Transports

Ouverture à la concurrence des transports ferroviaires : l'Autorité publie deux avis concernant l'accès des nouveaux entrants aux gares de voyageurs

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Elle invite les pouvoirs publics à préparer la prochaine étape de l’ouverture à la concurrence mais aussi, dès à présent, à donner des garanties minimales en vue de la saison 2011-2012.

L’Autorité de la concurrence rend publics ce jour deux avis concernant le transport ferroviaire :

- Un avis sur un projet de décret relatif aux gares de voyageurs et autres infrastructures de services du réseau ferroviaire (Avis n° 11-A-15), que le gouvernement a soumis à sa consultation après avoir recueilli l’avis1- lui aussi public - de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) ;

- Un avis relatif au projet de séparation des comptes de l’activité gares de voyageurs au sein de la SNCF (Avis n° 11-A-16), rendu à la demande de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

Dans le prolongement des précédents avis qu’elle a émis en matière de transports ferroviaires2, l’Autorité formule, dans ces deux avis, des recommandations à l’égard des pouvoirs publics, du régulateur sectoriel et de la SNCF, en vue de permettre le bon déroulement de l’ouverture à la concurrence.

Contexte


Dernière étape de la transposition en droit français des directives, la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires (dite « loi ORTF ») a ouvert à la concurrence le transport ferroviaire international de voyageurs. Cette loi a également créé un régulateur sectoriel, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

Les gares de voyageurs présentent les caractéristiques d’une infrastructure essentielle3 pour les transporteurs ferroviaires concurrents de la SNCF. La question de l’accès des concurrents aux gares se pose aujourd’hui concrètement avec la mise en place des premières liaisons assurées par des transporteurs concurrents de la SNCF à la fin de l’année (« service d’hiver » 2011-2012).


L’autonomie de la direction en charge de la gestion des gares au sein de la SNCF doit être a minima renforcée par de réelles garanties de séparation fonctionnelle et s’accompagner d’un renforcement sensible des pouvoirs du régulateur sectoriel (l’ARAF)
 

Pour se conformer à la nouvelle législation, la SNCF a créé en son sein une entité spécifique, Gare et Connexions, qui a pris en charge au 1er janvier 2010 la gestion de l’ensemble des gares de voyageurs du réseau ferré national (3.026 gares et haltes de voyageurs).

Toutefois, l’organisation mise en place par la SNCF depuis 2009 et reprise par le projet de décret, qui laisse trop de latitude à l’opérateur historique, n’est pas à la hauteur des enjeux de l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire4.


L’Autorité émet les recommandations suivantes :


1- ASSURER DÈS MAINTENANT UNE RÉELLE SÉPARATION FONCTIONNELLE DU GESTIONNAIRE DES GARES (GARES ET CONNEXIONS)

Nomination et révocation du directeur des gares

La nomination et la révocation du directeur de Gares et Connexions restent soumises à l’appréciation du conseil d’administration de la SNCF et de son président, ce qui ne peut caractériser une véritable autonomie. Le directeur peut ainsi être révoqué à tout moment par le président de la SNCF.

>> L’Autorité recommande de s’inspirer de la procédure de nomination du directeur des circulations ferroviaires, nommé pour cinq ans, par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des transports et après avis de l’ARAF, en vue de garantir une autonomie plus forte au directeur de Gares et Connexions. (cf. page 11 de l’avis 11-A-15)

Pouvoir de gestion sur le patrimoine des gares

Le directeur de Gares et Connexions a une délégation de pouvoir limitée à 15 millions d’euros pour les opérations d’acquisition ou de cession, tandis que la compétence du président de la SNCF était de 40 à 160 millions d’euros selon les opérations. L’autonomie de gestion de Gares et Connexions ne peut donc pas s’appliquer aux grandes opérations d’investissement, comme par exemple dans les gares parisiennes.

>> L’Autorité recommande d’attribuer un plus large pouvoir de gestion sur le patrimoine des gares aux dirigeants de Gares et Connexions, afin de prévenir le risque que les investissements soient davantage orientés au bénéfice de la SNCF qu’à celui de ses concurrents. (cf. pages 12-13 de l’avis 11-A-15 et pages 17-18 de l’avis 11-A-16)

>>  L’Autorité recommande également que le directeur de Gares et Connexions puisse déterminer la politique d’investissements à mettre en œuvre. Les décisions d’investissements de Gares & Connexions pourraient passer par le filtre d’un comité d’engagements spécifique au sein de la branche, qui préfigurerait en quelque sorte un futur conseil d’administration. (cf. page 13 de l’avis 11-A-15)

Protection des informations commerciales

Concernant la protection des informations commerciales communiquées par les nouveaux entrants à l’opérateur historique (par exemple lorsqu’un opérateur annonce au gestionnaire des gares qu’il souhaite ouvrir une ligne desservant telle et telle gares), il est nécessaire de garantir l’imperméabilité entre les activités commerciales de la SNCF et ses missions de gestionnaire d’infrastructures de services (Gares et Connexions). En effet, la possession d’informations concernant les concurrents pourrait conférer à l’opérateur historique un atout déterminant dans la compétition.

>> L’Autorité préconise en conséquence de rendre le dispositif de protection des informations commerciales plus contraignant, en assortissant le code de déontologie de possibles sanctions, qui puissent être mises en œuvre par l’employeur à l’égard des salariés, mais aussi par le régulateur à l’égard de la SNCF. (cf. pages 13-14 de l’avis 11-A-15)

Relation commerciale avec les opérateurs ferroviaires

De même, l’Autorité a relevé que les transporteurs concurrents demandant des prestations d’accès aux gares doivent s’adresser à un service de la direction générale de la SNCF. Cette disposition, présentée par la SNCF comme la possibilité pour les transporteurs concurrents d’avoir un « guichet unique » pour leurs relations avec les différentes entités de la SNCF, comporte le risque de permettre à la SNCF de connaître, bien en amont de leur mise en place, les projets des transporteurs concurrents.

>> L’Autorité recommande que Gares et Connexions obtienne la réelle maîtrise de la relation commerciale avec les opérateurs ferroviaires, dès l’entrée en vigueur du service d’hiver 2011-2012. (cf. pages 18-19 de l’avis 11-A-16)


2- ACCROÎTRE L’INDÉPENDANCE FINANCIÈRE DE GARES ET CONNEXIONS

L’établissement de comptes séparés pour l’activité gares de voyageurs de la SNCF constitue une obligation depuis le 1er janvier 2011 : les règles de séparation comptable doivent être approuvées par l’ARAF, après avis de l’Autorité de la concurrence.

L’Autorité relève que, si le bilan et le compte de résultats établis répondent bien aux obligations légales, ils mettent toutefois en évidence la structure financière très fragile de l’entité Gares et Connexions, qui la rend très dépendante du reste de la SNCF.

Au plan concurrentiel, cela pourrait se traduire par un renchérissement du prix demandé pour l’accès aux gares, ce qui serait préjudiciable aux nouveaux transporteurs entrant sur le marché.
L’Autorité recommande notamment (cf. avis 11-A-16) :

>> que, faute d’une véritable autonomie financière de Gares et Connexions, les modalités de financement fassent l’objet d’une convention pluriannuelle entre Gares et Connexions et la SNCF, afin d’améliorer la prévisibilité de son financement.

>> et que le régulateur (ARAF) recoure régulièrement à des audits extérieurs pour valider ces comptes séparés.


3- RENFORCER LE POUVOIR D’INTERVENTION DE L’ARAF

Forte de sa pratique dans les autres secteurs et industries de réseaux, l’Autorité considère que plus le degré de séparation entre l’opérateur historique et le gestionnaire d’infrastructures de services est faible, plus le pouvoir d’intervention du régulateur sectoriel en matière d’infrastructures de services doit être fort.

>> Concernant la tarification de l’utilisation des infrastructures et services, l’Autorité recommande la mise en place d’une régulation ex ante des tarifs des prestations en gare et des coûts répercutés aux entreprises ferroviaires. Cette régulation garantirait, sous le contrôle de l’ARAF, que la tarification soit, d’une part, transparente et prévisible, et d’autre part, n’introduise pas d’éléments de discrimination tarifaire injustifiée. (cf. pages 15 à 26 de l’avis 11-A-15)


A moyen terme, l’Autorité recommande une séparation juridique de l’entité Gares et Connexions

L’Autorité comprend le souhait du gouvernement de procéder par étapes dans ce qu’il convient d’appeler une phase d’apprentissage intervenant elle-même dans un secteur caractérisé par des rigidités multiples. Pour autant, elle ne saurait valider la séparation – très peu aboutie – en matière de gares de voyageurs prévue par le projet de décret, si elle n’est pas accompagnée d’une perspective d’évolution à moyen terme et d’un renforcement significatif de garanties minimales à court terme.

La séparation fonctionnelle, au sein de l’opérateur historique, entre les activités de transporteur et de gestionnaire de gares nécessite sans attendre une répartition stricte des compétences sur les plans fonctionnel, financier, opérationnel et humain. Or, l’organisation mise en place par la SNCF depuis 2009 et reprise par le projet de décret ne fournit pas de garanties suffisantes : elle laisse trop de latitude à l’opérateur historique, trop peu au gestionnaire des gares et vraiment trop peu au régulateur sectoriel.

Le succès de l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire dépend, au-delà des questions de droit d’accès, de mise à disposition de services aux entreprises ferroviaires et de tarification juste, prévisible et transparente, de la définition d’un équilibre entre la gestion des infrastructures essentielles du réseau et la régulation sectorielle.

Un cadre crédible doit être construit dès maintenant
, afin de ne pas manquer l’ouverture à la concurrence qui se fera en réalité dès le mois de décembre 2011. Ce cadre suppose :

  • que le pouvoir réglementaire affiche clairement sa volonté d’avancer par étapes : séparation fonctionnelle pour les deux à trois ans à venir, selon un modèle suggéré dans le présent avis (n°11-A-15), qui reprendrait les mêmes garanties que celles mises en place pour le service gestionnaire des trafics et des circulations, puis séparation juridique qui pourrait être permise par une modification du décret n° 83-817 du 13 septembre 1983 portant approbation du cahier des charges de la SNCF ;
     
  • que soient renforcés de manière très significative les pouvoirs du régulateur sectoriel selon les modalités évoquées plus haut, notamment en matière de contrôle ex ante et ex post des tarifs des infrastructures de services.

     
1Avis de l’ARAF n° 2011-014 du 15 juin 2011 sur le projet de décret relatif aux gares de voyageurs et autres infrastructures de services du réseau ferroviaire, rendu public le même jour.
2Avis du Conseil de la concurrence n° 08-A-17 du 3 septembre 2008 sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et collectifs ainsi qu’à la sécurité des transports, Avis n° 08-A-18 du 13 octobre 2008 relatif à un projet de décret sur les redevances d’utilisation du réseau ferré, Avis de l’Autorité de la concurrence n° 09-A-55 du 4 novembre 2009 sur le secteur du transport public terrestre de voyageurs.
3En effet, ces installations constituent l’élément indispensable «  pour assurer la liaison avec les clients et permettre à des concurrents d’exercer leurs activités et qu’il serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables », selon la définition donnée par la pratique décisionnelle de l’Autorité.
4L’Autorité de la concurrence avait précédemment indiqué, dans son avis n°09-A-55 du 4 novembre 2009, que le système de gouvernance de la mission de gestion des gares envisagé par la SNCF n’était pas satisfaisant, et elle avait recommandé que la gestion des gares fasse l’objet d’une séparation plus aboutie.

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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