L’Autorité de la concurrence inflige des sanctions d’un total de près de 415 M€ aux quatre émetteurs historiques de titres-restaurant, pour ententes

titres-restaurant

L'essentiel

L’Autorité a été saisie de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des titres-restaurant par la société Octoplus (Resto Flash), qui propose une application mobile pour le paiement des repas, ainsi que par plusieurs syndicats professionnels - le Syndicat National de la Restauration Thématique (SNRTC), le Syndicat National de la Restauration Publique Organisée (SNRPO) et la Confédération des Professionnels Indépendants de l’Hôtellerie (CPIH1)-. Après instruction, l’Autorité inflige des sanctions de près de 415 millions d’euros, aux quatre émetteurs de titres-restaurant historiques en France : Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France ainsi qu’à la Centrale de Règlement des Titres (CRT), qui assure, pour leur compte, le traitement et le remboursement des titres-restaurant auprès de leurs clients, estimant que ces acteurs ont méconnu le droit de la concurrence en mettant en place des pratiques constitutives d’entente.

Deux types de pratiques ont été mises en œuvre :

  • entre 2010 et 2015, Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France se sont échangés tous les mois, par le biais de la CRT, des informations commerciales confidentielles portant sur leurs parts de marché respectives, ce qui a permis de restreindre la concurrence entre eux ;
     
  • entre 2002 et 2018, Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France ont adopté une série d’accords ayant pour objet de verrouiller le marché des titres-restaurant en contrôlant l’entrée de nouveaux acteurs et en s’interdisant réciproquement de se lancer dans l’émission des titres dématérialisés (sous forme de carte ou d’application mobile). Ces pratiques ont porté atteinte à la concurrence et freiné le développement en France de l’innovation technologique, avec les titres-restaurant dématérialisés.

 

 

Les titres-restaurant, un dispositif qui bénéficie à 4 millions de salariés

Le titre-restaurant est un titre de paiement permettant aux salariés des entreprises et administrations qui en disposent de régler le prix d’un repas ou de certains produits alimentaires pouvant entrer dans la composition d’un repas, tels que fruits et légumes ou surgelés.

En pratique, des sociétés spécialisées (« les émetteurs »), à l’instar d’Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France, émettent et vendent des titres-restaurant à des employeurs, moyennant le versement d’une somme correspondant à la valeur faciale des titres-restaurant2. Les entreprises remettent ensuite ces titres à leurs salariés à un prix inférieur. Les commerçants reçoivent ensuite les titres en paiement du repas ou des produits. Ils présentent alors ces titres aux émetteurs pour en obtenir le remboursement.

Ces titres-restaurant sont distribués par 140 000 entreprises et bénéficient à 4 millions de salariés, qui peuvent les utiliser dans 180 000 commerces (restaurateurs et commerces de proximité).

Un secteur très concentré

Le secteur des titres-restaurant est très concentré : quatre opérateurs (Edenred France, UP, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France) détiennent quasiment 100 % du marché des titres-restaurant (titres papiers et dématérialisés confondus). Le secteur a également pour particularité de réunir ces quatre opérateurs au sein d’une structure commune, la Centrale de Règlement des Titres (CRT), qui mutualise, pour ces derniers, le traitement des titres-papier et leur remboursement auprès des commerçants. D’autres acteurs émettent uniquement des titres dématérialisés, comme Moneo Payment Solutions (Moneo Resto), Caisse Fédérale du Crédit Mutuel (Monetico Resto) ou encore Octoplus (Resto flash)3. Leur part de marché cumulée ne dépasse pas 1,5 %4.

Les entreprises et marques concernées par la décision sont les suivantes :

Entreprise Marques titres-papier Marques titres dématérialisés
Edenred France Ticket Restaurant Carte Ticket Restaurant
Up Chèque Déjeuner Chèque Déjeuner
Natixis Intertitres Chèque de table Apetiz
Sodexo Pass France Pass Restaurant Pass Restaurant

Les quatre émetteurs se sont échangés, par l’intermédiaire de la CRT, des informations commerciales confidentielles, ce qui a conduit à réduire leur autonomie commerciale

Il ressort des pièces du dossier que la CRT a transmis depuis 2010 aux directeurs administratifs et financiers de ses membres-sociétaires (Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France) des « tableaux de bord » mensuels qui retraçaient les parts de marché de chacun de ses membres-sociétaires. Ces tableaux de bord consignaient notamment le nombre de titres-restaurant traités par la CRT le mois précédent, désagrégé au niveau de l’émetteur, ainsi que les parts de marché mensuelles de chaque émetteur, calculées à partir du nombre de titres traités.

Compte tenu des caractéristiques du marché, et notamment de la forte concentration du secteur des titres-restaurant, de sa transparence, de la fréquence mensuelle des échanges, du niveau de désagrégation des données échangées, de leur confidentialité, ces données avaient une utilité stratégique pour les émetteurs. Grâce à ces informations, chaque émetteur était en mesure de détecter tout changement de stratégie tarifaire de ses concurrents et donc de le dissuader d’adopter tout comportement tarifaire agressif.

Les quatre émetteurs ont adopté, par ailleurs, une série d’accords ayant pour objet de verrouiller le marché des titres-restaurant

  • L’adoption de conditions d’adhésion non objectives et non transparentes à la CRT

La CRT est, depuis des décennies, un acteur prépondérant du secteur. L’adhésion à la CRT  permet en effet à ses membres-sociétaires de bénéficier d’économies d’échelle en termes de coûts de traitement, de simplifier la gestion pour les commerçants, en réduisant le nombre d’interlocuteurs, et surtout, compte tenu de son rôle de guichet unique, de donner accès à l’ensemble des commerçants.

Pour devenir membre-sociétaire, les statuts de la CRT prévoient qu’il faut « être présenté par un membre sociétaire de l’Association » et « être agréé par le Conseil d’Administration », ce dernier ayant le pouvoir de « statuer sur l’admission ou l’exclusion des Sociétaires ». La décision d’admission « [n’a] pas à être motivée » et un droit d’entrée est « possible ».

Cette opacité sur les conditions d’accès donne toute latitude aux membres-sociétaires historiques pour sélectionner les concurrents souhaitant rejoindre la CRT, avec le risque d’arbitraire et de discrimination que cela peut comporter.

L’Autorité a considéré que les conditions d’adhésion à la CRT étaient non objectives et non transparentes. Les éléments au dossier (document de présentation du projet de dématérialisation des titres-restaurant) attestent d’ailleurs de la volonté de la CRT de maintenir la structure concurrentielle du marché, en conservant les positions des quatre acteurs, et de maîtriser l’entrée de nouveaux acteurs : ce document faisait ainsi référence au fait de « contrôler les nouveaux entrants en développant un nouveau support », et de « ne pas faciliter l’entrée de nouveaux acteurs ».

  • L’interdiction pour les émetteurs historiques de se lancer dans la dématérialisation des titres-restaurant en dehors de la CRT

En vertu d’un « Protocole » signé par les quatre émetteurs historiques en 2002, les membres-sociétaires de la CRT s’engageaient « à faire effectuer par la CRT le traitement en vue de leur remboursement de la totalité de leurs titres-restaurant (…), tous ces titres étant matérialisés ou dématérialisés ». Cette clause d’exclusivité était complétée par une disposition selon laquelle les émetteurs membres de la CRT s’interdisaient de développer, en dehors de la CRT, une plate-forme monétique permettant de gérer le traitement des titres dématérialisés.

En cas de manquement par un membre-sociétaire à la clause d’exclusivité réciproque, des mesures de sanction étaient prévues: « 10 % de sa quote-part annuelle prévisionnelle des charges de la CRT ». En cas de persistance, une mesure d’exclusion de la CRT pouvait même être prononcée sur le fondement des statuts.

Le « Protocole » permettait ainsi de donner à chaque émetteur l’assurance qu’aucun de ses concurrents ne participerait au développement d’un système d’acceptation de titres dématérialisés en dehors de la CRT.

Des pratiques qui, ensemble, ont concerné la totalité du secteur des titres-restaurant

Les pratiques sanctionnées par l’Autorité ont débuté en 2002, au moment de l’adhésion de Natixis Intertitres à la CRT, et seulement quelques mois après l’adoption d’une décision de sanction de l’Autorité contre les trois autres émetteurs historiques et la CRT. Accor (Titres restaurant devenu Edenred), Sodhexo Chèques et Cartes de services (devenu Sodexo Pass France), Chèque-déjeuner (devenu Up) et la CRT avaient ainsi été sanctionnés (voir décision 01-D-41), notamment, pour s’être partagés le marché des titres-restaurant et avoir fixé de manière uniforme le taux de commission demandé aux restaurateurs.

18 ans plus tard, l’Autorité sanctionne à nouveau ces opérateurs, ainsi que Natixis Intertitres, pour des pratiques d’ententes qui ont concerné la totalité du secteur des titres-restaurant.

Les échanges d’informations ont permis à chacun des quatre émetteurs d’être informé de la stratégie commerciale de ses concurrents, réduisant ainsi leur autonomie commerciale, et perturbant le bon fonctionnement de la concurrence sur ce marché.

Par ailleurs, en dissuadant tout concurrent d’accéder au marché, les émetteurs historiques se sont octroyé la jouissance exclusive des avantages substantiels générés par la CRT.

Enfin, en s’interdisant mutuellement de se lancer unilatéralement dans l’émission de titres dématérialisés, et alors que plusieurs d’entre eux avaient déjà franchi le pas à l’étranger, les membres-sociétaires se sont limités dans leur capacité à innover sur le marché et à proposer un format différent de titres-restaurant aux consommateurs français. Dans un contexte marqué, lors de la conclusion du « Protocole », par des discussions avec les pouvoirs publics sur l’adaptation du cadre légal en faveur de la dématérialisation des titres-restaurant, les membres-sociétaires ont, ce faisant, rendu sans objet toute évolution à venir de la législation applicable, en s’interdisant de proposer de manière autonome des solutions dématérialisées à leurs clients. Ce faisant, les pratiques ont contribué à priver les entreprises et les salariés des bénéfices liés à l’innovation numérique.

Compte tenu de ces éléments, l’Autorité sanctionne les quatre émetteurs historiques ainsi que la CRT. Dans la détermination du montant des sanctions, elle a pris en compte comme circonstance aggravante la réitération compte de la décision de sanction de 2001, et a alourdi en conséquence les sanctions à l’égard de la CRT et des trois émetteurs historiques. L’Autorité a ainsi majoré de 20 % la sanction correspondant aux échanges d’informations et de 30 % celle relative aux pratiques de verrouillage du marché à l’égard des émetteurs.

Entreprise Montant total
Edenred France/Edenred SA 157 090 000 €
Natixis Intertitres/Natixis 83 322 000 €
Sodexo Pass France/Sodexo SA 126 322 000 €
Up 45 000 000 €
CRT 3 000 000 €
Total 414 734 000 €

 1Organisation devenue l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie.
 2Une rémunération supplémentaire, qui prend la forme d’une commission, est le plus souvent demandée par l’émetteur.
 3En 2016.
 4En parts de marché de la valeur faciale émise tous supports confondus. Chiffres 2016.

infographie titres-restaurant

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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