L’Autorité de la concurrence se prononce pour avis, sur saisine de l’Arcep, sur quatre projets de décisions adoptés dans le cadre de la procédure d’analyse des marchés de gros du haut et très haut-débit fixes (le marché « 3a » de fourniture en gros d'accès local en position déterminée ; le marché « 3b » fourniture en gros d'accès central en position déterminée ; le marché « 4 » de fourniture en gros d'accès de haute qualité en position déterminée ; le marché de fourniture en gros d'accès aux infrastructures physiques de génie civil pour le déploiement de réseaux en fibre optique). La demande d’avis porte, d’une part, sur l’identification des marchés de produits et de services pour lesquels une intervention ex ante est nécessaire pour développer la concurrence et, d’autre part, sur la désignation des opérateurs considérés comme étant « puissants » sur les marchés au regard de la règlementation applicable aux analyses de marchés.
L’Autorité de la concurrence se prononce également pour avis, à la demande de l’Arcep, sur un projet de décision précisant les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, applicable à tous les opérateurs exploitant des réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu’à l’abonné (dits réseaux « FttH » pour Fiber to the Home).
Dans le cadre de la procédure d’analyse des marchés, l’Autorité a estimé possible de retenir l’existence d’un marché unique, regroupant les offres haut-débit (HD) et très haut-débit (THD), comme le propose l’Arcep, aussi bien sur le segment généraliste que sur le segment « entreprises », mais a souhaité apporter des précisions sur ce point, comme elle l’avait fait précédemment dans son avis de 2017.
Pour maintenir un marché unique des offres grand public, l’Autorité s’est principalement fondée sur le fait qu’il n’existe pas de service ou d’application largement plébiscités par les utilisateurs et disponibles uniquement avec une connexion très haut-débit. Sur le marché à destination de la clientèle entreprise, la priorité est donnée aux services, et notamment à la garantie de temps de rétablissement. L’Autorité a en effet constaté, au cours de son instruction, que le support physique du raccordement, ou même le débit des accès proposés, sont moins déterminants, pour la grande majorité des entreprises, que la qualité de service qui lui est proposée, et plus généralement, aux services qui sont adossés à l’offre d’accès.
L’Autorité souscrit à l’analyse selon laquelle les offres haut-débit et très haut-débit sont substituables. Cependant, la dynamique concurrentielle actuelle portée par le très haut-débit, et l’émergence potentielle de services disponibles exclusivement sur le très haut-débit, pourraient remettre en cause cette délimitation au cours du cycle à venir.
Par ailleurs, il peut être relevé, à titre prospectif, que de nombreux opérateurs estiment que le développement de la 5G et la fermeture du réseau cuivre pourraient rendre le critère du débit obsolète, la qualité des accès étant alors évaluée à l’aune d’autres critères de performance, tels que la gigue, (c’est-à-dire la variation du temps de latence qui désigne la différence de délai de transmission entre différents paquets d’un même flux lors d’une transmission d’un système à l’autre) ou encore le taux de mutualisation (à savoir la proportion de prises éligibles sur lesquelles au moins deux opérateurs commerciaux sont présents aux points de mutualisation).
Concernant le marché de produits, l’Arcep a choisi d’introduire, pour la première fois, une analyse séparée du marché de fourniture en gros d’accès aux infrastructures physiques de génie civil pour le déploiement des réseaux en fibre optique (qui était, lors des précédents cycles, intégrée au marché 3a) et d’étendre, par ailleurs, l’analyse aux offres de génie civil mobilisable pour le déploiement des réseaux de collecte, en plus des offres de génie civil mobilisable pour le déploiement des boucles locales optiques. L’Autorité salue le choix de l’Arcep de procéder à une analyse séparée de ces deux catégories d’offres, et partage les conclusions auxquelles elle parvient en l’espèce, notamment au regard de l’importance des infrastructures de génie civil qui permettront dans le futur de garantir et d’encadrer les déploiements des réseaux en fibre optique.
Concernant la délimitation géographique des marchés, l’Autorité approuve la délimitation nationale du marché du génie civil et celle, définie au terme d’une nouvelle méthode d’analyse, des marchés 3a et 4. L’Autorité partage également le constat de l’absence de dimension nationale du marché 3b, pour lequel l’Arcep a exclu les zones très denses de son périmètre pour le présent cycle, contrairement aux cycles précédents, où elle concluait à une dimension nationale. L’Arcep considère en effet que les zones très denses se distinguent du reste du territoire en raison du niveau très élevé de locaux pour lesquels au moins deux opérateurs dégroupeurs proposent une offre de bitstream, et de la faible part de marché de gros d’Orange dans ces zones, toutes technologies confondues. A cet égard, l’Autorité considère que cette analyse paraît convenir à une vision ex ante et prospective des conditions de concurrence sur les marchés considérés. L’Autorité s’interroge néanmoins sur la raison pour laquelle l’Arcep n’a pas appliqué sa nouvelle méthode d’analyse pour confirmer la délimitation géographique du marché du génie civil.
L’Autorité souscrit à la démonstration conduisant à la désignation d’Orange comme seul opérateur capable d’exercer une influence significative sur l’ensemble des marchés délimités. L’Autorité relève par ailleurs, à tire prospectif, qu’au vu de l’importance des déploiements en cours et à venir des réseaux en fibre optique opérés par plusieurs acteurs et de l’extinction progressive annoncée de la boucle locale cuivre, il conviendra de s’interroger sur l’évolution du périmètre du marché 3a. L’éventuelle redéfinition de ce marché pourrait conduire à considérer que chaque opérateur d’infrastructure exerce une puissance significative sur l’ensemble des lignes FttH qu’il aura déployées sur la partie terminale du réseau en fibre optique et des prestations associées.
S’agissant des principales évolutions de la régulation, l’Autorité accueille favorablement la proposition de l’Arcep, sur le marché de l’accès au génie civil, d’imposer à Orange, lorsqu’il fait droit aux demandes raisonnables des opérateurs tiers de rénovation du génie civil, de s’engager sur une durée maximale et raisonnable de réalisation des travaux. L’Autorité relève néanmoins qu’un dispositif précisant les modalités d’appréciation d’une durée raisonnable serait à même d’assurer une pleine effectivité de cette mesure. En outre, dans un contexte où les opérateurs tiers ont la possibilité d’intervenir en autonomie pour la rénovation du génie civil, l’Autorité souligne, d’une part, la nécessité qu’Orange traite de la même manière les opérations qu’il réalise pour ses propres besoins et celles qu’il réalise à la demande des opérateurs tiers et, d’autre part, l’importance que le choix des opérateurs tiers d’intervenir en autonomie ne soit pas uniquement guidé par une éventuelle inertie d’Orange. L’Autorité appelle également l’attention sur l’importance que les modalités opérationnelles et financières définies par l’Arcep dans son projet de décision garantissent un traitement non-discriminatoire par Orange des demandes qui lui sont soumises.
S’agissant des modalités d’accompagnement de la fermeture du réseau cuivre d’Orange, qui est un enjeu majeur pour les cycles de régulation à venir, l’Autorité a notamment examiné avec attention la question de la bascule du réseau cuivre vers le réseau FttH, et les conséquences liées au démantèlement du réseau cuivre par Orange, tant pour cet opérateur que pour les autres opérateurs qui seront impactés. Cet impact comportera tant une dimension financière (évolution de la « facture dégroupage » payée par les opérateurs à Orange pour leurs abonnés raccordés au réseau cuivre), qu’une dimension technique, commerciale et opérationnelle, s’agissant des différentes composantes liées à la fermeture du réseau cuivre pour les abonnés concernés (par exemple la planification des travaux nécessaires ou l’anticipation de la bascule des abonnés du cuivre vers la fibre, etc.). L’Autorité considère qu’il est de la plus grande importance que des règles soient définies de la manière la plus objective et précise possible, et suffisamment à l’avance pour que les opérateurs puissent s’organiser. Notamment, l’Autorité approuve la proposition de l’Arcep de ne permettre une fermeture « rapide » du réseau de cuivre (avec un délai de prévenance de deux mois pour les offres généralistes et de six mois pour les offres spécifiques entreprises), que sur les zones où les opérateurs nationaux d’envergure nationale (OCEN) sont présents sur les réseaux FttH. En outre, l’Autorité souhaite rappeler l'importance de la prise en compte des spécificités du marché entreprises pour définir des critères précis de fermeture. L’Autorité invite l’Arcep, dans l’attente d’un programme concret de fermeture de la part d’Orange, à analyser de manière approfondie les incitations économiques liées au tarif du dégroupage et à ses éventuelles évolutions et du cadencement de l’extinction des lignes cuivre, afin de garantir que les mesures prises n’avantagent ou ne désavantagent pas indûment certains opérateurs, et n’affaiblissent pas la dynamique concurrentielle actuelle. L’Autorité se félicite qu’une perspective de sortie du réseau cuivre soit à présent clairement fixée par Orange, à une époque où les opérateurs sont engagés dans de lourds investissements pour le déploiement du FttH. L’Autorité salue, également, les grandes lignes définies par l’Arcep pour le processus opérationnel de bascule du cuivre vers le FttH, aujourd’hui prévu pour s’échelonner de 2023 à 2030.
Concernant la question de la qualité de service, l’Autorité de la concurrence prend note de l’introduction d’une obligation pesant sur Orange de respecter des seuils chiffrés de qualité de service pour les offres généralistes cuivre (de dégroupage et activées) et FttH avec qualité de service renforcée, ainsi que pour les offres d’accès haute qualité cuivre et fibre à destination des entreprises. Cette obligation vient s’ajouter aux obligations préexistantes imposant à Orange de prévoir des engagements contractuels de qualité de service, avec un mécanisme de pénalités, et de publier des indicateurs de qualité.
En outre, l’Autorité salue l’introduction d’un mécanisme d’obligations de qualité de service (seuils chiffrés, engagements contractuels avec pénalités et publication d’indicateurs) applicables à tous les opérateurs d’infrastructures proposant des offres FttH sur la boucle locale optique mutualisée (à savoir le réseau déployé du point de mutualisation ou, le cas échéant, du point de raccordement distant mutualisé, jusqu’au logement des abonnés), y compris lorsque ces offres comportent une option de qualité de service renforcée.
L’Autorité estime nécessaire que ces obligations de qualité de service, qui répondent notamment aux besoins de la clientèle entreprises, laissent également aux opérateurs la capacité de se différencier sur le marché de détail.
De plus, l’Autorité salue l’introduction par l’Arcep d’obligations contractuelles de qualité de service pour les « études de faisabilité » élaborées en amont des commandes d’accès haute qualité en fibre optique sur le marché 4, et s’interroge, par parallélisme, sur l’opportunité d’introduire dans le futur des seuils chiffrés de qualité de service à ce sujet, qui apparaît comme un paramètre essentiel d’une concurrence effective sur le marché de l’accès.
Sur le marché entreprises, l’Autorité est favorable à l’obligation imposée à tous les opérateurs d’infrastructure de fournir des offres de gros avec deux niveaux de qualité de service renforcée sur la boucle locale optique mutualisée (BLOM) ainsi qu’à la mise en place d’un test de reproductibilité tarifaire permettant de s’assurer de la possibilité pour les opérateurs alternatifs de reproduire les offres de détail d’Orange à partir de ces offres de gros activées sur la boucle locale optique dédiée (BLOD) en zone fibre optique dédiée 2 (ZF2). L’Autorité estime que ces offres devraient permettre aux opérateurs alternatifs de satisfaire les besoins de nombreuses entreprises, et donc de proposer des offres d’un niveau de qualité approchant celui des offres construites sur la BLOD avec des barrières à l’entrée significativement moins élevées. L’Autorité soutient ces mesures visant à dynamiser le marché entreprises tout en invitant l’Arcep à suivre de près la mise en place effective de ce test.
Concernant les mesures de non-discrimination applicables à tous les opérateurs d’infrastructure ayant déployé des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné, l’Autorité soutient le choix de l’Arcep d’imposer à ces opérateurs, en matière de systèmes d’information et de processus opérationnels et techniques, la mise en place d’« outils communs » pour offrir l’accès à chaque opérateur qui le demande, y compris leur éventuelle branche aval. L’Autorité soutient également le choix de l’Arcep d’une obligation qui s’impose à tous les opérateurs d’infrastructure, au regard du contrôle qu’ils exercent sur leur réseau aval au point de mutualisation, ainsi que l’Autorité l’avait suggéré dans son avis de 2017. De plus, l’Autorité note que la notion « d’outils communs » envisagée par l’Arcep rejoint la définition de l’équivalence des intrants donnée par la Commission européenne dans sa recommandation n° 2013/466/UE. En revanche, l’Autorité note que l’Arcep prévoit, par exception et si certaines conditions sont réunies, de donner à certains opérateurs d’infrastructure la possibilité de mettre en œuvre une simple équivalence de traitement entre l’ensemble des opérateurs. Sur ce point, l’Autorité invite l’Arcep à apprécier cette dérogation de façon stricte, une telle obligation étant moins susceptible d’apporter des avantages en termes de non-discrimination qu’une équivalence des intrants.
Par ailleurs, l’Autorité soutient les mesures, applicables à tous les opérateurs d’infrastructure ayant établi des réseaux FttH, visant à assurer la disponibilité de la fibre dans les zones moins denses, ainsi que les nouvelles obligations comptables imposées par l’Arcep à ces opérateurs.
L’Autorité prend note du projet de recommandation de l’Arcep de mettre en place un mécanisme de report de l’ouverture à la commercialisation des lignes en fibre optique, pour tous les points de mutualisation pour lesquels la date de livraison des prestations nécessaires aux opérateurs commerciaux n’est pas compatible avec la date d’ouverture à la commercialisation programmée. A cet égard, l’Autorité invite l’Arcep à s’assurer que les opérateurs commerciaux sont en mesure de commercialiser leurs offres sur un pied d’égalité avec un opérateur d’infrastructure intégré et, observant que la mesure proposée pourrait être considérée comme une déclinaison directe du principe de non-discrimination prévu par l’article L. 34-8-3 du CPCE, invite l’Arcep à s’assurer de l’absence d’ambiguïté dans la manière dont s’articulent le projet de recommandation et les obligations existantes, afin que le mécanisme proposé ne conduise pas à un régime moins contraignant que celui résultant, d’ores et déjà, des obligations actuelles.
L’Arcep a, enfin, pour projet de recommander à tous les opérateurs d’infrastructure ayant établi ou exploité des points de mutualisation intérieurs aux immeubles en zones très denses d’appliquer les solutions mises en œuvre par Orange au cours du précédent cycle afin d'assurer, concrètement, l’effectivité de l’accès aux points de mutualisation intérieurs, et leur accès dans des conditions non-discriminatoires. L’Autorité prend acte de ce projet et rappelle, comme elle l’avait fait dans son avis de 2017, que tous les opérateurs d’infrastructure ont la responsabilité (en vertu de l’article L. 34-8-3 du CPCE et de la décision n° 2009-1106 de l’Arcep) de garantir l’effectivité de l’accès aux points de mutualisation qu’ils déploient, et ce dans des conditions non-discriminatoires. Dès lors, l’Autorité invite l’Arcep à s’assurer de l’absence d’ambiguïté dans la manière dont s’articulent le projet de recommandation et les obligations existantes, afin que le mécanisme proposé ne conduise pas à un régime moins contraignant que celui résultant, d’ores et déjà, des obligations actuelles.
Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seul le texte de l'avis fait foi.