacune de ces pratiques, l’Autorité a estimé qu’aucun élément suffisamment probant n’appuyait les reproches formulés par la requérante.
Par conséquent, l’Autorité rejette la saisine au fond pour défaut d’éléments suffisamment probants et, par voie de conséquence, la demande de prononcé de mesures conservatoires accessoire à cette saisine.
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