Bisphénol A dans les contenants alimentaires : près de 20 millions d’euros de sanctions
L’Autorité de la concurrence sanctionne trois organismes professionnels de conserveurs, la FIAC, l’ADEPALE et l’ANIA et le syndicat des fabricants de boîtes, le SNFBM, pour avoir mis en œuvre une stratégie collective visant à empêcher les industriels du secteur de se faire concurrence sur la question de la présence ou non de bisphénol A dans les contenants alimentaires (conserves, canettes, etc.)
Onze entreprises, poursuivies en qualité de membres de ces organismes, sont également sanctionnées, le montant cumulé des sanctions atteignant près de 20 millions d’euros.
L'essentiel
L’Autorité a sanctionné trois organismes professionnels de conserveurs et un syndicat de fabricants de boîtes pour avoir mis en œuvre, dans le contexte de l’adoption de la loi du 24 décembre 2012 visant à suspendre l’utilisation du Bisphénol A (ou « BPA ») de tous les contenants alimentaires à compter du 1er janvier 2015, des pratiques visant à empêcher toute concurrence sur la présence ou non de Bisphénol A dans les contenants alimentaires. L’entente est intervenue pendant la phase transitoire durant laquelle étaient simultanément mises sur le marché des boîtes avec et sans Bisphénol A (tolérance instaurée pour l’écoulement des stocks).
Ces pratiques qui, ensemble, constituent une infraction unique complexe et continue (IUCC) mise en œuvre du 6 octobre 2010 au 21 juillet 2015, soit sur plus de quatre ans, ont été de deux ordres :
Empêcher les industriels de communiquer sur l’absence de BPA dans leurs contenants alimentaires
- la FIAC, puis par l’ADEPALE et l’ANIA ont alerté les fabricants de conserves alimentaires sur la nécessité de ne pas se faire concurrence sur la présence ou l’absence de Bisphénol A dans leurs contenants ;
- cette stratégie collective a été étendue en amont, auprès des fabricants de boîtes, par l’intermédiaire de l’action du SNFBM ;
- l’extension de cette stratégie en aval auprès de la grande distribution a également été tentée, mais sans succès ;
- une surveillance des comportements déviants de l’entente a été instaurée, plusieurs acteurs ayant fait le choix de communiquer sur l’absence de Bisphénol A dans leurs produits ;
Inciter les industriels à refuser de livrer des boîtes sans Bisphénol A avant la date du 1er janvier 2015 puis d’arrêter de commercialiser des conserves avec Bisphénol A après cette date, alors même que la grande distribution formulait des demandes en ce sens. La FIAC et le SNFBM sont les deux seuls organismes collectifs impliqués dans ce second axe et, partant, dans l’IUCC qu’il constitue avec le premier.
Onze entreprises, poursuivies en leur qualité de membres des organismes collectifs cités plus haut, et dont la participation individuelle à l’entente a été jugée démontrée par l’Autorité, sont également sanctionnées. Cette participation individuelle s’est pour l’essentiel, manifestée par leur participation à des réunions organisées par leurs associations ou syndicat, dont l’objet était anticoncurrentiel. Il s’agit d’Andros, Bonduelle, Charles et Alice, Cofigeo, Conserves France, D’Aucy, General Mills, et Unilever, conserveurs, ainsi que d’Ardagh, Crown et Massilly, fournisseurs de boîtes.
Les quatre organismes professionnels concernés ainsi que les onze entreprises membres sont sanctionnés pour un montant total de 19 553 400 euros.
L’Autorité estime que les deux pratiques constituant l’IUCC sont très graves, car elles ont privé les consommateurs de la faculté de choisir des produits sans Bisphénol A, à une époque où de tels produits étaient disponibles et alors que cette substance était déjà, à l’époque, considérée comme dangereuse pour la santé.
Toutefois, l’Autorité s’est écartée du communiqué sanction, pour prendre en compte l’hétérogénéité des entités impliquées, tant dans leur poids économique que dans leur rôle au sein du secteur : d’un côté les organismes professionnels sanctionnés en tant qu’auteurs directs des pratiques litigieuses ; de l’autre, les entreprises sanctionnées en tant que membres de ces organismes, au titre de leur participation individuelle à celles-ci. L’Autorité a estimé que, dans ce contexte, l’application du communiqué sanction aurait conduit à infliger des sanctions disproportionnées aux entreprises.
L’Autorité a par ailleurs pris en compte le cadre légal et réglementaire particulier dans lequel se sont inscrites les pratiques en cause et le comportement de l’administration vis-à-vis des acteurs du secteur comme une circonstance atténuante.
Le contexte : la suspension par la loi de l’utilisation du Bisphénol A dans tous les contenants alimentaires et l’aménagement d’une période transitoire pour écouler les stocks
Le Bisphénol A est une substance chimique de synthèse utilisée dans la fabrication de résines, notamment utilisées pour la protection intérieure des boîtes métalliques de denrées alimentaires, y compris des boîtes de boissons, ainsi que dans les capsules métalliques.
La France a été le premier pays d’Europe à se saisir de la question de la présence du Bisphénol A au contact des denrées alimentaires. Elle en a suspendu l’utilisation dans les biberons au 1er janvier 2013, puis depuis le 1er janvier 2015, dans tous les conditionnements, contenants et ustensiles destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires.
Selon l’interprétation de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), la loi du 24 décembre 2012 visant à suspendre l’utilisation du Bisphénol A de tous les contenants alimentaires à compter du 1er janvier 2015 prévoyait que :
- la mise sur le marché français des boîtes métalliques contenant du vernis avec Bisphénol A, non encore mises en contact avec les denrées alimentaires, était suspendue à compter du 1er janvier 2015 ;
- la mise sur le marché des denrées alimentaires conditionnées dans des boîtes métalliques revêtues du vernis avec Bisphénol A était suspendue à compter du 1er janvier 2015.
Afin de faciliter l’écoulement des stocks, un aménagement spécifique transitoire a été mis en place par la DGCCRF. Les contenants vides avec BPA ainsi que les denrées conditionnées dans ceux-ci, déjà en circulation avant le 1er janvier 2015, pouvaient continuer à être vendus après le 1er janvier 2015 jusqu’à épuisement des stocks.
La mise en place d’une stratégie collective de non-concurrence visant l’ensemble de la chaine de valeur
L’Autorité constate que la Fédération des Industries d’Aliments Conservés (FIAC) a organisé une entente visant à inciter les industriels à ne pas se faire concurrence sur la présence ou l’absence de BPA dans leurs conserves et à s’accorder sur la communication destinée aux consommateurs à ce sujet.
Les pratiques sanctionnées se sont insérées dans un plan d’ensemble, ayant pour objectif de neutraliser les risques concurrentiels liés à l’introduction sur le marché de contenants alimentaires sans Bisphénol A.
Les autres organismes professionnels concernés ont tous renoncé à toute concurrence sur ce paramètre, particulièrement important pour les consommateurs, en contribuant à au moins une des pratiques initiées par la FIAC. Il s’agit de l’Association des Entreprises de Produits Alimentaires Elaborés (ADEPALE), de l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) et du Syndicat National des Fabricants de Boîtes, emballages et Bouchages Métalliques (SNFBM) :
- La FIAC, l’ADEPALE, l’ANIA et le SNFBM se sont entendus pour inciter les industriels à ne pas se faire concurrence sur la présence ou l’absence de Bisphénol A dans leurs conserves (premier axe).
L’Autorité constate que les parties se sont entendues pour ne pas faire de la présence ou de l’absence de Bisphénol A dans leurs conserves un argument de concurrence. En effet « pour éviter de susciter une défiance des consommateurs », une entente a été mise en place pour ne pas utiliser l’absence de Bisphénol A comme un argument commercial qui aurait pu, selon les parties, « déstabiliser entièrement la chaine de valeur ».
La stratégie collective concernant la communication sur l’absence de BPA a été initiée par les organisations professionnelles de conserveurs. Celles-ci ont ensuite cherché l’adhésion de l’ensemble de la chaine de valeur à la stratégie collective.
Dès 2010, la FIAC, lors d’un groupe de travail réunissant ses membres puis lors d’un conseil d’administration, proposait de ne pas se faire concurrence sur le critère du Bisphénol A. La FIAC et certains de ses membres ont ensuite promu cette initiative auprès des autres organismes professionnels incriminés. Ces organismes, qui représentaient les fabricants d’emballages métalliques et les conserveurs, se sont accordés pour ne pas faire du Bisphénol A un critère de concurrence. Entre 2010 et 2015, ils ont régulièrement rappelé à leurs membres, que ce soit lors de réunions ou dans le cadre d’échanges bilatéraux, la nécessité de ne pas se faire concurrence sur le critère de présence ou non de Bisphénol A.
En outre, les parties ont également, à plusieurs reprises, tenté de rallier – sans succès - la grande distribution à cette stratégie collective, à un moment où celle-ci souhaitait, pour ses produits de marque de distributeur, faire figurer la mention « Sans Bisphénol A ».
Parallèlement à cette entente, l’Autorité relève que plusieurs organismes, et notamment l’ADEPALE, avaient mis en place une procédure de gestion des cas de communication sur l’absence de Bisphénol A. En outre, certaines entreprises membres des différents organismes professionnels n’hésitaient pas à faire remonter aux différentes associations professionnelles les cas dans lesquels des opérateurs avaient enfreint la règle commune de communication. Les organismes professionnels faisaient alors pression auprès des acteurs concernés. Ainsi par exemple, l’ANIA est intervenue auprès de Tetra Pak, de Mom, de Fleury Michon ou encore auprès de distributeurs comme Système U (ces acteurs ayant expérimenté l’affichage sur leurs produits d’une mention indiquant la non-présence de Bisphénol A).
- La FIAC et le SNFBM ont collectivement incité les industriels à refuser la livraison de boîtes sans Bisphénol A avant la date du 1er janvier 2015, et refusé d’arrêter de commercialiser des conserves avec Bisphénol A après cette date, malgré les demandes de la grande distribution (second axe).
L’instruction menée par l’Autorité a permis de constater que certaines des parties se sont également entendues pour contrecarrer le souhait de certains acteurs d’anticiper l’application de la loi en ne proposant que des boîtes sans Bisphénol A.
En effet, à plusieurs reprises, plusieurs acteurs du secteur, via la FIAC en particulier, ont exprimé collectivement qu’il convenait de refuser les demandes formulées par certains distributeurs qui souhaitaient pouvoir bénéficier de conserves sans Bisphénol A avant la date du 1er janvier 2015, date d’entrée en vigueur de la loi. Que ce soit lors de réunions organisées au sein des organismes professionnels ou lors de rencontres entre la grande distribution et ces mêmes organismes professionnels, la FIAC et le SNFBM ont rappelé la nécessité de ne pas accéder aux demandes de la grande distribution de se voir approvisionner en boîtes sans Bisphénol A, ainsi que le démontre, notamment, un compte rendu d’une réunion technique du 22 janvier 2014 : « Les conserveurs ne doivent pas accepter les exigences d’un distributeur imposant le passage rapide aux vernis BPA NI [Bisphénol A non intentionnel]. Il faut rappeler le basculement coordonné de toute la filière, le seul objectif reste d’être prêt au 1er janvier 2015. Ce point soulevé à plusieurs reprises est particulièrement important à respecter. »
La commercialisation anticipée d’un grand nombre de boîtes ne contenant pas de Bisphénol A avant le délai légal ne pouvait que compliquer la mise en œuvre de la stratégie visant à s’abstenir de faire de l’absence de Bisphénol A un argument marketing. Ici encore l’objectif revendiqué était d’empêcher toute entreprise de prendre un avantage concurrentiel par la mise en avant de l’absence de Bisphénol A dans ses produits.
Par ailleurs, à plusieurs reprises en 2014, certains acteurs du secteur ont également exprimé collectivement qu’il convenait de refuser les demandes de certains distributeurs que toute fourniture de conserves avec Bisphénol A cesse au 1er janvier 2015, date d’entrée en vigueur de la loi.
Des pratiques anticoncurrentielles par objet
L’Autorité considère que ces pratiques, portant sur des paramètres essentiels de concurrence, à savoir l’information sur la composition des produits (premier axe) et la qualité des produits (second axe), sont, eu égard à leur nature, leur finalité et leur contexte, anticoncurrentielles par leur objet même.
Les justifications alléguées par les mises en cause n’ont pas permis de les exonérer.
Le risque de déstabilisation de la filière avancé par les mises en cause ne saurait être retenu : une situation de crise, même avérée, n’exonère pas les pratiques en droit de la concurrence. Les règles du code de la consommation ne sauraient valoir exonération qu’en cas de contrainte pesant sur les opérateurs, ce qu’aucun d’entre eux n’a réussi à démontrer. Il en est de même du rôle des pouvoirs publics, pour lesquels la connaissance ou l’encouragement des pratiques litigieuses ne sont pas établis.
L’Autorité prononce une sanction globale de 19 553 400 euros
Deux griefs avaient été notifiés par les services d’instruction :
- Le premier grief concernait une entente relative à la limitation de la communication sur l’absence de BPA, l’encadrement de la commercialisation et la réduction des dates limites d’utilisation optimale (désormais dénommées dates de durabilité minimale) des produits avec BPA.
- Le second grief concernait une entente visant à restreindre l’information sur les substituts au BPA employés dans les matériaux au contact avec les denrées alimentaires.
Seul le premier grief, dont le champ a été réduit, a été retenu par l’Autorité. En effet, elle a considéré que les éléments au dossier ne permettaient pas d’établir l’existence d’une concertation visant à accélérer la commercialisation des boîtes sans BPA dès 2013, dont l’objectif aurait été d’éviter d’avoir à apposer un avertissement sanitaire sur les risques que présentait le BPA et à réduire les dates limites d'utilisation optimale des produits contenant du BPA. Par ailleurs, elle a estimé qu’il n’était pas non plus établi que les parties mises en cause avaient collectivement décidé de limiter l’information concernant la composition des vernis employés en substitution de ceux contenant du bisphénol A.
Concernant le grief retenu, à savoir la limitation de la communication sur le « sans BPA » et la limitation de la commercialisation des boîtes sans BPA, l’Autorité a considéré qu’elles constituaient une infraction unique, complexe et continue (ci-après IUCC) du 6 octobre 2010 au 21 juillet 2015.
Après examen des éléments figurant au dossier, la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD), Carrefour, Leclerc, Les Mousquetaires et Système U ont été mis hors de cause, faute de preuve de leur acquiescement à l’une quelconque des pratiques constituant l’IUCC organisée par la FIAC avec l’appui du SNFBM.
L’Autorité a également considéré qu’aucun élément du dossier n’établissait que le Centre Technique de la Conservation des Produits Agricoles (CTCPA), établissement d’utilité publique qui exerce des missions de service public et dont le rôle est notamment de mener des recherches collectives, aurait joué un rôle de « facilitateur » des pratiques sanctionnées.
S’agissant des entreprises et organismes qui avaient été mis en cause en tant que membres des associations professionnelles, il a été constaté que les pratiques étaient prescrites pour plusieurs d’entre eux, aucune participation n’étant démontrée postérieurement au 28 décembre 2013. L’Autorité a mis par conséquent hors de cause : L’Alliance 7, Ball, Bel, Boissons rafraîchissantes de France, Brasseurs de France, Chancerelle, Danone, le CITPPM, Carlsberg, Coca-Cola, CCEP, la FEDALIM, la FNCL, Fleury Michon, Gendreau, Mom, Nestlé, Pepsico, Suntory, Unijus et l’UPPIA.
En outre, en raison notamment de l’hétérogénéité des entités mises en cause, l’Autorité s’est écartée de son communiqué sanctions de 2021.
L’Autorité a estimé que les deux axes de l’IUCC, pris ensemble et individuellement, constituaient une pratique d’une particulière gravité, dans la mesure où ils avaient privé les consommateurs de la faculté de choisir des produits sans Bisphénol A, à une époque où de tels produits étaient disponibles et alors que cette substance était, à l’époque, déjà considérée comme dangereuse pour la santé.
L’Autorité a pris en compte la circonstance que, contrairement à la FIAC, le SNFBM, Crown, Ardagh, Massilly, Bonduelle, Cofigeo, Conserves France, D’Aucy et General Mills, l’ADEPALE, l’ANIA, Unilever, Charles et Alice et Andros n’ont pas participé aux deux axes de l’IUCC, mais seulement au premier, à savoir la limitation de la communication sur le « sans BPA ». Il n’est pas non plus établi que l’ANIA, l’ADEPALE, Unilever, Charles et Alice et Andros avaient connaissance du second axe de l’IUCC.
Elle a également pris en compte la durée des pratiques et la situation individuelle des entreprises. Elle a ainsi majoré la sanction de certains acteurs pour tenir compte de leur rôle particulier dans la conception et l’organisation des pratiques qui leur sont imputées, comme la FIAC, L’ADEPALE, le SNFBM, l’ANIA et Bonduelle, et la plus ou moins grande intensité de leur participation à celles-ci(celles de Charles & Alice, Andros, Conserves France et General Mills étant particulièrement faibles). Ont été également prises en compte la situation de réitération dans laquelle certains se trouvaient et leur éventuelle appartenance à un grand groupe.
L’Autorité a en revanche considéré que le cadre légal et réglementaire particulier dans lequel se sont inscrites les pratiques et le comportement plus général de l’administration vis-à-vis des acteurs du secteur constituaient des circonstances atténuantes pour toutes les mises en cause.
Elle prononce une sanction globale de 19 553 400 euros répartie entre 4 organismes professionnels et onze entreprises.
Entité | Sanction | |||
---|---|---|---|---|
ADEPALE | 482 400 euros | |||
ANIA | 2 700 000 euros | |||
FIAC | 138 000 euros | |||
SNFBM | 374 000 euros | |||
Ardagh | 1 689 000 euros | |||
Crown | 4 200 000 euros | |||
Massilly | 1 513 000 euros | |||
Andros | 1 000 euros | |||
Bonduelle | 2 884 000 euros | |||
Charles et Alice | 117 000 euros | |||
Cofigeo | 566 000 euros | |||
Conserves France | 130 000 euros | |||
D'Aucy | 3 080 000 euros | |||
General Mills | 298 000 euros | |||
Unilever | 1 381 000 euros | |||
Total | 19 553 400 euros |