Transports

L’Autorité de la concurrence rend un avis sur quatre projets de décrets d’application de la loi portant réforme ferroviaire

ferroviaire

Estimant que certaines mesures entraînent des risques importants pour le développement de la concurrence dans le secteur, elle émet plusieurs recommandations destinées à renforcer notamment l’indépendance de la gestion des infrastructures ferroviaires.

Contexte

Les projets de décret soumis à l’avis de l’Autorité s’inscrivent dans le cadre de la réforme du secteur ferroviaire. La future architecture repose sur la constitution d’un Groupe public ferroviaire (GPF). Ce GPF intègre, sous le chapeau d’un établissement public industriel et commercial (EPIC) de tête nommé « SNCF », un EPIC en charge des fonctions de gestion de l’infrastructure « SNCF Réseau » et un autre en charge de l’exploitation des services de transport ferroviaire, « SNCF Mobilités ». La structure du nouvel ensemble est la suivante :


L’Autorité s’est déjà prononcée, dans un avis du 4 octobre 2013 (avis 13-A-14), sur l’impact concurrentiel du projet de loi qui lui avait été soumis. Si de nombreuses recommandations émises dans cet avis ont été prises en compte dans la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, les préconisations touchant au rôle de l’EPIC de tête dans le système ferroviaire, en termes de périmètre, de missions et de gouvernance n’ont pas été reprises.

Saisie par le gouvernement sur quatre projets de décrets d’application de cette loi (trois décrets sur les missions et statuts de chacun des EPIC du GPF et un sur l’indépendance des fonctions essentielles liées au réseau), l’Autorité considère que l’équilibre souhaitable entre les deux objectifs que sont d’une part, l’intégration industrielle du nouvel ensemble, facteur d’efficacité économique, et, d’autre part, l’indépendance de la gestion des l’infrastructures, indispensable au développement d’une concurrence équitable, n’est pas atteint. Elle émet donc dans son avis une série de recommandations pour renforcer notamment l’indépendance de la gestion des infrastructures ferroviaires.

1 - Renforcer les conditions d’indépendance de SNCF Réseau

SNCF Réseau gère le réseau ferré national au profit de toutes les entreprises ferroviaires présentes sur le marché. Dans la mesure où SNCF Réseau n’est plus indépendant, mais est désormais intégré au sein d’un groupe public ferroviaire, il apparait crucial qu’il puisse disposer de toutes les garanties d’indépendance nécessaires pour assurer la neutralité et l’objectivité de ses choix, qui ne doivent souffrir d’aucun soupçon d’influence du nouvel EPIC SNCF Mobilités, également intégré au sein du GPF.

Ces garanties d’indépendance sont tout particulièrement nécessaires pour les « fonctions essentielles » que sont les missions de répartition des « sillons » (c’est-à-dire le droit pour un train d’utiliser le réseau ferré sur un horaire et un trajet donné) et la tarification de l’accès au réseau ferroviaire. Elles ne semblent cependant pas suffisamment assurées en ce qui concerne notamment les modalités de prise de décision au sein du conseil d’administration.

Le conseil d’administration de SNCF Réseau est en effet composé, pour un tiers, de représentants de la SNCF (l’EPIC de tête) qui, selon les projets de décrets, prennent part aux décisions touchant aux fonctions essentielles, alors même qu’ils représentent autant les intérêts de l’opérateur historique de transport que ceux de SNCF Réseau, ce qui les met dans une situation de conflit d’intérêts.


> C’est pourquoi l’Autorité recommande, comme l’ont fait d’autres pays européens ayant adopté le même type de gouvernance du ferroviaire, que les représentants de la SNCF ne prennent pas part au vote des décisions du conseil d’administration de SNCF Réseau touchant à la répartition des sillons ou à la tarification de l’accès au réseau (recommandation n° 1).

Par ailleurs, parmi les garanties d’indépendance de SNCF Réseau détaillées dans le projet de décret sur « les fonctions essentielles », l’Autorité s’interroge sur les limites apportées au fonctionnement de la commission de déontologie du système ferroviaire national, chargée de veiller à ce que les personnels de SNCF Réseau qui souhaitent rejoindre une entreprise ferroviaire ne se trouvent pas dans une situation de conflit d’intérêts.


> L’Autorité recommande que les cas de saisine obligatoire de cette commission soient étendus à l’ensemble des dirigeants de SNCF Réseau ayant accès à des informations confidentielles et que des avis favorables ne puissent être rendus par cette commission de façon tacite (recommandation n° 2 c).

 

2 - Entourer la gestion des gares de voyageurs de véritables conditions d’indépendance

 

L’Autorité constate que malgré les recommandations qu’elle a formulées depuis 2009, les mesures d’indépendance internes prévues par les projets de décrets ne sont toujours pas suffisantes pour garantir un accès effectivement non discriminatoire aux gares de voyageurs, infrastructure essentielle pour permettre l’entrée sur le marché des nouvelles entreprises de transport ferroviaire.

L’Autorité estime que ce n’est pas au conseil d’administration de SNCF Mobilités, qui est pour cette mission en situation de conflit d’intérêts, mais bien au directeur des gares de garantir que la gestion des gares de voyageurs est assurée de façon transparente et non discriminatoire. Le directeur des gares, dans cette perspective, doit disposer de garanties d’indépendance attachées à sa fonction pour éviter que ses décisions vis-à-vis de l’opérateur historique de transport, d’une part, et des autres entreprises ferroviaires, d’autre part, soient entachées d’un soupçon de partialité.


> L’Autorité de la concurrence recommande notamment d’assortir la nomination et la révocation du directeur des gares des mêmes garanties d’indépendance que celles qui étaient prévues pour le directeur de la Direction des circulations ferroviaires (recommandation n° 3 b).

> Elle propose par ailleurs diverses mesures, portant sur l’indépendance matérielle de gestion des gares, la gestion des informations confidentielles, et les obligations déontologiques des personnels, pour garantir l’indépendance de la direction autonome en charge de la gestion des gares de voyageurs au sein de SNCF Mobilités (recommandations n° 3 d à 3 g).


3 - Clarifier le périmètre et les missions de l’Epic de tête

Dans son avis 13-A-14, l’Autorité avait souligné les risques concurrentiels dont était porteuse la configuration de l’Epic de tête (SNCF), notamment du fait de l’imprécision de la délimitation des missions qui lui sont imparties. La plupart de ses recommandations sur ce point n’ont pas été intégrées dans la loi portant réforme ferroviaire.

Les projets de décrets ne permettent pas davantage de préciser ces missions, dont la liste reste non limitative, et surtout renforcent les possibilités de « mutualisation » de compétences, qui pourraient être retirées à SNCF Mobilités et à SNCF Réseau pour être exclusivement assurées par l’EPIC de tête.

L’Autorité exprime des craintes renforcées sur ce dispositif, pour deux raisons :

- la mise en place d’un EPIC de tête se chargeant de multiples missions non prévues à l’origine et retirées aux EPIC spécialisés serait de nature à faire entrave à l’exercice des compétences que leur accorde la loi pour assurer la gestion impartiale des infrastructures. Il en va ainsi en particulier de la gestion mutualisée du patrimoine foncier des EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités, dont une partie au moins est indispensable à l’exercice de leurs missions.

- par ailleurs, ces mesures entrainent un risque d’éviction du marché pour un certain nombre d’entreprises existantes, dans la mesure où SNCF Réseau et SNCF Mobilités seront contraintes de ne faire appel qu’aux services de l’EPIC de tête pour les fonctions mutualisées. Des activités que la loi a aujourd’hui ouvertes à la concurrence, comme les missions d’ingénierie d’infrastructures ferroviaires, se trouveront à nouveau monopolisées au profit de la SNCF.


C’est pourquoi l’Autorité estime indispensable d’encadrer ces risques au moyen de trois mesures :

- elle souligne à nouveau l’absolue nécessité de clarifier au sein du texte réglementaire le rôle de l’EPIC de tête en précisant limitativement ses missions (recommandation n° 4) ;

- elle insiste sur la nécessité de ne procéder à ces mutualisations que sur des périmètres de compétences très précisément délimités, insusceptibles de porter atteinte à l’exercice en toute indépendance des missions de gestion d’infrastructure, et en incluant une réserve afin de garantir les besoins matériels propres aux missions de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités pour la gestion des gares de voyageurs (recommandation n° 4 b) ;
 
- enfin, ces compétences ne pourraient être mutualisées que sur la demande expresse des EPIC concernés par ces dessaisissements, et après avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), qui devrait pouvoir être garante du maintien de la spécificité des missions de chacun des EPIC (recommandations n° 4 c et 4 d).


4 - Renforcer les outils et les ressources du régulateur sectoriel, l’Araf

Face à la multiplication des missions et des tâches confiées à l’ARAF, l’Autorité de la concurrence souhaiterait que les projets de décrets d’application lui permettent d’exercer effectivement sa mission générale de garante d’un accès non discriminatoire et transparent aux infrastructures ferroviaires.

 


> L’Autorité recommande donc au gouvernement d’habiliter clairement l’ARAF à encadrer l’ensemble des mesures transversales et des missions mutualisées fournies par la SNCF, et notamment les conditions tarifaire des prestations entre Epic (recommandation 5 b), de clarifier et d’augmenter les moyens d’accès à l’information et de contrôle du régulateur (recommandation n° 5 c) et de la doter des moyens matériels et humains lui permettant de mener à bien ses missions (recommandation n° 5 d).

 

> Consulter l’ensemble des recommandations émises (voir page 36 annexes 1 et 2).

 

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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