L’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui un avis dans lequel elle précise les conditions de mutualisation entre réseaux mobiles et appelle à l’extinction progressive et encadrée de l’itinérance nationale dont bénéficie Free mobile.

 

Saisie par le ministre du redressement productif et la ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, l’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui un avis sur les conditions dans lesquelles la mutualisation entre opérateurs peut être envisagée sans porter préjudice à la concurrence et sur l’itinérance dont bénéficie Free.

La concurrence par les infrastructures, un modèle qu’il faut conserver 

La concurrence par les infrastructures, qui suppose que chacun s’appuie sur son propre réseau, constitue le cœur des politiques d’ouverture à la concurrence dans le secteur des télécommunications en Europe et particulièrement en France.

Ce modèle permet en effet de poursuivre plusieurs objectifs, parmi lesquels la mise en place d’une concurrence pérenne entre opérateurs de réseaux, ainsi que la promotion de l’innovation et de la différenciation des offres. Il est également celui qui stimule le plus l’emploi et l’investissement. Sur le principe, l’Autorité de la concurrence est donc favorable à ce que chaque opérateur de réseau déploie son infrastructure de la manière la plus rapide et le plus volontariste possible, cette démarche constituant en elle-même un des vecteurs de la compétition par les mérites.

Des questionnements

A l’heure où les 4 opérateurs de réseau mobiles sont amenés à investir massivement dans des réseaux de quatrième génération, des voix s’élèvent pour savoir comment concilier ce modèle de concurrence avec les besoins d’investissements substantiels qui se font jour :

  • Si une consolidation du secteur par rachat ou fusion d’opérateurs n’est ni possible ni souhaitable, une mutualisation de l’effort d’investissement serait-elle cependant envisageable ?
     
  • Le contrat d’itinérance conclu entre Orange et Free procure-t-il au nouvel entrant un avantage concurrentiel ? Existe-t-il un risque qu’il affranchisse ce dernier des règles du jeu qui président à une vraie concurrence par les infrastructures, au risque de déséquilibrer le marché ?

La mutualisation permet d’économiser des coûts et d’améliorer la couverture. Elle peut, sous certaines conditions, s’inscrire dans  le  modèle de concurrence par les infrastructures

D’une manière générale, les accords de coopération horizontale entre entreprises peuvent produire des avantages économiques substantiels (économie de coûts, meilleure couverture, déploiement plus rapide, etc.). Cependant, ce type de rapprochements peut favoriser des comportements collusifs. Le renforcement des partenaires à l’accord peut aussi déséquilibrer la structure de marché et conduire à terme à l’éviction d’un concurrent.

Des risques concurrentiels variables selon le type de partage choisi

Il existe plusieurs modalités de partage de réseaux qui induisent une intégration plus ou moins forte des partenaires. Selon la modalité choisie (mise en commun d’infrastructures passives - pylônes,  locaux, toits terrasses - ou  actives - équipements électroniques « intelligents » -, partage de fréquences) l’autonomie des opérateurs est plus ou moins affectée et les risques d’atteinte à la concurrence plus ou moins importants.

Les trois principaux critères permettant d’analyser les risques

A titre liminaire, l’Autorité a constaté que le marché mobile continue de présenter des caractéristiques intrinsèques (degré de concentration, transparence, stabilité, complexité, etc.) qui maintiennent des risques de collusion. Dès lors, tout accord de coordination ou de production lui semble devoir être examiné avec une grande vigilance.

A la lumière de la jurisprudence et des lignes directrices européennes, l’Autorité a donc dressé à cet effet la liste des critères pertinents pour apprécier l’impact concurrentiel de tels accords. En voici les principaux :

  • L’intensité de la coopération entre les parties à l’accord : le partage d’infrastructures passives induit peu d’échanges d’informations entre concurrents. A l’inverse, le partage de fréquences limite très fortement l’autonomie des partenaires et leur capacité à se différencier en termes de qualité de services ou de couverture. Le partage d’infrastructures actives se situe, quant à lui, dans une zone intermédiaire.
     
  • Le pouvoir de marché acquis conjointement par les partenaires, qui dépend de la taille, de la puissance et de la complémentarité de ces derniers, ainsi que de la possibilité de réplique dont disposent individuellement ou collectivement les autres acteurs du marché
     
  • Les caractéristiques des zones concernées par l’accord et en particulier leur densité. Dans les zones peu denses, le partage de réseaux conduit à des économies de coûts importantes qui rendent possibles une meilleure couverture du territoire. Dans les zones denses, en revanche, moins d’économies sont à attendre d’une mutualisation.

 

Les recommandations de l’Autorité
L’examen des différentes modalités de partage de réseaux, au regard des critères qui viennent d’être énoncés, permet de dégager un certain nombre de recommandations. Celles-ci varient selon les zones.

 

  • Zones peu denses ou zones de déploiement prioritaire (ZDP)
Dans ces zones, et sous réserve d’un examen détaillé au cas par cas qui restera toujours nécessaire, l’Autorité de la concurrence n’exclut a priori aucun type de mutualisation. Elle considère cependant que les accords de partage de fréquences devraient être étudiés avec une attention particulière.
  • Zones denses
Les zones denses sont le terrain naturel sur lequel plusieurs opérateurs peuvent se déployer simultanément et indépendamment de manière rentable. La mutualisation d’installations passives comporte peu de risques concurrentiels puisqu’elle nécessite peu d’échanges d’informations et ne compromet nullement la capacité des opérateurs à se différencier. Elle ne présente donc pas de difficultés particulières.

Le partage de fréquences qui enlève toute capacité de différenciation entre partenaires remettrait en cause le principe de concurrence par les infrastructures et suscite de très fortes réserves de la part de l’Autorité.

La mutualisation d’infrastructures actives ou RAN sharing - qui laisse aux opérateurs la possibilité de se  différencier – suppose l’échange d’informations sensibles : elle doit être encadrée et en tout état de cause limitée. Elle paraît risquée dans les zones très denses, dans lesquelles la mutualisation exige des échanges d’informations riches et fréquents sur la consommation des abonnés pour dimensionner correctement le réseau. Elle l’est vraisemblablement moins dans les zones « semi-denses », dans lesquelles des échanges d’informations aussi précises ne sont pas indispensables pour déployer un réseau commun.

L’itinérance dont bénéficie Free a permis d’animer la concurrence dès son entrée sur le marché. Elle doit cependant être bornée dans le temps. 

Les avantages et les inconvénients de l’itinérance

L’itinérance peut favoriser l’animation de la concurrence, notamment en abaissant les barrières à l’entrée pour un nouvel entrant. Compte tenu du délai nécessaire au déploiement d’un réseau, un opérateur entrant ne pourrait en effet proposer d’offres compétitives dès son lancement s’il devait s’appuyer sur son seul réseau, faute d’une couverture suffisante. C’est pourquoi l’Autorité de la concurrence avait, dans son avis 10-A-13, insisté sur la nécessité que Free puisse en bénéficier rapidement, le temps qu’il puisse déployer son propre réseau.

Cependant, cette itinérance doit rester transitoire car elle présente aussi des risques concurrentiels. L’itinérance contribue à rapprocher l’offre de services de l’opérateur accueilli de celle de  l’opérateur d’accueil sur des paramètres importants de concurrence tels que la qualité de service, les débits ou la couverture. Ce faisant, elle réduit la différenciation entre opérateurs.

Elle peut également induire des risques pour la structure du marché. En effet, les parties à l’accord d’itinérance sont renforcées et la compétitivité des autres opérateurs de réseau s’en trouve, d’un point de vue relatif, dégradée. Cela peut à terme déséquilibrer le marché et ce, d’autant plus que l’opérateur d’accueil est un acteur majeur du marché, que l’accord est conclu sur une période longue et qu’il couvre une part importante du territoire.

L’Autorité estime par conséquent qu’il convient d’être particulièrement attentif aux accords d’itinérance nationale, en particulier en ce qui concerne leur durée. Une surveillance étroite et un suivi de ces accords sont nécessaires, dans la mesure où il n’est pas forcément dans l’intérêt tant de l’opérateur accueilli que de l’opérateur d’accueil de mettre fin à un accord d’itinérance nationale.

Les préconisations de l’Autorité en ce qui concerne le cas de Free

  • En ce qui concerne l’itinérance 3G

Free a conclu avec Orange un contrat d’itinérance nationale d’une durée de six ans, qui court donc jusqu’en 2018. Ce contrat lui a permis - et lui permet - de disposer d’un complément à son réseau propre en termes de couverture et/ou de capacité. Cette itinérance était nécessaire pour permettre à Free d’animer la concurrence sur le marché dans un contexte où la couverture des autres opérateurs de réseau en 3G était déjà particulièrement avancée. 

Cependant, si l’itinérance nationale a pu constituer une réponse nécessaire et proportionnée à cette problématique du nouvel entrant, elle ne peut servir un tel objectif que si elle est strictement bornée dans le temps. Le coût de l’itinérance, couplé avec les engagements de couverture retranscrits dans la licence de Free (75% de la population en 2015 et 90% en 2018) devraient en principe conduire l’opérateur accueilli à demander de lui-même l’extinction de l’itinérance à l’échéance contractuelle ou même avant, sans que personne n’ait à intervenir. Cependant, le bilan coûts-avantages de l’itinérance pour l’opérateur accueilli ne se limite pas à une équation financière et il existe un certain nombre de raisons qui peuvent inciter Free à la conserver (voir paragraphes 223 à 227 de l’avis). 

C’est pourquoi l’Autorité estime nécessaire l’intervention conjuguée des autorités de concurrence et de régulation pour encadrer l’itinérance : préciser sa durée, régler les modalités de son extinction. 

L’itinérance nationale ne doit pas être prolongée au-delà d’une échéance raisonnable : 2016 - date à laquelle expirera le droit à l’itinérance 2G et s’ouvrira la fenêtre de résiliation prévue dans le contrat d’itinérance entre Orange et Free– ou 2018 – échéance prévue par ce contrat

Pour s’assurer que ce calendrier sera tenu, l’Autorité de la concurrence suggère deux initiatives :

- La première, dont la compétence relève de l’ARCEP, est d’user du pouvoir que lui reconnaît la jurisprudence du Conseil d’Etat1 pour vérifier sans attendre que Free est sur une trajectoire d’investissement compatible avec les obligations de sa licence.
- La seconde consiste à définir les modalités d’une extinction progressive de l’itinérance nationale : celles-ci doivent mettre en relation la trajectoire de couverture de Free avec celle de l’extinction de l’itinérance. L’Autorité a formulé des propositions concrètes à cet effet (voir paragraphes 233 et 234 de l’avis).  

  • En ce qui concerne l’itinérance 2G

 A l’heure actuelle, environ la moitié des terminaux utilisés par les clients des opérateurs de réseau présents sur le marché métropolitain sont des terminaux 2G, cette proportion variant légèrement entre les différents opérateurs. La date à laquelle le parc de terminaux 2G deviendra résiduel est aujourd’hui incertaine.

Compte tenu de l’absence de logique économique à déployer un réseau en 2G, le maintien  - encadré - de l’itinérance 2G peut apparaître comme une réponse pertinente pour que Free puisse proposer des offres attractives aux consommateurs qui possèdent un terminal 2G. Il ne doit cependant pas limiter l’incitation de Free à déployer un réseau 3G et 4G dimensionné pour couvrir l’intégralité des besoins de ses clients : le risque est en effet que le quatrième opérateur utilise l’itinérance 2G « en débordement », c’est-à-dire lorsque son réseau a atteint sa limite de capacité, pour satisfaire les besoins en voix et en SMS des clients équipés en terminaux 3G, voire 4G.

 L’Autorité de la concurrence considère que l’itinérance 2G, si elle devait être maintenue au-delà du droit qui est accordé jusqu’en 2016, devrait être limitée aux seuls clients disposant de terminaux 2G exclusifs.   

  • En ce qui concerne l’itinérance 4G

Dans le cadre de la mise aux enchères des fréquences 800MHz pour la 4G, Free a déposé une offre d’acquisition qui n’a pas été retenue. Or, le fait de ne disposer de telles fréquences constitue un handicap dans la mesure où il augmente le coût de déploiement, en particulier dans les zones peu denses. C’est pourquoi Free dispose d’un droit à l’itinérance auprès de SFR dans les zones de déploiement prioritaire. A ce jour, Free n’a encore conclu de contrat d’itinérance 4G. 

Sous réserve d’une analyse in concreto qu’il faudrait mener, l’Autorité de la concurrence serait prête à considérer que l’itinérance peut venir compenser de manière proportionnée un tel handicap dans les zones de déploiement prioritaire

En revanche, l’extension de l’itinérance 4G aux zones denses pose un problème beaucoup plus sérieux. Certes, Free doit vraisemblablement supporter des surcoûts pour son déploiement en zones denses du fait qu’il ne dispose que des fréquences hautes (2,6 GHz) peu aptes à pénétrer les bâtiments. Ce handicap résulte cependant en partie de l’arbitrage fait par Free lui-même lors de la mise aux enchères des blocs de fréquences 800MHz : si son offre d’acquisition n’a pas été retenue, c’est qu’elle était la moins-disante sur le plan financier. 

L’Autorité de la concurrence est d’avis qu’il n’est pas souhaitable que l’itinérance soit utilisée pour compenser une stratégie d’acquisition de fréquences inadaptée. S’il était avéré que le déficit de fréquences de Free entraîne pour lui un risque sérieux de marginalisation,  il lui semble préférable de compenser cet éventuel handicap par une réallocation de fréquences plutôt que par une itinérance en zones denses.

1CE, 10 juillet 1995, TF1, n°141726

 

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
Imprimer la page