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L’Autorité de la concurrence révise son communiqué de procédure sur les sanctions

Autorité

L'essentiel

L’Autorité rend public aujourd’hui un nouveau communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions, qui abroge et remplace le précédent communiqué du 16 mai 2011. Ce nouveau communiqué a donné lieu à une consultation publique ouverte le 11 juin dernier.

Il tire notamment les conséquences des nouvelles dispositions législatives applicables, issues de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 portant transposition de la directive ECN+. Par cette directive, le législateur européen a entendu renforcer l’intégration et l’harmonisation européenne en matière de concurrence, en faisant en sorte que les autorités nationales de concurrence disposent toutes de moyens d’action efficace pour réprimer les infractions aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), notamment en ayant la possibilité d’infliger des sanctions pécuniaires pouvant atteindre des montants dissuasifs. La directive conduit, en outre, à une plus grande harmonisation en matière de sanctions prises par les autorités nationales de concurrence, celles-ci devant désormais prendre en compte la durée et la gravité des infractions. En complément des adaptations rendues nécessaires par le nouveau cadre légal (suppression du dommage à l’économie, nouveau régime applicable aux sanctions prononcées à l’égard des organisations professionnelles), l’Autorité apporte un certain nombre d’ajustements complémentaires, qui s’inspirent notamment de sa pratique au cours des dix années écoulées depuis le précédent communiqué, de la jurisprudence des juridictions de contrôle et de la pratique de la Commission européenne (fondée notamment sur ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du 1er septembre 2006).

Le présent communiqué constitue ainsi une étape supplémentaire importante vers la convergence des règles applicables en matière de concurrence, et favorisera une application homogène des sanctions entre l’Autorité et la Commission européenne.

Des évolutions du régime juridique applicable qui s’inscrivent dans le cadre d’une harmonisation au niveau européen

L’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (ci-après « ECN+ »), a introduit dans le cadre législatif national plusieurs modifications qui ont fait évoluer les principes de détermination des sanctions de l’Autorité.

L’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive ECN+, conformément à l’objectif poursuivi par le législateur européen, établit en effet un cadre juridique commun pour permettre une application plus homogène et plus efficace des règles du droit de la concurrence au sein de l’Union européenne.

L’article 13 de la directive ECN+ prévoit que les États membres doivent veiller à ce que leurs autorités nationales de concurrence puissent infliger ou requérir des amendes « effectives, proportionnées et dissuasives » aux entreprises et associations d’entreprises qui enfreignent les articles 101 ou 102 TFUE.

L’article 14 de la directive ECN +, harmonise en outre les critères de détermination du montant des sanctions au sein du marché intérieur en retenant les notions de gravité et de durée de l’infraction. Ceci a conduit, en droit interne, à la suppression de la notion de dommage à l’économie - qui figurait à l’article L. 464-2 du code de commerce et constituait une particularité nationale - et à l’introduction, dans ce texte, du critère de durée, qui est désormais consacré par le législateur comme paramètre de détermination des sanctions à part entière.

Les articles 14 et 15 de la directive, transposés à l’article L. 464-2 du code de commerce, prévoient par ailleurs un régime de sanction pécuniaire plus dissuasif, et désormais harmonisé au niveau européen, pour les associations d’entreprises (qui recouvrent notamment les ordres ou syndicats professionnels). Ce régime s’inspire directement de celui qui est appliqué, de longue date, par la Commission européenne sur le fondement du règlement n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du traité. Alors que les associations d’entreprises étaient soumises, jusqu’à ce jour, en France, à un plafond spécifique de sanction de 3 millions d’euros, ce plafond en valeur absolue a été supprimé. Les associations professionnelles sont désormais soumises à un plafond égal à 10 % du chiffre d’affaires de l’association d’entreprises ou du total du chiffre d’affaires des entreprises membres de l’association actifs sur le marché affecté par l'infraction de l'association, lorsque la pratique a trait à l’activité de ses membres.

Le nouveau communiqué conduira ainsi à ce qu’une pratique anticoncurrentielle soit  traitée selon des règles similaires, en matière de sanction, au niveau français ou au niveau de la Commission,. Cette évolution s’inscrit dans la logique poursuivie depuis l’adoption du règlement 1/2003, d’une application « intégrée » et déconcentrée du droit européen indifféremment par les autorités nationales de concurrence ou la Commission, selon la règle de l’autorité « la mieux placée ». Elle est également conforme à la volonté du législateur européen, de mettre en place, avec la directive ECN+, une harmonisation des pouvoirs de sanction dévolus aux autorités nationales de concurrence en imposant que ces sanctions puissent effectivement être infligées et qu’elles reposent sur des critères et des règles de plafond unifiées.

La mise à jour du communiqué sanction de 2011

Le communiqué publié ce jour abroge et remplace le précèdent communiqué daté du 16 mai 2011. Le nouveau communiqué tire les leçons de la pratique décisionnelle de l’Autorité et de la jurisprudence de ses juridictions de contrôle, au cours des dix dernières années, sur la détermination des sanctions pécuniaires. Il tient compte par ailleurs des modifications apportées au régime des sanctions en droit de la concurrence par la transposition de la directive ECN+ en droit interne et par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 (DDADUE).

Le communiqué vise, comme le communiqué initial de 2011, à accroître la transparence sur la façon dont l’Autorité détermine les sanctions encourues en cas de pratique anticoncurrentielle. Il rappelle les objectifs des sanctions et apporte des précisions procédurales sur la méthode de calcul. Il détaille en outre la méthode suivie en pratique par l’Autorité pour proportionner les sanctions au cas par cas, en application des critères prévus par la loi (gravité des faits, durée, situation individuelle de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient, et réitération).

Par le présent communiqué, l’Autorité entend renouveler son attachement au caractère répressif des sanctions pécuniaires punissant des pratiques anticoncurrentielles et préserver sa capacité à dissuader les entreprises de méconnaître le droit de la concurrence tout en s’inscrivant dans une convergence renforcée du droit européen et du droit français de la concurrence.

Afin de procéder à la révision de son communiqué sanction, l’Autorité a procédé à une première phase de consultation publique qui s’est déroulée du 11  au 25 juin 2021. L’Autorité a ensuite reçu les représentants des différentes parties prenantes qui ont contribué à cette consultation[1], le 29 juin 2021, puis  étendu le délai de production des consultations écrites jusqu’au 12 juillet 2021, afin de laisser aux parties prenantes le temps nécessaire pour compléter leurs analyses et leurs propositions.

La consultation et les échanges bilatéraux ont permis à l’Autorité de bénéficier de contributions fructueuses et de qualité, lesquelles ont permis d’enrichir et améliorer le projet soumis à consultation.

Ainsi, par exemple, l’Autorité a précisé :

  • qu’elle motive son choix d’écarter le communiqué sanction, lorsque les circonstances de l’espèce le justifient ;
  • elle a élargi les catégories de circonstances atténuantes pouvant être prises en compte, et a notamment ouvert la possibilité pour une entreprise de faire valoir qu’elle a mis en œuvre, en cours de procédure, des mesures de réparation bénéficiant spécifiquement aux victimes de la pratique, et ce au-delà de l’hypothèse du versement à ces dernières d’une indemnité due en exécution d’une transaction au sens de l’article 2044 du code civil ; elle a également précisé, en particulier, la circonstance correspondant au cas où l’infraction a été « sollicitée ou encouragée » par les autorités publiques ;
  • qu’elle a remplacé la notion de « haut de l’échelle » par la référence à un taux fixé entre 15 et 30 %, s’agissant du coefficient de gravité appliqué aux infractions les plus graves ;
  • qu’elle a limité l’application du nouveau « ticket d’entrée » introduit dans le communiqué, sur le modèle de celui que pratique la Commission européenne, aux seuls abus de position dominante et ententes les plus graves :
  • qu’elle a adopté un calcul au prorata temporis de la participation à l’infraction (pour les périodes inférieures à une année).

Le délai resserré dans lequel s’est déroulée  la consultation tient à la nécessité de présenter rapidement un cadre juridique clair aux parties prenantes, alors que certaines dispositions modifiant le régime applicable sont d’ores et déjà entrées en vigueur, telle la suppression du dommage à l’économie qui est applicable aux notifications de griefs qui seraient transmises par les services d’instruction de l’Autorité postérieurement au 27 mai 2021.

 

Les principales évolutions du nouveau communiqué

Une évolution de l’appréhension de la gravité et de la durée des pratiques

Dans son nouveau communiqué, l’Autorité procède à l’adaptation de la notion de gravité des pratiques, en s’inspirant notamment de celle retenue par la Commission européenne dans ses lignes directrices. Elle apporte des précisions sur la méthode de calcul du montant de base de la sanction, notamment en ce qui concerne les données sur lesquelles elle peut se fonder pour calculer la valeur des ventes et a étoffé la liste des cas dans lesquels elle peut adapter cette méthode. Elle fait ainsi explicitement référence, notamment, à la situation particulière des marchés bifaces ou multifaces, qui revêtent une importance significative dans l’économie numérique.

L’Autorité met également à jour la liste, qui n’est pas exhaustive, des éléments dont elle peut tenir compte pour apprécier la gravité des pratiques. Cette dernière fait désormais explicitement référence, parmi les paramètres de concurrence affectés par l’infraction, à la diversité de l’offre, la qualité, l’innovation ou encore l’environnement. L’Autorité entend ainsi préciser qu’elle prendra en compte, pour apprécier la gravité des faits, la nature du ou des paramètres de concurrence qui étaient concernés par l’infraction. Ces paramètres de concurrence dépendent des caractéristiques de l’infraction mise en œuvre et du secteur dans lequel elle a été réalisée. Ainsi, l’Autorité a déjà pris en compte (dans sa décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017, « revêtements de sols ») le fait qu’une entente qui visait à prévenir toute concurrence sur les performances environnementales des produits respectifs des membres de l’entente avait affecté l’un des paramètres essentiels de la concurrence. Il s’agit donc pour l’Autorité de prendre en compte dans son appréciation le fait que les pratiques contraires au droit de la concurrence porteraient sur ce paramètre.

L’Autorité rappelle, par ailleurs, qu’elle entend punir sévèrement les pratiques les plus graves d’ententes horizontales et d’abus de position dominante et prévoit désormais, à l’instar du régime applicable par la Commission européenne, la possibilité d’ajouter au montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer à de telles pratiques.

L’Autorité a également tenu compte de la consécration de la durée comme paramètre à part entière de détermination des sanctions dans la directive ECN+ et l’ordonnance de transposition du 26 mai 2021. Elle a ainsi aligné le coefficient de prise en compte de la durée avec celui prévu par les lignes directrices de la Commission européenne depuis 2006, chaque année pleine de durée d’infraction étant désormais prise en compte.. Elle a également tenu compte des évolutions de la jurisprudence européenne et, lorsqu’une infraction est inférieure à une année, elle calculera désormais la durée de l’infraction de l’entreprise ou de l’association d’entreprises au prorata temporis de leur participation à celle-ci.

L’Autorité entend ainsi, par les modifications apportées au communiqué, préserver la capacité de dissuasion et de répression qui s’attache aux sanctions qu’elle prononce. Il ne saurait pour autant être déduit du nouveau communiqué que les sanctions seront à l’avenir mécaniquement augmentées de façon significative, dès lors que l’Autorité s’attachera à définir, notamment par la détermination des coefficients de gravité qu’elle appliquera, des sanctions conformes aux obligations cardinales de nécessité et de proportionnalité. Elle prendra par ailleurs en compte, comme elle le fait aujourd’hui, les capacités contributives de l’entreprise lorsqu’elle déterminera les sanctions.

Des précisions sur les critères d’individualisation de la sanction

En ce qui concerne les conditions d’individualisation de la sanction, l’Autorité a décidé d’intégrer de nouvelles circonstances atténuantes, notamment lorsque l’entreprise ou une association d’entreprises met fin à l'infraction dès les premières interventions de l’Autorité, lorsqu’elle coopère effectivement avec l’Autorité en allant au-delà des obligations auxquelles elle est juridiquement soumise et en dehors du champ d’application de la procédure de clémence, ou pour tenir compte des mesures de réparation qu’elle a prises en cours de procédure à l’égard des victimes de la pratique.

Par ailleurs, l’Autorité prévoit désormais qu’elle peut, afin de préserver le caractère dissuasif de la sanction, la majorer lorsqu’il résulte des éléments à sa disposition que les gains illicites estimés réalisés par l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée grâce à l’infraction ou aux infractions en cause sont supérieurs au montant de la sanction pécuniaire qu’elle pourrait prononcer.

Enfin, afin d’œuvrer à une meilleure prise en compte des décisions de sanction adoptées par les autres autorités de concurrence de l’Union et par les juridictions européennes, l’Autorité prendra  explicitement en compte les sanctions prononcées par ces dernières au titre de l’appréciation de la réitération.

Un régime de sanction renouvelé pour les associations d’entreprises

Les modifications apportées au régime de sanction des associations d’entreprises figurent parmi les principales évolutions issues de la directive ECN +.

À cet égard, le communiqué intègre le remplacement, opéré par le législateur, de la notion d’organisme par la notion d’association d’entreprises, à laquelle il apporte une définition. Il insère également les nouvelles modalités de calcul de la sanction et du nouveau plafond légal qui leurs sont applicables issues de l’ordonnance, à la lumière des considérants pertinents de la directive ECN+.

Ainsi, une association d’entreprises peut désormais se voir infliger une sanction pécuniaire allant jusqu’à  10 % du chiffre d’affaires de cette dernière ou 10 % de la somme du chiffre d'affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l'infraction de l'association, lorsque l’infraction de cette association a trait aux activités de ses membres.

Il convient toutefois de noter que lorsqu’une sanction est infligée non seulement à l’association d’entreprises, mais également à ses membres, le chiffre d’affaires des membres auxquels une amende est infligée n’est pas pris en compte lors du calcul de l’amende infligée à l’association d’entreprises.

Le nouveau communiqué reprend, en outre, le mécanisme de solidarité financière entre les membres d’une association d’entreprises en cas de sanction de cette dernière pour une infraction ayant trait aux activités de ses membres, prévu par la directive ECN+ et transposé en droit interne par l’ordonnance.

Enfin, il convient de relever que ce nouveau communiqué, s’il constitue un bon guide pour comprendre la méthodologie suivie par l’Autorité et estimer l’ordre de grandeur de la sanction pécuniaire qui pourrait être prononcée, ne doit pas être compris comme une méthode de calcul automatique et arithmétique. L’Autorité tient en effet compte des différents éléments de l’espèce et ajuste les coefficients affaire par affaire, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité de la sanction.

 

[1] Parmi les contributeurs figurent l’association française d’étude du droit de la concurrence (AFEC), l’association française des entreprises privées (AFEP), l’association des avocats pratiquant le droit de la concurrence (APDC), le comité national de la chambre de commerce internationale (ICC France) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

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Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication
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