Transports

Consultée pour la première fois à la demande de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, l’Autorité de la concurrence rend un avis réservé sur un accord collectif signé dans le secteur des VTC et recommande de réaliser une étude d’impact avant d’homologuer cet accord

VTC

L'essentiel

L’Autorité de la concurrence a été saisie sur le fondement de l’article L.462-1 du code de commerce par le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique d’une demande d’avis concernant un accord collectif signé le 19 décembre 2023 dans le cadre du dialogue social spécifique au secteur des services de transport par voitures de transport avec chauffeur (ci-après « VTC »).

L’ARPE (Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi) est chargée par la loi de d’homologuer chaque accord signé, c’est-à-dire d’étendre l’accord à l’ensemble des acteurs du secteur ou non. Elle peut refuser de le faire « pour des motifs d’intérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence ». C’est dans ce cadre et conformément à l’article L. 7343-50 du code du travail qu’elle a demandé au ministre de l’Économie de saisir l’Autorité de la concurrence, qui se voit ainsi amenée à se prononcer, pour la première fois, sur un accord collectif de ce type.

L’accord faisant l’objet de la saisine, prévoit l’obligation pour les plateformes de se doter d’un dispositif permettant à chaque chauffeur de choisir une base de revenu minimal par kilomètre de course, à partir de laquelle lui seront faites par préférence des propositions de course par la plateforme. Signé par une seule organisation professionnelle de plateformes (dont le principal adhérent est Uber, acteur détenant une position très forte sur le marché) et par deux des sept syndicats de chauffeurs ayant pris part aux négociations, l’accord une fois homologué conduirait à généraliser un système que seul Uber semble en mesure de mettre en œuvre.

L’Autorité de la concurrence considère que si l’accord ne porte pas en lui-même atteinte à la libre concurrence, de nombreuses interrogations restent sans réponse. En l’état actuel, il est impossible d’affirmer que l’acquisition d’un tel dispositif pourrait constituer un facteur d’éviction  ni qu’il améliorerait effectivement les conditions de travail des chauffeurs de VTC indépendants. 

Pour ses raisons, l’Autorité appelle l’ARPE à la vigilance car l’Autorité n’exclut pas que l’extension de cet accord à l’ensemble du secteur soit de nature à porter une atteinte à la concurrence, ce qui engagerait la responsabilité de l’État. L’Autorité précise qu’il serait opportun, avant toute homologation de cet accord, de faire réaliser une étude d’impact préalable approfondie des conséquences économiques, sociales et financières. L’Autorité n’étant pas en mesure de procéder à de telles études, elle invite l’Etat à octroyer à l’ARPE les moyens juridiques et financiers nécessaires.

Le cadre du dialogue social spécifique au secteur des services intermédiés de transport par VTC (voitures de transport avec chauffeur)

  • La mise en place d’un dialogue social dans le secteur des VTC

Afin de doter les chauffeurs de VTC non-salariés de garanties et droits similaires à ceux des travailleurs salariés et de contribuer ainsi à apaiser les relations entre plateformes et chauffeurs, le législateur a rendu obligatoire un dialogue social entre les plateformes de mise en relation et ces travailleurs indépendants par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles représentatives.

Ces négociations, menées sous l’égide de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), ont permis d’aboutir à la conclusion de plusieurs accords et avenants depuis le début de l’année 2023 (notamment concernant l’instauration de revenus minimum par course et par heure d’activité). C’est dans le cadre de ces négociations que s’inscrit l’accord soumis, pour avis, à l’Autorité.

 

  • L’accord du 19 décembre 2023

Le présent accord soumis à l’avis de l’Autorité  prévoit l’obligation, pour chaque plateforme, de se doter d’un dispositif permettant à chaque chauffeur de choisir un revenu minimal par kilomètre de course à partir duquel il souhaite recevoir par préférence des propositions de course par la plateforme. Signé par une seule organisation professionnelle de plateformes (et dont le principal adhérent, Uber, détient sur le marché français un poids particulièrement important et par deux des sept syndicats de chauffeurs ayant pris part aux négociations en 2023), il remplit les conditions de l’article L. 7343-29 du code du travail et s’applique aux signataires.

L’ARPE envisage d’homologuer cet accord et donc de l’étendre à toutes les plateformes et tous les chauffeurs de VTC indépendants. La décision d’homologation, comme la décision d’extension d’un accord de branche en droit du travail, n’étant prise qu’après un contrôle de légalité du texte de l’accord, l’ARPE est en charge de vérifier que cet accord ne porte pas atteinte à la libre concurrence.

 

L’accord du 19 décembre 2023 ne porte pas en lui-même atteinte à la concurrence

Si le présent accord prévoyant la mise en place par les plateformes d’un dispositif permettant à chaque exploitant de choisir un revenu minimum par kilomètre de course, il n’est actuellement proposé que par Uber.

Pour l’Autorité, la détention par un seul opérateur du marché d’une technologie dont ses concurrents ne disposent pas, ou dont l’acquisition représente un coût significatif, ou sur laquelle un opérateur a pris une avance considérable dans la conception et le développement même si la technologie n’est pas encore pleinement opérationnelle au moment de l’analyse ne constitue pas en soi une atteinte aux règles du droit de la concurrence.

L’Autorité recommande de faire procéder à une étude d’impact avant d’envisager une homologation de l’accord

Si l’accord ne porte pas en lui-même atteinte à la concurrence, sa généralisation soulève un certain nombre de questions sans réponse qui pourraient avoir des conséquences anti-concurrentielles. D’abord, les différents acteurs ne sont pas en mesure de confirmer le coût qu’impliquerait le développement de ce dispositif de sorte qu’il est en l’état impossible d’éviter la possibilité que cet accord permette en réalité à  Uber d’évincer ses concurrents. Il convient d’ailleurs de noter qu’Uber dispose de volumes de données sans commune mesure par rapport à ses concurrents pour développer et tester des technologies, en raison du nombre de chauffeurs VTC qui font appel à son service de mise en relation en France et du nombre de courses qu’ils effectuent.

Par ailleurs, l’Autorité appelle l’ARPE à vérifier que l’accord soit suffisamment équilibré entre les objectifs sociaux et la prise en compte des éventuels risques concurrentiels. En l’espèce, l’avancée sociale pour les chauffeurs n’étant pas établie, il convient de procéder à une étude d’impact, étude que l’Autorité de la concurrencer ne peut réaliser, faute d’éléments suffisants qui lui permettraient d’arbitrer.

Recommandations

  • L'Autorité recommande à l'ARPE de ne prendre la décision d'homologation qu'après avoir procédé à une consultation approfondie sur la faisabilité technique de chaque accord et sur les avantages réels attendus pour les chauffeurs en termes d'avancées sociales.

 

  • L’Autorité appelle le législateur et le pouvoir réglementaire à doter l’ARPE de la possibilité de recourir à une expertise permettant de disposer d’une évaluation des impacts économiques, financiers, sociaux et technologiques de chaque accord, afin notamment de limiter le risque qu’une décision d’homologation rende l’État responsable d’une atteinte aux principes de libre concurrence sur le marché.

Contact(s)

Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
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