L’Autorité rend, à la demande des experts-comptables, son avis sur la création du contreseing d'avocat
L’Autorité de la concurrence a été saisie pour avis par le Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, ainsi que par deux syndicats de la profession d’expert-comptable, l’Institut français des experts comptables et des commissaires aux comptes et Experts comptables et commissaires aux comptes de France, sur la question de l’introduction du contreseing d’avocat des actes sous seing privé. Postérieurement à cette saisine, le gouvernement a déposé un projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, visant à introduire le contreseing d’avocat.
L’introduction du contreseing et l’inquiétude de la profession des experts-comptables
Reprenant l’une des propositions du rapport Darrois, le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées crée la possibilité nouvelle pour les avocats de contresigner un acte sous seing privé. Par son contreseing, l’avocat atteste avoir « éclairé pleinement » la partie qu’il conseille sur les conséquences juridiques de l’acte sous seing privé, l’objectif étant d’améliorer la sécurité juridique des actes conclus par les entreprises ou les particuliers et partant, de diminuer le risque contentieux, au travers du renforcement de la responsabilité des avocats en termes d’obligation de conseil.
La profession des experts-comptables s’inquiète de cette nouvelle disposition dont elle est exclue, considérant qu’elle pourrait introduire une distorsion de concurrence en l’écartant notamment du marché du conseil et de la rédaction d’actes juridiques pour les PME et notamment les très petites entreprises.
En tant que telle, la création du contreseing au bénéfice des avocats n’apparaît pas de nature à avoir des effets négatifs sensibles sur la concurrence sur le marché des prestations du conseil et de rédaction d’actes juridiques rendues aux entreprises.
En premier lieu, l’Autorité de la concurrence fait le constat que la réservation aux avocats du contreseing des actes sous seing privé ne peut être qualifiée de « droit exclusif » et peut difficilement être rangé au nombre des « droits spéciaux » au sens des dispositions de l’article 106 du traité européen. Par ailleurs, les avocats ne disposent pas d’une position dominante collective, compte tenu notamment du caractère fortement atomisé de la profession, de l’absence de numerus clausus et du caractère fortement disputé du marché du conseil et de la rédaction d’actes juridiques. Le dispositif envisagé ne peut donc conduire les avocats à se trouver nécessairement en situation d’abuser d’une prétendue position dominante.
Par ailleurs, il existe une forte incertitude sur la place qu’occupera en pratique, s’il est mis en place, l’acte contresigné par un avocat, entre l’acte sous seing privé et l’acte authentique : les représentants des experts-comptables et des entreprises ont souligné le faible degré d’utilité que représente à leurs yeux le contreseing d’avocat pour les TPE-PME. Au demeurant, les entreprises semblent craindre que le contreseing renchérisse leurs coûts, ce qui serait particulièrement préjudiciable aux PME.
Enfin, à supposer que le recours au contreseing d’avocat s’amplifie malgré les incertitudes et les limites rappelées plus haut, le risque que les experts-comptables soient évincés du marché du conseil juridique aux PME n’est pas non plus avéré. En effet, les experts-comptables sont en relation directe avec les entreprises en raison du monopole dont ils disposent sur la tenue de la comptabilité des entreprises. Du reste, ce sont souvent eux qui orientent leurs clients, spécialement les PME, vers des avocats. La position particulière qu’ils occupent auprès des entreprises rend donc peu probable leur éviction du marché des prestations juridiques aux entreprises.
Le choix de réserver le contreseing aux avocats pourrait, en tout état de cause, se réclamer de justifications objectives
Le droit de l’Union comme le droit national permet, dans certaines conditions, de justifier certaines distorsions de concurrence indispensables pour assurer la viabilité de projets répondant à un objectif d’intérêt général, sous la condition cependant que ces atteintes soient proportionnées à l’objectif poursuivi et qu’il n’existe pas d’autre moyen moins restrictif de concurrence permettant d’atteindre cet objectif dans des conditions économiques acceptables.
L’Autorité relève que, en l’espèce, le gouvernement a indiqué, dans l’exposé des motifs du projet de loi, que l’introduction du contreseing d’avocat des actes sous seing privé visait à renforcer la sécurité juridique des actes des entreprises et à prévenir les contentieux. L’objectif de sécurité juridique accrue attribué au contreseing pourrait justifier que ce dernier soit réservé à des professionnels du droit, dont la matière juridique constitue l’activité principale et la formation initiale et continue, à l’exclusion d’opérateurs qui n’exercent des activités juridiques qu’à titre accessoire, à l’instar des experts-comptables.
Il conviendra toutefois de s’assurer, en pratique, que le dispositif retenu répond effectivement à cet objectif et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à cet effet.
L’Autorité de la concurrence est en conséquence d’avis que l’introduction en droit français du contreseing d’avocat des actes sous seing privé n’est pas, en l’état du dispositif qui lui a été soumis et des effets qui en sont attendus, de nature à enfreindre les règles de la concurrence.