L’Autorité prononce une sanction de 611 millions d’euros à l’encontre de 10 fabricants et de 2 distributeurs de produits électroménagers pour avoir pris part à des pratiques verticales de fixation du prix de vente

L'essentiel
L’Autorité de la concurrence sanctionne, pour un montant total de 611 millions d’euros, douze ententes verticales sur les prix entre fabricants et distributeurs dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des produits de gros et de petit électroménager. Ces ententes ont été mises en œuvre entre février 2007 et décembre 2014 et avaient pour objectif de maintenir des prix de vente plus élevés, notamment face à l’émergence de distributeurs en ligne concurrents.
Les entreprises sanctionnées sont BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Whirlpool (en tant que successeur d’Indesit), LG, Miele, SEB, Smeg, Whirlpool, Boulanger et Darty.
Une décision venant compléter la décision rendue en 2018
Ces pratiques révélées notamment grâce à plusieurs indices transmis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont donné lieu, en 2013 et en 2014, à des opérations de visite et de saisie et en 2015 à une demande de clémence déposée par des sociétés du groupe BSH.
En 2016, le rapporteur général adjoint avait disjoint une partie des faits relatifs à des pratiques d’entente horizontale, qui ont fait l’objet d’une procédure distincte et ont conduit à une décision du 5 décembre 2018 sanctionnant dix entreprises à hauteur de 189 millions d'euros.
L’objectif de ces ententes : réduire la concurrence, notamment celle exercée par les distributeurs en ligne, et maintenir des prix de vente élevés pour les consommateurs
Les dix fabricants et deux distributeurs concernés ont enfreint les règles de concurrence en mettant en place des pratiques verticales de fixation du prix de vente de détail. Les fabricants communiquaient des prix de détail aux distributeurs et contrôlaient leur bonne application, n’hésitant pas à recourir à des mesures de rétorsion (retard et arrêts des livraisons, mise en place de systèmes de ventes exclusives, etc.) envers les distributeurs qui refusaient de se conformer à ces consignes de prix. Ces pratiques ont ainsi éliminé la concurrence intra-marque[1] au moment du développement de la vente sur Internet, empêchant les consommateurs de bénéficier de prix plus attractifs pour l’achat de leurs produits de petit et gros électroménager.
Une sanction totale s’élevant à 611 millions d’euros
Dix des douze entreprises concernées n’ont pas contesté les faits et se sont vu accorder le bénéfice de la procédure de transaction.
Ces pratiques ayant conduit à réduire la concurrence entre les distributeurs et à maintenir des prix artificiellement élevés pour le consommateur final, sont particulièrement graves. L’Autorité prononce des sanctions pour un montant global de 611 millions d’euros et enjoint par ailleurs aux parties de publier le résumé de la décision dans les éditions papiers et Internet des journaux « Le Monde » et « Les Echos ».
[1] C’est-à-dire la concurrence à laquelle peuvent se livrer les distributeurs pour une marque donnée.
La coexistence d’ententes verticales de fixation des prix de vente
La fin des années 2000 a été marquée par l’essor de la vente en ligne, notamment pour les produits de petit et gros électroménager. Dans ce contexte, dix fabricants (BSH, Candy Hoover, Eberhardt, Electrolux, Indesit, LG, Miele, SEB, Smeg et Whirlpool) se sont entendus, chacun individuellement, avec leurs distributeurs, et notamment les deux plus importants d’entre eux, Darty et Boulanger, pour maintenir des prix de vente artificiellement élevés.
Les fabricants et leurs distributeurs « traditionnels » (vendant principalement en magasin) souhaitaient ainsi limiter l’émergence de sites Internet qui commercialisaient des appareils électroménagers à prix « cassés », tout en garantissant des marges élevées aux distributeurs actifs sur les canaux de distribution traditionnels, notamment en magasins.
- La mise en place de systèmes de distribution sélective
Plusieurs distributeurs exclusivement actifs sur internet comme WebAchatFrance ou Maismoinscher ont témoigné du fait que les fabricants ont, dès 2009, mis en place des systèmes de distribution sélective qui imposaient par exemple aux distributeurs l’existence de « magasins en dur » ou qui interdisaient la vente de certains produits sur Internet. Les références concernées, qui ne devaient donc pas se trouver sur Internet, étaient regroupées sous le terme de « blacklist ».
- La communication des prix de vente conseillés
Plusieurs distributeurs ont fait état d’une volonté générale des fabricants et fournisseurs de mieux contrôler les prix de vente au détail de leurs produits. Les fabricants, qui étaient conscients qu’ils n’avaient pas le droit de contrôler les prix de revente de leurs produits, recouraient à un langage codé pour dissimuler les consignes de prix.. Ils associaient de façon systématique à toutes leurs références un prix « conseillé », qui était compris par les distributeurs comme un prix à respecter.
- Le contrôle de l’application des consignes de prix de détail
Les fabricants et fournisseurs surveillaient – parfois quotidiennement – le respect, par les distributeurs, des consignes de prix de revente de leurs produits. Cette surveillance s’effectuait par le recours à des abonnements auprès d’outils de relevés de prix sur Internet, leur garantissant une veille efficace. Par ailleurs, les fabricants et fournisseurs prenaient directement attache, souvent de manière orale, avec leurs distributeurs afin de leur demander de remonter les prix de revente. L’objectif était ainsi de réduire autant que possible les différences entre les prix pratiqués par les distributeurs traditionnels et ceux sur Internet. Plusieurs distributeurs en ligne précisent que les fabricants recourraient parfois à des réunions physiques, ces derniers ayant « peur d’être enregistrés au téléphone et se méfiaient des mails ».
Cette pression constante sur les distributeurs afin qu’ils respectent les prix « conseillés » se faisait par l’utilisation de sous-entendus : « si tu veux recevoir le produit, tu sais ce qu’il y a à faire » ; « il y a un nouveau produit qui vient de sortir, si tu en veux… ».
L’Autorité constate qu’en cas de non-respect du prix de revente conseillé, le distributeur pouvait subir des mesures de rétorsion de la part de ce dernier. Ces mesures pouvaient prendre différentes formes : arrêt ou menace d’arrêt des livraisons ou encore interdiction de vente de certaines références, sauf à respecter le niveau de prix de revente qui lui était indiqué.
- Le rôle de Darty et de Boulanger dans la conduite des pratiques anticoncurrentielles
Les distributeurs traditionnels dont les deux principaux, Darty et Boulanger, participaient pleinement à ces ententes, souhaitant essentiellement « préserver la valeur de leur vente » en étant assurés que les produits qu’ils vendaient ne se retrouveraient pas significativement moins chers ailleurs, et notamment en ligne. Ils n’hésitaient pas à contrôler leurs concurrents et à demander aux fabricants d’agir en cas d’importants écarts de prix. Darty et Boulanger pouvaient même exiger des compensations en cas d’écarts constatés : afin de pouvoir s’aligner sur les prix des concurrents sans réduire leur marge, ils demandaient aux fabricants une « compensation de marge » (sous la forme d’une baisse de leur prix d’achat net pour les produits concernés ou pour des achats futurs).
Ces distributeurs, par leurs poids, auraient pu être en mesure de mettre fin aux pratiques anti-concurrentielles. Au contraire, Darty et Boulanger ont non seulement appliqué les consignes de prix, leur permettant ainsi de préserver leurs marges, mais ils ont aussi exercé un véritable contrôle des autres distributeurs, n’hésitant pas à désigner auprès des fabricants ceux qui ne respectaient pas les prix conseillés. Ainsi, à titre d’exemple, dans le cadre d’une négociation commerciale avec un fabricant, Boulanger soulignait la nécessité de « se met[tre] d’accord sur le positionnement à tenir sur le produit ».
Plusieurs distributeurs en ligne confirment le poids de ces deux distributeurs historiques et de leur influence sur le comportement des fabricants : « la politique d’alignement était essentiellement liée à la politique commerciale de DARTY qui avait plus de 20% du marché de la distribution ».
Des pratiques particulièrement graves ayant nui aux consommateurs et aux distributeurs
Ces pratiques généralisées sont particulièrement graves dans la mesure où elles étaient institutionnalisées, mises en œuvre de façon secrète et qu’elles concernaient une grande partie des acteurs présents sur ce marché. L’Autorité souligne que les parties utilisaient un langage codé, signe qu’elles étaient pleinement conscientes du caractère anticoncurrentiel de leurs pratiques et cela dans un contexte de développement des ventes en ligne d’électroménager, ce qui aurait dû permettre aux consommateurs de bénéficier de la baisse des coûts de distribution.
En empêchant les distributeurs de produits électroménagers de vendre leurs produits à un prix concurrentiel, les fabricants et distributeurs sanctionnés ont, par leurs pratiques, porté préjudice aux consommateurs. Ces derniers ne pouvant pas faire pleinement jouer la concurrence et ne pouvaient dès lors, bénéficier de meilleurs prix.
Au-delà des consommateurs, ces pratiques ont directement affecté les distributeurs lorsqu’ils déviaient des politiques de prix de revente imposées par un certain nombre de fabricants et fournisseurs, limitant leur capacité à proposer des produits attractifs pour les consommateurs. Les pratiques ont contribué à fragiliser le secteur de la distribution, en renforçant le poids des principaux acteurs en place et, à l’inverse, en pénalisant certains distributeurs souhaitant pratiquer des prix attractifs, dont l’activité a pu être contrecarrée par les mesures mises en œuvre par les fabricants et fournisseurs.
À ce titre, selon les estimations d’un distributeur relevées par l’Autorité, la très grande majorité (environ 95 %) des distributeurs présents en ligne au début des pratiques ont disparu ou ont été rachetés par les distributeurs traditionnels.
Au total, l’Autorité prononce des sanctions de 611 millions d’euros
L’Autorité a prononcé des sanctions d’un montant total de 611 millions d’euros, réparti entre les douze entreprises comme indiqué dans le tableau ci-dessous. En outre, l’Autorité a enjoint aux entreprises concernées de publier le résumé de la décision dans l’édition papier et numérique des journaux « Le Monde » et « Les Echos ».
Entreprise | Montants (en euros) |
---|---|
BSH | 54 000 000 |
Candy Hoover | 22 750 000 |
Eberhardt | 100 000 |
Electrolux | 44 500 000 |
Whirlpool (en tant que successeur d’Indesit) | 27 750 000 |
LG | 15 500 000 |
Miele | 14 250 000 |
SEB | 189 500 000 |
Smeg | 4 800 000 |
Whirlpool | 44 500 000 |
Boulanger | 84 350 000 |
Darty | 109 000 000 |
TOTAL | 611 000 000 |
Dix des douze entreprises sanctionnées ont fait le choix de ne pas contester les griefs et ont à ce titre bénéficié de la procédure de transaction. Cette procédure permet aux entreprises qui ne contestent pas les faits qui leur sont reprochés d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général et ayant donné lieu à un accord des parties. Les sociétés des groupes SEB et Boulanger ont choisi de contester les griefs. Concernant ces deux entités, l’analyse menée par l’Autorité a permis de confirmer le bien-fondé des griefs attestant ainsi qu’elles ont participé de manière active aux pratiques anti-concurrentielles.
L’Autorité souligne enfin qu’elle prononce un non-lieu concernant un grief visant une potentielle entente horizontale entre les fabricants. Il était reproché aux fabricants de procéder, par l’intermédiaire d’un outil mis à disposition par leur syndicat professionnel, à des échanges de données individualisées et récentes sur les volumes de ventes par catégories de produits de petit électroménager. L’Autorité a considéré que les informations échangées n’avaient pas, dans ce cas particulier, un caractère stratégique, et leurs échanges n’ont pas eu d’effet sur l’autonomie des entreprises participantes.
Décision 24-D-11 du 19 décembre 2024
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