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L’Autorité de la concurrence constate que le groupe Canal Plus n’a pas respecté plusieurs engagements - dont certains essentiels - pris lors du rachat de TPS

Audiovisuel

Elle retire la décision d’autorisation de l’opération, ce qui place les parties dans l’obligation de notifier à nouveau l’opération dans le délai d’un mois. Elle sanctionne en outre le groupe Canal Plus à hauteur de 30 millions d’euros.

L’Autorité de la concurrence vient de rendre une décision par laquelle elle constate que Groupe Canal Plus n’a pas respecté plusieurs engagements - dont certains essentiels - auxquels était subordonnée la décision1 autorisant en 2006 l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus.

L’Autorité de la concurrence retire par conséquent la décision d’autorisation de l’opération. A moins de revenir à l’état antérieur à 2006, Vivendi et Groupe Canal Plus devront notifier à nouveau l’opération à l’Autorité de la concurrence dans le délai d’un mois.

L’Autorité a relevé la gravité des manquements constatés - qui traduisent des négligences mais aussi, de manière générale, un manque de diligence et le mauvais vouloir répétés de Canal Plus - ainsi que l’importance de l’atteinte que cette inexécution est de nature à engendrer pour la concurrence. Elle a, de ce fait, prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 30 millions d’euros.

La fusion entre Canal Plus et TPS : une opération exceptionnelle qui a nécessité la souscription de nombreux engagements par groupe Canal Plus

L’opération qui a conduit à la création de la société Canal+ France a abouti à la fusion des deux opérateurs majeurs du marché de la télévision payante, en créant notamment un monopole sur l’édition et la commercialisation de chaînes premium et en renforçant la position dominante de Groupe Canal Plus sur le marché aval de la distribution. Compte tenu des nombreux risques d’atteinte à la concurrence, l’autorisation délivrée par le ministre de l’économie après avis du Conseil de la concurrence a été subordonnée à la mise en œuvre de 59 engagements souscrits par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus afin d’apporter des solutions aux problèmes de concurrence identifiés.

La finalité de l’ensemble de ces engagements était de permettre aux distributeurs de télévision payante qui subsisteraient après l’opération (pour l’essentiel les fournisseurs d’accès à internet) d’accéder à des contenus suffisamment attractifs pour constituer des bouquets de chaînes payants compétitifs qui participeraient à l’animation de la concurrence sur le marché aval de la distribution de télévision payante.

Les engagements avaient pour objectif de faciliter, sur les marchés amont2, l’acquisition de droits audiovisuels par les concurrents de Groupe Canal Plus et de permettre à ces derniers, sur le marché intermédiaire de l’édition de chaînes3, d’acheter les chaînes thématiques nécessaires à la composition de bouquets attrayants.

Le dégroupage (c’est-à-dire la mise à disposition auprès de tous les distributeurs) de 7 chaînes (TPS Star, Cinéstar, Cinéculte, Cinétoile, Sport +, Piwi et Télétoon) concernant des thématiques incontournables de la télévision payante (cinéma, sport, jeunesse) était au cœur du dispositif d’engagements. Ce dégroupage s’accompagnait d’obligations relatives au maintien de la qualité des chaînes et en particulier du caractère premium de TPS Star. Cette dernière, qualifiée comme « l’une des clés du développement de la concurrence à l’aval », devait jouer un rôle moteur pour les bouquets des distributeurs concurrents de Groupe Canal Plus.

> Pour plus de détails sur la décision de 2006 et sur les engagements pris, consulter la fiche 1.

Les manquements constatés

Au total, l’Autorité de la concurrence a constaté des manquements à 10 engagements.

La non exécution des engagements concernant la mise à disposition des chaînes et le maintien de leur qualité présente aux yeux de l’Autorité un caractère de gravité particulier compte tenu du caractère essentiel de ces obligations pour la protection de la concurrence (voir développements ci-dessous).

L’Autorité a également relevé un certain nombre de manquements concernant les relations de Groupe Canal Plus avec les chaines indépendantes.

> Pour une vision exhaustive de l’ensemble des manquements, consulter la fiche 2.

1. Groupe Canal Plus a tardé à mettre à disposition des distributeurs tiers les 7 chaînes qu’il devait dégrouper, ce qui a donné un avantage à sa nouvelle offre « Le Nouveau CanalSat »

Groupe Canal Plus n’a pas mis à disposition les 7 chaînes dans le délai prévu par les engagements (manquement à l’engagement 56).

Groupe Canal Plus a lancé sa nouvelle offre « Le Nouveau CanalSat » sur sa plateforme dès le 21 mars 2007, avant que la mise à disposition des chaînes auprès des distributeurs tiers n’ait été rendue possible par Groupe Canal Plus, et avant même la transmission à ces derniers du cahier des charges de mise à disposition des chaînes le 2 avril 2007. Ce retard de calendrier a permis à Groupe Canal Plus de favoriser la migration des abonnés au bouquet TPS vers « Le Nouveau CanalSat », en leur proposant une offre contenant « de nouvelles chaînes dans les différentes thématiques et des contenus exclusifs sans changement de tarifs », alors que les fournisseurs d’accès à internet par ADSL n’étaient pas encore en mesure de proposer une offre de détail incluant tout ou partie des 7 chaînes visées par le dégroupage. Ces éléments permettent d’établir l’existence d’une discrimination au détriment des plateformes des opérateurs ADSL (manquement à l’engagement 20).

2. Groupe Canal Plus a dégradé la qualité des chaînes qu’il devait dégrouper

L’obligation de maintenir la qualité des chaînes dégroupées en métropole (engagements 18 à 33) comme dans les DOM (engagements 34 et 35) et notamment le caractère premium de TPS Star (engagement 21) apparaît comme étroitement complémentaire de l’obligation de dégroupage elle-même : l’objectif est d’éviter que les programmes attractifs ne disparaissent des chaînes mises à disposition des distributeurs tiers.

  • La baisse de qualité de TPS Star et la perte de son caractère « premium »

La qualité de TPS Star a connu après 2007 une dégradation rapide, significative et durable tant en termes de programmation que d’innovation (manquement à l’obligation de maintien de la qualité /1er alinea de l’engagement 22). Ce constat a pu être établi sur la base de critères objectifs, mesurables et vérifiables. L’Autorité de la concurrence a notamment relevé la baisse durable et continue des coûts de grille, l’appauvrissement de l’offre cinéma, la perte de droits sportifs, la moindre diffusion de séries américaines attractives et l’absence d’innovation technologique.

Cette dégradation s’est traduite par un déclin sensible de l’attractivité de la chaîne auprès des téléspectateurs, comme en témoignent la chute d’audience et le déclin du nombre d’abonnés. En outre, la baisse significative des dépenses publicitaires de TPS Star souligne la volonté de Groupe Canal Plus de peu promouvoir la chaîne. (pour plus de détails, se reporter aux pages 16 à 28).

L’Autorité de la concurrence a par ailleurs établi que Groupe Canal Plus n’avait pas respecté les seuils de diffusion quantitatifs en matière de programmation sportive (manquement au cinquième alinéa de l’engagement 22). Les contenus se sont limités au seul football, aux seules périodes de championnat et Groupe Canal Plus n’a pas alimenté la chaîne en « matches phares » à hauteur de ce que ce prévoyait l’engagement (pour plus de détails , se reporter aux pages 28 à 31)

Prenant en compte l’ensemble de ces éléments, l’Autorité a estimé que TPS Star ne pouvait plus être qualifiée de « chaîne premium » (manquement à l’engagement 21).

  • La baisse d’attractivité des chaînes cinéma

Si les obligations quantitatives de diffusion ont été respectées, les obligations générales de maintien de la qualité des trois chaînes de cinéma TPS Cinéstar, TPS Cinétoile, TPSCinéCulte ne l’ont pas été (manquement au 1er alinéa de l’engagement 22). La modification du statut des chaînes et de leur positionnement a abouti à les rendre beaucoup moins attractives en termes de contenus, ceux-ci étant principalement constitués de films anciens.

S’agissant par exemple de TPS Cinéstar, devenue CinéCinéma Star, celle-ci était avant la réalisation de l’opération une chaîne de cinéma de « première exclusivité ». Depuis le 31 mars 2007, la chaîne ne programme plus de films en « première diffusion » et en « première exclusivité ». Sa programmation est désormais exclusivement consacrée au cinéma des années 1980 et 1990, notamment français. Elle ne diffuse par ailleurs plus de films le samedi soir en début de soirée. CinéCinéma Star n’a donc ni le même positionnement, ni la même attractivité que TPS Cinestar avant la fusion.

(Pour plus de détails, se reporter aux pages 32 à 34)

  • La baisse de qualité des chaînes mises à disposition de Parabole Réunion

Cette baisse de qualité a pu être également observée pour l’île de La Réunion. Des engagements spécifiques avaient été imposés afin que Groupe Canal Plus garantisse la reconduction des contrats de distribution qui liaient TPS à Parabole Réunion avant l’opération, l’objectif étant que cette dernière puisse continuer à accéder à des chaînes attractives dans des conditions équivalentes à celles qui existaient avant la fusion. L’attractivité des chaines TPS Star et TPS Cinéstar (devenue CinéCinéma Star) s’est nettement dégradée pour les raisons exposées précédemment. Quant à la chaine TPS Foot, elle a également été vidée de son contenu (plus de matches phares de grands championnats, plus de diffusion en direct, plus de diffusion exclusive). (manquement à l’engagement 34). (Pour plus de détails, se reporter aux pages 34 à 37).


3. Groupe Canal Plus n’a pas respecté certains engagements concernant les relations avec les chaines indépendantes et tierces

Un certain nombre d’engagements avaient été souscrits par la nouvelle entité pour permettre aux distributeurs tiers d’enrichir leurs bouquets, en incluant des chaînes indépendantes attractives, dont il convenait d’assurer l’autonomie vis-à-vis de Groupe Canal Plus et la viabilité.

L’Autorité de la concurrence a relevé que Groupe Canal Plus avait maintenu plusieurs éditeurs de chaînes indépendantes (par exemple Equidia, Trace TV, Télémaison) en situation de dépendance, en entretenant avec eux des relations opaques, non transparentes et donc potentiellement discriminatoires, notamment en ce qui concerne leurs conditions de rémunération (non présentation de catalogue de reprise, absence de grille tarifaire ou de barème de rémunération, aucune communication de critères pouvant servir de base à la négociation) et la durée de leurs contrats (manquement à l’engagement 42). Ce comportement a contribué à renforcer le déséquilibre de la négociation commerciale jouant en faveur de Groupe Canal Plus, à entraver le bon fonctionnement de la concurrence entre les différents distributeurs ainsi que celui entre les chaînes indépendantes et les chaînes adossées, contrôlées par les actionnaires minoritaires de Canal+ France.

Par ailleurs, Groupe Canal Plus s’était engagé à ce que les rémunérations des chaînes indépendantes soient « déterminées selon des modalités comparables à celles prévalant avant l’opération ». Or, plusieurs chaînes sont passées après l’opération de concentration d’un modèle de rémunération variable à un modèle de rémunération fixe (manquement à l’engagement 41(b)).

Par ailleurs, l’obligation qu’avait Canal Plus de conclure des contrats séparés pour la distribution commerciale et pour le transport sans conditionner la première prestation à l’autre, n’a pas été respectée pour un certain nombre de chaînes (manquement à l’engagement 44). (Pour plus de détails, se reporter aux pages 40 à 47).

Conclusion

L’opération de concentration Canal Plus-TPS présentait de nombreux et importants risques d’atteinte à la concurrence. Le nombre et la teneur des engagements pris par Groupe Canal Plus en 2006 mettent en lumière l’ampleur des difficultés que cette opération soulevait.

Compte tenu du caractère essentiel de certains des manquements constatés, Groupe Canal Plus ne peut invoquer, à titre de circonstance atténuante, le fait que l’entreprise a respecté plus de 80 % des engagements souscrits. Outre que cette proportion repose sur une arithmétique contestable - qui met sur le même plan les 59 engagements souscrits alors qu’ils sont d’une nature et d’une portée souvent très différentes - il faut rappeler que l’autorisation de l’opération n’a été délivrée en 2006 qu’à la condition que l’ensemble des 59 engagements soient mis en œuvre, chaque remède étant nécessaire pour prévenir les risques d’atteinte identifiés.

L’Autorité de la concurrence a par conséquent décidé de retirer la décision d’autorisation accordée en 2006 et mis à la charge de Canal Plus une sanction de 30 millions d’euros. Vivendi et Groupe Canal Plus devront notifier à nouveau l’opération dans un délai d’un mois, sauf à revenir à l’état antérieur à cette opération.


1 Décision du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 30 août 2006, autorisant l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus, après avis du Conseil de la concurrence émis le 13 juillet 2006 (06-A-13). A la date de l’opération, les opérations de concentration étaient notifiées devant le ministre de l’économie. Depuis le 2 mars 2009 (date d’entrée en vigueur de la réforme mise en place par la LME), le contrôle des opérations de concentration relève de l’Autorité de la concurrence. Désormais compétente, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office le 28 octobre 2009 des manquements aux engagements pris en application de la décision du ministre.

2 Le marché de l’acquisition des droits audiovisuels (« marché amont » ou « marché primaire ») est celui sur lequel se rencontrent les détenteurs des droits de diffusion (producteurs d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles, titulaires des droits sportifs telle que la ligue de football professionnel…) et les éditeurs, dont le rôle consiste à agréger les contenus audiovisuels afin de constituer des chaînes de télévision.

3 Le marché de gros de la télévision payante (« marché intermédiaire ») est celui sur lequel les éditeurs cèdent les chaînes qu’ils ont constituées, sur la base des contenus acquis sur le marché amont, aux distributeurs (« détaillants ») afin que ces derniers les commercialisent auprès du grand public, soit individuellement, soit, le plus souvent, sous la forme de « bouquets » de chaînes.

Contact(s)

Virginie Guin
Directrice de la communication
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