Titres-restaurant : l’Autorité de la concurrence publie l’avis qu’elle a rendu au gouvernement

Restaurant

Titres-restaurant : l’Autorité de la concurrence rend un avis au gouvernement, dans lequel elle recommande en priorité à celui-ci de rendre obligatoire la dématérialisation, de rechercher une solution structurelle pour rééquilibrer les rapports de force sur le marché et de mettre en place une régulation adaptée du secteur.

Elle considère que, si le plafonnement tarifaire peut constituer une réponse aux défaillances de marché, elle ne constitue pas en l’espèce la réponse la plus adaptée.

L’essentiel

L’Autorité de la concurrence a été saisie pour avis par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la pertinence d’un encadrement réglementaire du montant des commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurant sur les commerçants agréés par la Commission Nationale des Titres-Restaurant (« CNTR ») ainsi que sur la question de la généralisation de la dématérialisation des titres-restaurant.

Dans l’avis rendu au gouvernement, l’Autorité invite le gouvernement à s’interroger sur :

  • l’instauration d’une régulation adaptée du marché des titres-restaurant, notamment par la mise en place d’un agrément des émetteurs et d’une publicité exhaustive des entreprises agréées ;
  • la recherche d’une solution structurelle visant à rééquilibrer le rapport de force sur le marché en mettant un terme au monopole exercé par chaque émetteur sur ses titres vis-à-vis des commerçants afin que ces derniers puissent disposer d’un véritable pouvoir de négociation

Si la question de l’instauration d’un plafonnement tarifaire peut légitimement être posée dans la mesure où elle peut constituer une réponse aux défaillances de certains marchés bifaces, elle ne constitue pas en l’espèce la réponse la plus adaptée en ce qu’elle ne corrigerait pas les dysfonctionnements constatés sur le marché des titres-restaurant et entraînerait des effets incertains.

En complément, l’Autorité recommande d’autres mesures telles que la dématérialisation obligatoire des titres-restaurant et plus de transparence et de lisibilité des tarifs, notamment en mettant en œuvre une obligation consistant à afficher l’équivalent d’un taux effectif global.

Infographie

Le contexte et la saisine du gouvernement

L’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a été saisie par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur le fondement de l’article L. 462-1 du code de commerce, pour avis portant sur la pertinence d’un d’encadrement réglementaire du montant des commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurant sur les commerçants agréés par la Commission Nationale des Titres-Restaurant (« CNTR »).

Pour rappel, les titres-restaurant sont des titres spéciaux de paiement, dont la valeur faciale totale s’élevait en 2022 à près de 8,5 milliards d’euros. Nés à la fin des années 60, ils sont utilisés aujourd’hui par plus de 5 millions de salariés pour régler des repas ou des prestations alimentaires chez quelques 234 000 commerçants agréés par la CNTR pour recevoir les titres-restaurant en paiement desdits repas ou prestations. Ce dispositif, exempté de cotisations sociales et patronales et d’impôt sur le revenu, est subventionné par les pouvoirs publics à hauteur d’environ 1,5 milliard d’euros par an.

Partant du constat du déséquilibre important entre les commissions, relativement faibles, payées par les entreprises qui achètent les titres-restaurant pour leurs salariés d’un côté, et, de l’autre côté, les commissions, relativement élevées, payées par les commerçants agréés, le gouvernement envisage le plafonnement de ces dernières. Ce dernier étudie par ailleurs le scénario d’une généralisation de la dématérialisation des titres-restaurant.

Le marché des titres-restaurant

Un marché en forte croissance

Le marché des titres-restaurant est marqué par une croissance continue depuis 1999, date depuis laquelle la valeur faciale totale émise a été multiplié par 3 :

Graphique

Source : Autorité de la concurrence à partir du site internet de la CNTR

Un marché biface

Il s’agit par ailleurs d’un marché dit « biface ». Face émission, les émetteurs émettent et commercialisent leurs titres auprès des entreprises pour le compte de leurs salariés. Face acceptation, chaque émetteur acquière ses titres-restaurant auprès des commerçants agréés par la CNTR en vue de leur remboursement, il ne peut acquérir les titres émis par des émetteurs tiers.

Face émission, les entreprises ne font appel en général qu’à un seul émetteur (mono-domiciliation), face acceptation, les commerçants agréés acceptent en général les titres de plusieurs émetteurs (multi-domiciliation), voire tous, leur permettant de maximiser leurs ventes.

Graphique

Une dématérialisation non encore achevée

L’Autorité observe également une forte progression des titres dématérialisés, dépassant aujourd’hui l’émission de titres-papier (60 % en 2022).

Évolution de la part des titres dématérialisés dans la valeur faciale totale émise en France entre 2018 et 2022

Graphique

Le marché des titres-restaurant est enfin marqué par la cessation récente d’activité de la Centrale de Règlement des Titres (« CRT »), qui assurait, depuis une cinquantaine d’années, la collecte et le traitement des titres-papier, entraînant également la quasi-disparition des tarifs de remboursement différés auxquels sont appliqués les taux de commission les plus faibles.

L’existence de défaillances de marché

A l’issue de l’instruction de cet avis, l’Autorité relève l’existence de défaillances de marché, au premier rang desquelles l’existence de barrières à l’entrée, à l’expansion et à l’innovation, et surtout l’existence d’un pouvoir de marché des émetteurs historiques, qui limitent le développement des nouveaux entrants sur le marché et permettent l’augmentation continue des commissions.

Les barrières à l’entrée

S’agissant des barrières, l’Autorité relève notamment du fait de la structure du marché des titres-restaurant, l’existence d’effets de réseau et d’économies d’échelle, tous deux de nature à conférer un avantage concurrentiel aux entreprises ayant une certaine taille, et particulièrement celles qui bénéficient d’une notoriété et d’une légitimité du fait de leur présence historique.

Elle constate également certains freins à la dématérialisation et au développement de nouveaux acteurs, en particulier la forte inertie de la demande des entreprises-clientes et la réticence de certaines d’entre elles à adopter des solutions dématérialisées.

L’Autorité relève enfin l’existence de barrières de nature quasi-règlementaire. Le dispositif des titres-restaurant est en effet régi par les dispositions du code du travail qui prévoient une liste d’obligations à la charge des entreprises proposant des solutions de titres-restaurant, mais ne définissent aucune procédure d’agrément officiel. Il apparaît cependant que la CNTR exerce de fait cette prérogative.

Le pouvoir de marché des 4 émetteurs historiques

L’Autorité relève une concentration du marché, celui-ci étant dominé par les quatre principaux émetteurs (Edenred France, Bimpli-Swile, Sodexo Pass France et Up Coop) depuis plusieurs dizaines d’années. La part de marché cumulée de ces acteurs est supérieure à 99 % en 2022, les parts de marché individuelles étant comprises entre 10 et 40 %.

Malgré la présence de près d’une quinzaine d’entreprises, la concentration de ce marché, relevée à plusieurs reprises par l’Autorité [1], s’est maintenue entre 2018 et 2022, limitant de fait la pénétration des nouveaux entrants sur cette période. Les nouveaux entrants dématérialisés tels que Benefiz, Dunia, Octoplus, Open, WiiSmile et Worklife ont ainsi une part de marché cumulée inférieure à 1 % en 2022.

Par ailleurs, chaque émetteur dispose d’une exclusivité sur les titres qu’il émet, puisque chacun est le seul, en l’état actuel du fonctionnement du marché, à pouvoir les acquérir en vue de les rembourser aux commerçants.

La hausse continue du niveau des commissions pour les commerçants

L’Autorité observe que le glissement progressif des taux de commission de la face émission vers la face acceptation déjà constaté entre 2010 et 2016 [2], s’est poursuivi entre 2018 et 2022 pour les émetteurs historiques. Ce glissement provient notamment du faible pouvoir de négociation des commerçants qui en pratique peuvent difficilement se permettre de perdre des ventes en refusant des titres-restaurant largement diffusés.

Les taux de commission moyens effectifs face émission (commissions payées par les entreprises-clientes) ont baissé entre 2018 et 2022, le taux moyen de commission devenant même négatif pour certains émetteurs. A l’inverse, face acceptation, les taux de commissions moyens effectifs (commissions payées par les commerçants) ont augmenté durant la même période. Cela a entraîné une hausse du taux de commission global (c’est-à-dire la somme des revenus sur les deux faces rapportée à la valeur faciale totale émise).

Évolution du taux de commission moyen de l’ensemble des émetteurs face émission, face acceptation et total


 

Graphique

Les recommandations de l’Autorité

Le plafonnement tarifaire : une mesure susceptible d’engendrer des effets contre-productifs

L’Autorité considère que l’instauration du plafonnement tarifaire envisagé ne constitue pas la réponse la plus adaptée aux défaillances de marché identifiées et pourrait entraîner des effets incertains.

L’expérience montre que généralement un « plafond » devient en pratique un « point focal », c’est-à-dire un prix vers lequel convergent les tarifs pratiqués par les entreprises concernées. Ainsi, tout émetteur dont les taux de commission acceptation étaient habituellement fixés en-deçà d’un tel plafond règlementaire aura tendance à aligner ses tarifs sur ce plafond, au détriment des consommateurs concernés. De plus, les émetteurs pourraient chercher à compenser la perte encourue, soit en contournant la réglementation (augmentation de leurs marges face acceptation sur les prestations dont les tarifs resteraient libres), soit en augmentant leurs tarifs face émission (effet de compensation), avec in fine un risque de baisse de la demande pour les titres-restaurant.

Par ailleurs, la définition du niveau de ce plafond, ainsi que le contrôle de son effectivité, soulèvent des questions délicates de mise en œuvre.

Recommandation n° 1 : ne pas instaurer de plafonnement tarifaire

Si le gouvernement décidait d’instaurer un plafonnement tarifaire des commissions acceptation, une évaluation approfondie de tous les éléments nécessaires à sa mise en œuvre devrait être menée, notamment en termes de communication sur les montants effectivement facturés, de contrôle de la mise en œuvre de la mesure et d’évaluation de ses effets globaux sur les faces acceptation et émission.

L’instauration d’une régulation adaptée du secteur

Constatant que le fonctionnement du marché laisse apparaître l’existence de droits exclusifs non régulés, l’Autorité recommande l’instauration d’un agrément de l’activité d’émission de titres-restaurant, sur la base de critères objectifs, par un organisme qui répondrait à des garanties d’indépendance et d’impartialité.

Par ailleurs, pour assurer une meilleure information concernant l’identité des émetteurs de titres-restaurant, tant vis-à-vis des entreprises-clientes que des commerçants agréés, l’Autorité estime nécessaire la mise en place d’une publicité exhaustive des sociétés exerçant effectivement une activité d’émission de titres-restaurant conformément à la réglementation en vigueur.

Recommandation n° 2 : instaurer une régulation adaptée du secteur

L’Autorité recommande au gouvernement d’instaurer une régulation du marché des titres-restaurant, notamment par la mise en place d’un agrément de l’activité d’émetteur de titres-restaurant et d’une publicité exhaustive des entreprises ainsi agréées.

Atténuer le pouvoir de marché de chaque émetteur

Partant du constat que la source de la défaillance principale de ce marché réside dans le déséquilibre des pouvoirs entre chaque émetteur qui détient un monopole sur les titres qu’il a émis, et une demande atomisée de ces titres sur la face acceptation (234 000 commerçants agréés), l’Autorité est favorable à l’instauration d’une mesure structurelle permettant de rééquilibrer le rapport de force sur le marché, en séparant l’émission de titres-restaurant de leur acquisition, afin de réinsuffler de la concurrence sur la face acceptation.

En pratique, cela pourrait être mis en œuvre en rendant fongibles les titres-restaurant entre eux, c’est-à-dire en supprimant l’exclusivité de chaque émetteur sur les titres qu’il émet, de sorte que les commerçants puissent remettre tous les titres-restaurant reçus en paiement à l’intermédiaire de leur choix, lequel négocierait ensuite avec chaque émetteur les volumes remis et le taux de commission applicable. Une alternative consisterait à permettre aux commerçants agréés d’agréger leur pouvoir de négociation, par exemple via une centrale d’achat.

Recommandation n° 3 : supprimer le droit exclusif de chaque émetteur sur l’acceptation des titres qu’il émet.

L’Autorité recommande au gouvernement de mettre en œuvre des mesures visant à rééquilibrer le rapport de force sur le marché des titres-restaurant en mettant un terme au monopole exercé par chaque émetteur sur ses titres vis-à-vis des commerçants agréés, par exemple en séparant l’émission de titres-restaurant de leur acquisition.

Accélérer la dématérialisation

Afin de remédier à la faible pénétration du marché par les nouveaux émetteurs et à la complexité des grilles tarifaires observées pour les titres-papier, l’Autorité estime que l’accélération de la fin des titres-papier et la dématérialisation obligatoire des titres s’avère pertinente sur les deux faces du marché :

  • Face émission, la dématérialisation permettrait une remise en concurrence d’une part substantielle du marché, puisque les nouveaux entrants seraient en pleine capacité pour démarcher les entreprises-clientes.
  • Face acceptation, les commerçants pourraient bénéficier d’une baisse des coûts de traitement et de remboursement des titres. Le format unique du titre dématérialisé simplifierait également l’activité des commerçants agréés.
  • La dématérialisation pousserait les émetteurs à innover davantage et entraînerait une disparition des coûts liés au traitement des titres-papier pour les émetteurs historiques.

Recommandation n° 4 : rendre obligatoire la dématérialisation des titres-restaurant

L’Autorité recommande au gouvernement de rendre la dématérialisation des titres-restaurant obligatoire, en prévoyant un délai de prévenance suffisamment long pour que les acteurs du secteur puissent anticiper et mettre en œuvre le basculement généralisé vers la dématérialisation.

Rendre les tarifs plus transparents

Afin de remédier à la difficulté pour les commerçants d’anticiper leurs frais liés à l’acceptation de titres-restaurant due notamment à la complexité des grilles tarifaires de certains émetteurs, l’Autorité recommande de rendre les tarifs plus transparents et plus lisibles. Cet objectif pourrait être atteint par la mise en œuvre d’une obligation consistant à afficher l’équivalent d’un taux effectif global qui comprendrait tant la commission acceptation que l’ensemble des éventuels frais annexes.

Recommandation n° 5 : rendre les tarifs des émetteurs plus transparents et plus lisibles pour les commerçants agréés

L’Autorité recommande de rendre les tarifs plus transparents et plus lisibles, par exemple en mettant en œuvre une obligation consistant à afficher l’équivalent d’un taux effectif global.

[1] Avis de la Commission de la concurrence du 21 mai 1980 relatif à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des titres-restaurant ; Décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service ; Décision n° 19-D-25 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des titres-restaurant.

[2] Décision n° 19-D-25 précitée, paragraphe 177.

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Virginie Guin
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Directrice de la communication
Maxence Lepinoy
Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
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