Ciblage publicitaire/Mise en place par Apple de la sollicitation ATT. L’Autorité ne prononce pas de mesures conservatoires à l’encontre d’Apple mais poursuit l’instruction du dossier au fond
L'essentiel
L’Autorité a été saisie le 23 octobre 2020 d’une saisine présentée par plusieurs associations représentant les différents acteurs de la publicité en ligne1 (médias, régies internet, agences de pub, intermédiaires techniques, éditeurs, agences de marketing mobile), et contestant les pratiques mises en œuvre par Apple à l’occasion des modifications à venir de son système d'exploitation iOS 14. Etait plus particulièrement en cause l’introduction obligatoire de la sollicitation ATT pour les applications sur IOS qui souhaiteraient faire un suivi de l’activité de l’utilisateur sur des sites tiers.
Le suivi d’activité, reposant notamment sur l’IDFA, identifiant propre à Apple, permet de réaliser de la publicité ciblée, laquelle constitue la source de financement d’un grand nombre d’applications ou sites.
L’Autorité de la concurrence a examiné si les mesures mises en place par Apple pour offrir à l’utilisateur un cadre renforcé de consentement pour l’utilisation de ses données personnelles pouvaient être regardées comme nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi. Elle a, par ailleurs, bénéficié d’un avis de la CNIL portant sur les questions soulevées. En l’état de l’instruction, l’Autorité a estimé que la décision d’Apple de mettre en place un dispositif de recueil du consentement complémentaire à celui mis en place par d’autres acteurs de la publicité en ligne, n’apparaissait pas comme une pratique abusive, dès lors
(1) qu’une entreprise, même si elle est en situation de position dominante ou peut être regardée comme une plateforme structurante, dispose d’une liberté de principe pour fixer des règles d’accès à ses services, sous réserve de ne pas méconnaître les lois et règlements applicables et que ces règles ne soient pas anticoncurrentielles ;
(2) que la réglementation applicable (RGPD et ePrivacy) ne s’oppose pas à la mise en place d’une telle obligation, alors que la formulation retenue n’apparaît pas comme induisant un biais défavorable aux procédés de suivi sur sites tiers, comme imposant une obligation dépourvue de nécessité ou de proportionnalité, et qu’une telle mesure peut faciliter, pour l’utilisateur, la maîtrise de l’utilisation qui est faite de ses données personnelles.
L’Autorité rejette ainsi la demande de mesures conservatoires. Elle poursuit toutefois l’instruction au fond du dossier. Celle-ci devra notamment permettre de vérifier que la mise en place par Apple de la sollicitation ATT ne peut être regardée comme une forme de discrimination ou « self preferencing », ce qui pourrait notamment être le cas si Apple appliquait sans justification, des règles plus contraignantes aux opérateurs tiers que celles qu’elle s’applique à elle-même pour des opérations similaires.
1Interactive Advertising Bureau (« IAB »), Mobile Marketing Association (« MMA ») France, Union des entreprises de conseil et achat media (« UDECAM »), Syndicat des Régies Internet (« SRI »).
Apple a annoncé en juin 2020 qu’elle allait mettre en place un dispositif de recueil du consentement de l’utilisateur afin de renforcer la protection des données personnelles de ses utilisateurs.
Lors de la conférence du 22 juin 2020 destinée aux développeurs d’applications, Apple a annoncé que, dans le cadre de sa politique de renforcement de la protection de la vie privée de ses clients, elle allait mettre en place, en septembre 20201, un dispositif dénommé ATT pour App Tracking Transparency. Ce dispositif consiste, lorsque le détenteur d’un iPhone consulte une application téléchargée via l’App Store, à faire apparaître une fenêtre (« pop-up ») qui demande alors son consentement explicite pour autoriser le partage de ses données personnelles à des tiers à des fins publicitaires. En cas de consentement, les tiers peuvent accéder à l’Identifier for Advertisers (« IDFA »), qui identifie chaque appareil Apple et permet le suivi publicitaire du détenteur notamment sur les sites tiers.
Selon les saisissantes, en imposant le respect du dispositif ATT aux applications sous iOS, Apple commettrait un abus de position dominante
Les associations saisissantes reprochent à Apple l’obligation faite aux développeurs d’applications de recourir à la sollicitation ATT pour pouvoir accéder à l’identifiant IDFA. Le recueil d’un consentement via la sollicitation ATT conditionnerait le suivi publicitaire de l’utilisateur sur les sites tiers, qui permet de lui adresser ensuite des publicités ciblées. Apple aurait imposé, ce faisant, aux développeurs d’applications des conditions de transaction inéquitables, ce qui caractériserait un abus de position dominante (prohibé par l’article 102 a) du TFUE). Elles estiment, d’une part, que la sollicitation ATT est redondante et superflue, car l’obligation de recueil du consentement pèse déjà sur les développeurs d’application en vertu des dispositions du RGPD (UE) 2016/679 et de la directive e-Privacy. Elles considèrent, d’autre part, qu’Apple impose ce faisant des obligations supplémentaires indues aux développeurs d’applications, constitutives là encore d’une violation de l’article 102 d).
Elles demandent en conséquence à l’Autorité le prononcé de mesures d’urgence :
- enjoindre Apple à ne pas exiger, en l’état, l’utilisation de l’ATT pour obtenir l’autorisation de l’utilisateur pour son suivi publicitaire ;
- enjoindre Apple à engager un dialogue constructif avec les acteurs du secteur afin de trouver une solution acceptable pour obtenir l’autorisation de l’utilisateur pour son suivi publicitaire.
Les faits dénoncés n’apparaissent pas susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer un abus de position dominante.
Lorsque l’Autorité est saisie d’une demande de mesures conservatoires, celles-ci ne peuvent être prononcées que lorsque les pratiques dénoncées sont susceptibles de méconnaître le droit de la concurrence et en cas d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, au secteur, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante.
Pour déterminer si la demande de mesures conservatoires était fondée, l’Autorité a mené une enquête étendue en procédure d’urgence, auditionnant de nombreux professionnels représentatifs des différents métiers de la publicité en ligne. Les débats, lors de la séance du 10 février 2021, ont permis à chacune des parties prenantes de faire valoir sa position et d’enrichir les éléments recueillis lors de l’instruction. L’Autorité a bénéficié d’un avis rendu par la CNIL sur les différentes questions d’application de la législation relative à la protection de la vie privée soulevées par l’affaire.
Après analyse des éléments apportés par les saisissantes, l’Autorité estime, dans le cadre d’un examen préliminaire au titre des mesures d’urgence, que l’introduction de la sollicitation ATT ne paraît pas traduire de la part d’Apple un abus de position dominante conduisant à imposer des conditions de transactions inéquitables.
- La sollicitation ATT s’inscrit dans la stratégie mise en œuvre par Apple en matière de protection de la vie privée et n’apparaît pas comme dépourvue de nécessité, d’objectivité et de proportionnalité
L’Autorité a notamment relevé que l’introduction de la sollicitation ATT s’inscrivait dans la stratégie d’Apple mise en place de longue date en matière de protection de la vie privée des utilisateurs des produits iOS. Elle a noté, ensuite, qu’une telle initiative s’inscrivait dans le cadre de la marge d’appréciation dont dispose toute entreprise pour déterminer sa stratégie technique ou commerciale, vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, ou fixer des règles d’usage, y compris si cette entreprise dispose d’une position dominante ou peut être regardée comme une plateforme structurante.
Au cas d’espèce, la mise en place d’un cadre formalisé obligatoire, selon le format et le libellé définis par Apple, peut contribuer à la bonne information des utilisateurs. L’Autorité a noté à cet égard que l’obligation de recueillir la sollicitation ATT n’a pas été mise en place immédiatement par Apple (sa date d’effet ayant été reportée à mars-avril 2021) et qu’elle ménage certaines possibilités d’adaptation pour les développeurs d’applications. Ceux-ci ont notamment la main sur la phrase définissant, dans la fenêtre ATT, l’objet du suivi de données personnelles réalisées sur les sites tiers ; ils ont la possibilité de différer le déclenchement de la sollicitation ATT, en s’abstenant pendant cette période d’utiliser l’IDFA, pour réaliser un suivi d’activité sur sites tiers ; ils ont, enfin, la possibilité d’adresser deux fenêtres à l’utilisateur, avant et après l’apparition de la sollicitation ATT, afin d’expliquer la nécessité pour eux de pouvoir réaliser ce suivi d’activité (par exemple pour pouvoir financer l’application ou le service offert), et de convaincre l’utilisateur de revenir sur un refus de suivi par exemple.
- L’existence d’un traitement différencié (« self preferencing”) sera examinée plus avant dans le cadre du dossier au fond
S’agissant plus particulièrement du traitement différencié entre le recueil du consentement de l’utilisateur pour les services publicitaires d’Apple et celui des services publicitaires tiers relevé par les saisissantes, l’Autorité a estimé, qu’il ne résultait pas, à ce stade, qu’Apple appliquerait, en imposant la sollicitation ATT aux acteurs souhaitant accéder à l’IDFA, un traitement plus rigoureux que celui qu’elle s’appliquerait à elle-même pour des traitements similaires.
L’instruction de la saisine au fond permettra toutefois de s’assurer que ce traitement ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle, notamment en ce qu’il traduirait de la part d’Apple une forme de discrimination ou de « self-preferencing ».
Compte tenu de ces éléments, l’Autorité a rejeté la demande de mesures conservatoires mais a décidé de poursuivre l’instruction au fond du dossier.
1La mise en place du dispositif a été reportée à fin mars 2021/début avril 2021.