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Informatique en nuage (« cloud ») : L’Autorité de la concurrence émet un avis sur certaines dispositions du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique

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L'essentiel

Saisie par le ministre délégué en charge de la transition numérique et des télécommunications, l’Autorité émet un avis sur trois articles du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. L’Autorité partage les préoccupations exprimées dans le projet de loi à l’égard de certaines pratiques ou défaillances de marché dans le secteur de l’informatique en nuage, qui pourraient justifier une intervention règlementaire. L’Autorité souligne néanmoins que, compte tenu du contexte réglementaire européen dans lequel le projet de loi s’insère, il convient de s’assurer de la bonne articulation des mesures envisagées avec le futur cadre européen, afin de ne pas pénaliser les acteurs opérant sur le marché français.

L’Autorité émet ainsi 5 recommandations, visant en substance à :

  • attirer l’attention du législateur sur le besoin de cohérence entre le régime transitoire prévu par le projet de loi et les dispositions du futur règlement sur les données (« Data Act »)
  • clarifier les définitions de « service d’informatique en nuage » et « avoir d’informatique en nuage »
  • clarifier les conditions d’encadrement des durées et de reconduction des avoirs d’informatique en nuage
  • clarifier les frais liés au transfert de données
  • s’assurer de la bonne articulation des mesures liées à l’interopérabilité et à la portabilité avec le futur Data Act

Enfin, l’Autorité rappelle qu’elle s’est autosaisie pour avis, le 27 janvier 2022, pour analyser les conditions du fonctionnement concurrentiel du secteur de l’informatique en nuage. Cette autosaisine a été suivie d’une consultation publique et donnera lieu dans les prochaines semaines à un avis de l’Autorité. Ce dernier a vocation à analyser certaines des pratiques concernées par le projet de loi, parmi un ensemble de pratiques susceptibles, seules ou conjointement, de soulever des risques concurrentiels.

L’importance du secteur du cloud justifie une attention particulière d’un point de vue concurrentiel

Le cloud constitue une évolution technologique majeure au cœur de la numérisation de l’économie, en permettant aux entreprises d’accéder en ligne à des capacités informatiques gérées par un fournisseur. Ce secteur est en forte évolution et devrait connaître une croissance moyenne annuelle de 14 % d’ici fin 2025. L’Autorité relève toutefois que le développement du cloud a jusqu’à présent été moins rapide en France que dans les autres pays européens.

L’analyse que mène actuellement l’Autorité dans le cadre de l’instruction de son avis tend à montrer une tendance à la concentration autour de quelques acteurs puissants sur le marché français. L’Autorité s’est également interrogée sur les pratiques mises en œuvre dans le secteur du cloud, susceptibles de restreindre la concurrence par les mérites.

L’Autorité partage ainsi le constat de la nécessité de veiller à ce que les marchés soient les plus contestables possible et considère donc, comme le Gouvernement, que l’encadrement de certaines pratiques (relatives par exemple aux frais liés au transfert de données ou « egress fees ») peut être justifié.

 

L’Autorité souligne l’importance de l’articulation des mesures envisagées avec le cadre règlementaire européen

Le projet de loi soumis pour avis à l’Autorité s’inscrit dans un contexte réglementaire riche. Plusieurs règlements européens (règlement sur les marchés numériques (« Digital Markets Act ») ; règlement sur les données (« Data Act ») ; règlement sur la gouvernance des données (« Data Governance Act »)) récents ou en cours d’adoption prévoient des dispositions très proches de celles envisagées par le projet de loi. Dès leur entrée en vigueur, ces textes deviendront directement applicables en France et se substitueront aux dispositions nationales portant sur les mêmes problématiques, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne.

L’Autorité considère qu’en l’absence d’articulation suffisante, les dispositions du projet de loi pourraient engendrer des distorsions temporaires avec la règlementation mise en œuvre au niveau européen, ce qui entrainerait des coûts d’adaptation irrécupérables pour les acteurs opérant sur le marché français.

Afin de limiter ces risques, l’Autorité considère que les dispositions devraient se rapprocher le plus possible du cadre qui sera établi au niveau européen.

L’Autorité relève, par ailleurs, que beaucoup d’éléments de mise en œuvre des obligations envisagées seront précisés par décret d’application, ce qui limite sa capacité à évaluer leurs éventuelles conséquences concurrentielles.

Recommandation n°1 – Favoriser un encadrement au niveau européen

Afin de limiter d’éventuelles distorsions temporaires ainsi que des coûts d’adaptation irrécupérables, le régime transitoire devrait autant que possible s’aligner sur les dispositions qui prendront effet lors de l’entrée en vigueur du Data Act.

Les autres recommandations de l’Autorité 

Sur l’article 7 du projet de loi relatif à l’encadrement des frais de transfert et des avoirs d’informatique en nuage

L’Autorité invite à une clarification de la définition de certains termes de cet article.

Recommandation n°2- Clarification des définitions de « service d’informatique en nuage » et « avoir d’informatique en nuage »

De nombreuses notions, telles que le « service d’informatique en nuage » ou l’« avoir d’informatique en nuage » manquent de précisions.

L’Autorité estime ainsi que la définition de « service d’informatique en nuage » pourrait être clarifiée afin de prendre en compte la distinction entre l’infrastructure en tant que service (« IaaS »), la plateforme en tant que service (« PaaS ») et le logiciel en tant que service (« SaaS »).

Il en est de même en ce qui concerne la notion d’ « avoir d’informatique en nuage » telle que présentée dans le projet de loi, qui devrait être clarifiée afin, d’une part, d’englober la réalité des programmes et crédits offerts par les fournisseurs et, d’autre part, d’éviter d’éventuelles stratégies de contournement de la loi qui se fonderaient sur des imprécisions de périmètre juridique.

Recommandation n°3-Clarification sur les durées et les conditions de reconduction des avoirs d’informatiques en nuage

L’Autorité note que les crédits cloud[1] peuvent être appréhendés sous l’angle du droit de la concurrence ou des pratiques restrictives de concurrence.

Si une régulation des crédits cloud est retenue, l’Autorité recommande de faire une distinction entre les crédits cloud offerts sous forme de test ou d’essai gratuits limités à une durée de quelques mois et les crédits cloud proposés sous forme de programmes d’accompagnement des entreprises, qui ont une valeur et une durée substantiellement plus élevées.

L’Autorité relève que le renvoi au décret pour la fixation de la durée et des conditions de reconduction des avoirs ne lui permet pas, dans le cadre de cet avis, d’en analyser les aspects concurrentiels. Toutefois, elle recommande de fixer la durée des crédits cloud sous forme de programmes d’accompagnement et les conditions de reconduction de ces avoirs après consultation des parties prenantes (clients et fournisseurs).

En particulier, les conditions de reconduction des avoirs nécessitent d’être précisées et devraient à tout le moins permettre aux fournisseurs de continuer à proposer des offres de test ou d’essai gratuits tout en limitant les capacités de reconduction des programmes d’accompagnement.

L’Autorité insiste également sur l’attention particulière que devra porter le législateur à la question de l’articulation de l’encadrement des frais de transfert au niveau national avec les dispositions du Data Act portant sur ce sujet.

Recommandation n°4-Clarifications sur les frais liés au transfert de données

L’Autorité estime, comme le Gouvernement, que les egress fees sont susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels liés au risque de verrouillage de la clientèle, en rendant plus difficile la migration des services de cloud vers un autre fournisseur ou de recourir à plusieurs fournisseurs à la fois.

Toutefois, le projet de loi devrait refléter le projet de règlement sur les données et prévoir a minima l’application d’une période de transition dans la suppression progressive de ces frais.

Sur l’article 8 du projet de loi relatif aux obligations d’interopérabilité des services d’informatique en nuage.

L’Autorité formule enfin une recommandation concernant l’article 8 du projet de loi relatif aux obligations d’interopérabilité des services d’informatique en nuage.

Elle préconise notamment de préciser certaines notions dans l’article de loi comme celles d’interopérabilité et de portabilité, de s’assurer de leur cohérence avec le futur Data Act, et invite à concentrer l’action du régulateur sur les services IaaS.

Recommandation n°5-S’assurer de la bonne articulation des mesures liées à l’interopérabilité et à la portabilité avec le futur règlement sur les données

L’Autorité partage le constat du Gouvernement d’un fonctionnement du marché qui ne permet pas actuellement aux clients de recourir facilement à des offres tierces d’informatique en nuage. Le futur règlement sur les données comprendra vraisemblablement des mesures ciblées visant à améliorer l’interopérabilité et la portabilité dans le secteur et il conviendrait, à la fois pour des raisons d’efficacité et pour éviter le risque de contrariété de la loi française et des dépenses inutiles pour les entreprises françaises, d’attendre son adoption. Par ailleurs, des précisions importantes concernant les obligations de portabilité et d’interopérabilité, la mise en place de standards et de spécifications techniques ouvertes ou le contenu d’offres de référence sont renvoyées à des décrets ce qui ne permet pas, dans le cadre de cet avis, d’en analyser les aspects concurrentiels.

Dès lors, l’Autorité recommande de :

- préciser les notions centrales dans  l’article de loi et s’assurer qu’elles sont cohérentes avec le futur règlement sur les données ;

- inviter l’Arcep à concentrer ses travaux sur les services IaaS, plus homogènes, ce qui permettrait, compte tenu du temps imparti, de garantir une meilleure proportionnalité par rapport à des obligations communes à l’ensemble de services ;

- s’assurer que les missions et pouvoirs de l’Arcep respectent les limites fixées par le futur règlement.

[1] « Les termes d’avoir d’informatique en nuage ne sont pas les plus usités par les entreprises actives sur le secteur du cloud, qui utilisent plutôt les termes de « crédits cloud ». Les crédits cloud sont des offres d’essai qui prennent la forme d’allocations de services proposées par un fournisseur, octroyant un accès gratuit à un client dans un délai défini. En pratique, à la différence d’un essai gratuit, il s’agit d’une somme à dépenser sous forme de crédit sur facture octroyé avant usage »

Contact(s)

Maxence Lepinoy
Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication

Projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique

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