La Commission européenne ouvre une procédure d’examen du rachat de Grail par Illumina fondée sur la procédure de l’article 22 du règlement concentrations de 2004

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L'essentiel

A la suite de la demande de renvoi formulée par l’Autorité de la concurrence, à laquelle se sont joints plusieurs Etats membres de l’Espace économique européen (Belgique, Grèce, Islande, Pays-Bas, Norvège), la Commission a décidé d’ouvrir une procédure d’examen de l’opération de rachat  de Grail par Illumina (voir communication du 20 avril 2021).

C’est la première fois, depuis l’annonce par Margrethe Vestager de sa nouvelle approche en matière de contrôle des opérations « sous les seuils » dans le cadre de l’article 22 du règlement n° 139/2004, que la Commission va examiner une opération de concentration qui n’était pas soumise à notification obligatoire au regard des seuils nationaux de chiffres d’affaires.

Cette approche renouvelée de l’article 22, qui constitue un retour à une lecture correspondant à la pleine portée de ce dispositif, répond aux demandes exprimées par plusieurs acteurs, notamment l’Autorité française, de mobiliser de façon plus efficace l’outil de contrôle des concentrations à l’échelle européenne. Il s’agit ainsi de mieux contrôler les acquisitions d’entreprises à forte valeur dans les domaines de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, et qui peuvent permettre de consolider le pouvoir de marché d’entreprises déjà puissantes ou dominantes ou affecter de façon significative la concurrence. L’opération renvoyée entre dans le cadre de ces nouvelles priorités : il s’agit du rachat par une entreprise américaine puissante dans le domaine de la santé d’une entreprise innovante qui travaille à l’élaboration d’un test sanguin de dépistage du cancer fondé sur la technologie du séquençage génomique.

L’Autorité inaugure la procédure de renvoi via l’article 22 du règlement concentrations d’une opération « sous les seuils » dans la nouvelle approche retenue par la Commission européenne en 2020

La Commission européenne avait saisi l’ensemble des Etats membres du sujet, dans le cadre prévu par le paragraphe 5 de l’article 22 du règlement 139/2004.

La Commission européenne a accepté la requête soumise par la France, à laquelle se sont par la suite joints la Belgique, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège, lui demandant d'examiner le projet d'acquisition de la société Grail par le groupe Illumina sur la base de l’article 22 du règlement n°139-2004 du Conseil du 20 janvier 2004.

En vertu de la disposition précitée, une autorité nationale de concurrence dispose de la faculté de demander le renvoi à la Commission européenne de l’examen d’une opération de concentration, qui ne serait pas de dimension européenne, mais qui affecterait le commerce entre États membres et menacerait d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.

Par ailleurs, le règlement n’exige pas que ce ou ces États membres soient conduits à examiner une opération qui devrait légalement leur être soumise en vertu des règles nationales applicables en matière de concentrations. Ce mécanisme a été mis en place pour permettre aux Etats membres ne disposant pas de contrôle des concentrations de demander l’examen de certaines opérations sensibles par la Commission européenne. La totalité des Etats membres étant désormais dotée d’un contrôle des concentrations, ce mécanisme était peu usité s’agissant des opérations non soumises à notification dans les Etats membres et, jusqu’à récemment, la Commission européenne recommandait aux États membres de ne pas formuler de demande de renvoi fondée sur l’article 22 dans l’hypothèse où l’opération ne franchirait pas les seuils nationaux de notification. Toutefois, le 11 septembre 2020, la Commission européenne a annoncé la levée de cette recommandation, impliquant un retour à la lecture initiale de cet article. En effet, tirant les conséquences des évolutions de certains marchés, la Commission a annoncé qu’elle accepterait désormais d’examiner les demandes de renvoi, au titre de cet article, présentées par les autorités nationales de concurrence, y compris lorsque les opérations de concentration en cause ne franchiraient les seuils nationaux de notification d’aucun État membre, et ce dès lors que les conditions fixées par cet article sont remplies.
 

Une évolution appelée de ses vœux par l’Autorité

Cette évolution était appelée de ses vœux depuis plusieurs années par l’Autorité, qui considère, d’une part, qu’il était nécessaire de renforcer le contrôle européen des concentrations pour pouvoir examiner un certain nombre d’opérations « sous les seuils » et, d’autre part, que ce mécanisme apporte, à droit européen constant, la flexibilité nécessaire pour cibler les concentrations sous les seuils qui méritent un examen au niveau de l'Union européenne. La nouvelle approche de l’article 22 constitue une solution adéquate et pertinente pour répondre aux préoccupations grandissantes quant au risque que certaines opérations structurantes, pouvant avoir une incidence négative sur la concurrence,  échappent à tout contrôle des autorités de concurrence européennes (voir le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence en date du 15 septembre 2020).

Cette décision de la Commission, rendue à la suite d’une requête soumise par l’Autorité de la concurrence, constitue donc, depuis l’annonce de ce retour à la lecture initiale de l’article, le premier cas d’application de l’article 22 du règlement à une opération qui ne franchissait pas les seuils de notification nationaux.
 

La Commission européenne examinera le rachat de la société innovante de biotechnologies Grail par Illumina, leader mondial du séquençage génomique 


Le 20 septembre 2020, Illumina Inc. (ci-après « Illumina »), entreprise américaine spécialisée dans le séquençage génomique, a annoncé son intention d’acquérir la société américaine Grail, pour un montant de transaction s’élevant à environ 8 milliards de dollars.

  • Les entreprises parties à l’opération

Illumina est une entreprise américaine spécialisée dans le séquençage génomique. Elle développe, fabrique et commercialise dans le monde entier des systèmes intégrés d’analyse génétique, en particulier des séquenceurs génomiques de nouvelle génération qui sont utilisés, entre autres, dans le développement et la mise en œuvre des tests de dépistage du cancer. En 2020, Illumina a réalisé un chiffre d’affaires mondial d’environ 2,6 milliards d’euros, dont près de 27% provient des ventes réalisées en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient.

Grail est une entreprise de biotechnologie fondée en 2016 qui s’appuie sur le séquençage génomique et les outils de data science pour développer des tests sanguins pour le dépistage précoce des cancers, notamment fondé sur la technologie du séquençage génomique. Deux autres tests sont également en cours de développement par Grail, destinés d’une part au diagnostic pour le cancer, et d’autre part à la mesure résiduelle de la maladie, chez les patients ayant déjà reçu un traitement.

  • Les risques concurrentiels identifiés par l’Autorité

Après une analyse préliminaire, l’Autorité a demandé à la Commission européenne d’examiner le dossier, considérant que les critères de l’affectation du commerce entre États membres et de l’affectation significative de la concurrence sur le territoire français étaient remplis. En particulier, l’Autorité a constaté qu’Illumina était active en Europe, où elle commercialise des séquenceurs génomiques de nouvelle génération, qui sont largement utilisés, notamment par des laboratoires de recherche. Or, ces produits constituent un matériel nécessaire pour permettre à Grail et à ses concurrents de développer leur activité dans le secteur des tests de détection du cancer. L’Autorité a estimé qu’à l’issue de l’opération, Illumina pourrait rendre l’accès à ses séquenceurs plus complexes pour les concurrents de Grail sur le secteur, en augmentant leur prix ou en dégradant leur qualité. Or, compte tenu du poids d’Illumina dans le secteur des séquenceurs génomiques, une telle stratégie pourrait avoir des effets sensibles sur la concurrence dans le secteur des tests de dépistage du cancer.

Cinq autres États membres de l’Espace économique européen (la Belgique, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège) se sont joints à la demande de la France. Dans une décision rendue ce jour, la Commission a accepté ces différentes requêtes, démontrant ainsi que ces États membres et la Commission considèrent également que le rachat de Grail par Illumina est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et d’affecter significativement la concurrence sur le territoire des États membres ayant formulé la demande de renvoi.

Par ailleurs, la Federal Trade Commission a annoncé, le 31 mars dernier1, sa décision de soumettre à la cour compétente une demande de suspension de la réalisation de l’opération entre les parties, au motif, notamment, que, à l’issue de cette dernière, Illumina serait en mesure d’empêcher ou de retarder le développement de produits concurrents de ceux de Grail.

On peut noter que, à la suite de la demande de renvoi adressée par l’Autorité de la concurrence à la Commission, Illumina et Grail avaient formé un recours en référé-suspension devant le Conseil d’État contre cette demande. Ce recours a été rejeté par le Conseil d’État, qui a considéré qu’il avait été porté devant une juridiction incompétente, la demande de renvoi de l’Autorité n’étant pas détachable de la procédure d’examen de cette opération, menée par la Commission sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. 

 

1https://www.ftc.gov/news-events/press-releases/2021/03/ftc-challenges-illuminas-proposed-acquisition-cancer-detection

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Yannick Le Dorze
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Adjoint à la directrice de la communication
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