Télécoms

Fibre optique / raccordement des immeubles dans le cadre du contrat de co-investissement entre SFR et Bouygues Telecom dit «Faber»

fibre optique

L’Autorité de la concurrence sanctionne Altice et SFR Group à hauteur de 40 millions d’euros pour ne pas avoir respecté ses engagements relatifs au contrat « Faber », pris lors du rachat de SFR par Numericable.

Elle prononce par ailleurs plusieurs injonctions sous astreinte.

L’essentiel

Le rachat de SFR par Numericable (ci-après Numericable-SFR) a été autorisé par l’Autorité de la concurrence en octobre 2014 (décision 14-DCC-160 du 30 octobre 2014) sous réserve de plusieurs engagements (consulter le communiqué de presse du 27 octobre 2014) pour prévenir les risques d’atteinte à la concurrence identifiés.

Parmi ces risques, l’Autorité avait notamment estimé que  l’opération était susceptible de remettre en cause l’incitation de SFR-Numericable1  à honorer ses engagements, vis-à-vis des pouvoirs publics et de ses co-investisseurs (principalement Orange et Bouygues Telecom) en matière de déploiement de la fibre.

En effet, compte tenu du taux de couverture très important du réseau câblé en zone très dense, l’opérateur acquis aurait eu peu d’intérêt à poursuivre le déploiement (la plus grande partie des  prises FttH que SFR envisageait de déployer en zone très dense étant devenues redondantes avec le réseau câblé de Numericable après l’opération). L’Autorité avait relevé que Bouygues Telecom risquait en particulier d’être affecté, compte tenu de ses liens contractuels avec SFR dans le cadre du contrat de co-investissement en fibre optique dans les zones très denses dit « contrat  Faber ».

C’est pourquoi l’autorisation de l’opération avait été, entre autres, conditionnée au respect d’engagements spécifiques relatifs au contrat Faber de la part de la nouvelle entité :
 

- celle-ci devait poursuivre le déploiement et notamment réaliser les prestations de raccordement final aux immeubles (adductions), de façon à ce que Bouygues Telecom puisse bénéficier  des déploiements qu’il a cofinancés, en commercialisant ses offres fibre auprès des logements concernés.

- elle devait par ailleurs honorer ses obligations en matière de maintenance du réseau vis-à-vis de son co-contractant, de manière transparente et non discriminatoire de façon à ce que Bouygues Telecom puisse s’appuyer sur un réseau de qualité.

 

Ces engagements avaient pour objectif d’empêcher la nouvelle entité de geler la réalisation des adductions en zones très denses.

L’Autorité de la concurrence a constaté qu’ils n’ont pas été respectés : le rythme des adductions s’est très fortement ralenti après la réalisation de l’opération, et n’a véritablement repris qu’au bout d’un an, générant un retard substantiel par rapport aux engagements pris. De plus, ce manquement s’est accompagné d’une dégradation des conditions de maintenance du réseau, ce qui a pénalisé Bouygues Telecom.

L’Autorité a prononcé une sanction financière de 40 millions d’euros et l’a assortie d’injonctions visant à contraindre l’opérateur à se conformer à ses engagements. Des astreintes progressives sont par ailleurs prévues, par point de mutualisation et par jour de retard.

LE CONTRAT DE CO-INVESTISSEMENT SIGNÉ ENTRE SFR ET BOUYGUES TELECOM, DIT CONTRAT « FABER »

Le déploiement de la fibre optique, destinée à terme à remplacer le réseau cuivre, est un enjeu industriel et économique majeur. Il permet d’offrir aux consommateurs  et aux entreprises le très haut débit, actuellement possible via deux types de réseau :

-le câble coaxial modernisé, en fibre optique jusqu’au pied d’immeuble (FttB : Fiber to the Building), propriété exclusive d’Altice/SFR Group, ex Numericable ;

-la fibre optique jusqu’au logement (FttH : Fiber to the Home), en cours de déploiement  par les opérateurs télécoms.

Bouygues Telecom et SFR ont signé, le 9 novembre 2010, un accord de co-investissement portant sur le déploiement d’un réseau horizontal en fibre optique dans les principales villes françaises situées en zone très dense au sens de la réglementation de l’ARCEP. Ce contrat concerne 22 communes, dont Paris.

Si le contrat Faber repose sur le principe d’un partage des coûts et des investissements entre les parties, il présente cependant la caractéristique d’être piloté par SFR qui assure, pour le compte des deux opérateurs, les opérations de déploiement, dont les prestations d’adduction, ainsi que la maintenance des infrastructures partagées.

Les opérations de déploiement concernent, d’une part, le déploiement horizontal du réseau FttH jusque dans la rue à proximité des immeubles (jusqu’au « point d’adduction ») et, d’autre part, la réalisation d’un tronçon final permettant le raccordement effectif  des immeubles (adduction).

Concrètement, l’adduction consiste à installer des câbles (entourés en vert dans le schéma) permettant de relier le réseau dit « horizontal » au réseau dit « vertical » (matérialisé en bleu dans le schéma) déjà installé dans l’immeuble par l’ « opérateur d’immeuble » (OI). D’un point de vue technique, l’adduction se fait au niveau du « point de mutualisation » (PM)  de l’immeuble, situé en général en pied d’immeuble,  à l’intérieur (PMI) ou à l’extérieur (PME) de celui-ci selon les cas prédéfinis par l’ARCEP.






LE RISQUE IDENTIFIÉ PAR L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE DE DÉPLOIEMENT DE LA FIBRE

Lors de l’examen du rachat de SFR par Numericable, l’Autorité avait constaté que SFR était, préalablement à l’opération, un acteur important du cofinancement des réseaux FttH.

L’Autorité avait estimé que  l’opération risquait de remettre en cause l’incitation de SFR à honorer ses engagements de déploiement de la fibre optique vis-à-vis de ses co-investisseurs dans la mesure où l’opérateur acquis aurait dorénavant peu d’intérêt à poursuivre ses efforts de co-investissement dans les réseaux FttH sur toute la zone où le câble modernisé pouvait offrir des débits équivalents à la fibre (une grande partie des prises FttH que SFR envisageait de déployer en zone très dense devenaient redondantes avec le réseau câblé de Numericable après l’opération).

L’Autorité avait relevé que Bouygues Telecom risquait d’être particulièrement impacté compte tenu des liens contractuels noués avec SFR dans le cadre du contrat Faber. A la veille du rachat de SFR par Numericable, Bouygues Telecom avait déjà cofinancé d’importants déploiements horizontaux de fibre optique au travers du contrat. Cependant, SFR n’avait procédé à la phase d’adduction que pour une partie très minoritaire de ces logements, ce qui ne permettait pas à Bouygues Télécom de profiter des investissements consentis.

LES ENGAGEMENTS PRIS PAR ALTICE ET NUMERICABLE

Afin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés par l’Autorité, la nouvelle entité avait pris les engagements suivants

1) Raccorder au réseau horizontal en fibre optique les immeubles fibrés verticalement sur le périmètre géographique du contrat Faber.

Pour les immeubles déjà fibrés verticalement  par les opérateurs d’immeubles à la date de la décision d’autorisation (« stock »), le nouveau groupe Altice/SFR Group devait procéder à leur raccordement dans un délai de deux ans maximum, sauf difficultés d’adduction dûment justifiées.

Pour les immeubles qui seraient fibrés par les opérateurs d’immeuble postérieurement à la décision d’autorisation (« flux »), Altice/SFR Group devait réaliser dans un délai de trois mois, sauf là encore difficultés d’adduction dûment justifiées, les raccordements des immeubles commandés par Bouygues Telecom chaque trimestre. Ce délai avait été fixé au regard de la réglementation qui impose aux opérateurs d’immeuble2 un délai de « prévenance » de trois mois avant toute commercialisation de la fibre auprès des occupants des logements nouvellement reliés, afin de garantir l’égalité des chances entre opérateurs et éviter toute préemption du marché par l’opérateur ayant fibré l’immeuble.

2) Garantir la maintenance du réseau de façon transparente et non-discriminatoire

Altice/SFR Group avait pris l’engagement de réaliser la maintenance de l’infrastructure dans les conditions prévues au contrat, de manière transparente et non-discriminatoire vis-à-vis de Bouygues Telecom pour lui permettre d’exploiter pleinement le réseau qu’elle co-finançait.

LES MANQUEMENTS AUX ENGAGEMENTS

1) Des délais de traitement des raccordements non respectés

Il apparaît qu’Altice/SFR Group n’a pas respecté les engagements pris, notamment en réduisant le nombre des points de mutualisation qu’elle devait adducter, en estimant que ces PM dits « exclus » n’entraient pas dans le périmètre des engagements. C’est ainsi entre 12 et 19 % des adductions qui ont été écartés du périmètre des engagements.

 Au total, plus de la moitié des raccordements prévus (58 %) n’ont pas été réalisés.

  • Pour le « stock », deux ans après la décision, seulement 1/3 des adductions ont été réalisées, les autres adductions tentées ayant été classées en « échec définitif ». Si Altice/SFR Group a avancé des problèmes techniques pour expliquer l’échec des tentatives d’adductions, il n’a pas justifié de façon précise les difficultés rencontrées ni mis en œuvre les procédures nécessaires pour les résoudre.

 

  • Pour le « flux », seule la moitié des immeubles dont Bouygues avait souhaité le raccordement ont été adductés, sans qu’Altice/SFR Group ne documente de façon précise les difficultés rencontrées. Le délai de 3 mois qu’Altice/SFR Group devait respecter ne l’a été que très partiellement, laissant le champ libre aux opérateurs concurrents pour préempter la clientèle.

2) Une maintenance dégradée

Les éléments au dossier montrent que les délais de traitement des incidents qui se sont produits ont été manifestement excessifs, notamment au regard des standards prévus par le contrat. Il apparaît par ailleurs qu’Altice/SFR Group n’a pas non plus pris toutes les mesures nécessaires pour assurer une maintenance efficace, en particulier sur certaines installations techniques (défaut de climatisation), conduisant à des interruptions de service pour les abonnés. L’Autorité relève que la dégradation de la qualité du réseau FttH relevant du contrat Faber a essentiellement nui à Bouygues Telecom, Altice/SFR Group ayant adopté, après la décision de rachat de SFR, une stratégie nouvelle consistant à ne commercialiser que les offres utilisant le réseau du câblé modernisé dans les zones où elle disposait à la fois de ce réseau et d’un réseau en fibre optique.

UNE SANCTION D’UN MONTANT DE 40 MILLIONS D’EUROS

Pendant deux ans, de la date de la décision de l’Autorité autorisant le rachat sous conditions de SFR à la présente décision, Altice/SFR Group n’a que très partiellement respecté ses engagements et n’a pas mis en œuvre les moyens de les respecter effectivement.

Ce comportement a affecté le développement du très haut débit, qui porte la croissance de l’internet fixe depuis plusieurs années, et représente un enjeu économique et industriel majeur.

Altice/SFR Group, qui est un groupe puissant et disposant de moyens d’analyse économiques et juridiques substantiels, ne pouvait ignorer le caractère contraignant des engagements ni les conséquences de son comportement sur la situation de la concurrence sur le très haut débit, et plus particulièrement sur celle de son cocontractant.

En s’abstenant de réaliser les adductions auxquelles il s’était engagé, le groupe a privé Bouygues Telecom de la possibilité de commercialiser des offres fibre auprès des foyers concernés. La position de Bouygues Telecom a ainsi été fragilisée alors qu’il était un concurrent actif sur le secteur de l’internet haut et très haut débit.

L’Autorité a par conséquent sanctionné Altice/SFR Group à hauteur de 40 millions d’euros. Elle a par ailleurs prononcé plusieurs injonctions afin de s’assurer qu’Altice/SFR Group s’abstienne de poursuivre ces comportements. Elle a en particulier fixé à Altice/SFR Group un nouveau calendrier d’exécution comprenant des paliers de réalisation, assortis d’astreintes progressives, afin de la contraindre à procéder à l’adduction de l’ensemble des points de mutualisation non effectivement adductés. Ainsi, dans un délai de douze mois, Altice/SFR Group devra avoir adducté l’ensemble des points de mutualisation (de « stock » et de « flux »), sauf difficultés dûment justifiées. Un mandataire indépendant sera chargé de suivre les conditions de la maintenance ainsi que l’avancée des adductions et présentera tous les 3 mois à l’Autorité un rapport faisant état de l’exécution des injonctions


1Depuis le mois de juin 2016, Numericable-SFR a pris la dénomination sociale de SFR-Group.
2La réglementation impose à l’opérateur d’immeuble (opérateur qui a fibré l’immeuble) d’attendre au moins 3 mois (obligation dite « J3M ») avant d’activer tout accès FttH dans les logements concernés, afin de permettre aux opérateurs tiers de réaliser l’adduction dans ce délai.

 

Les injonctions sous astreintes

En prononçant des injonctions sous astreintes, l’Autorité de la concurrence fait application pour la première fois des dispositions de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui lui donnent des moyens supplémentaires en cas d’inexécution des engagements pris dans le cadre d’une opération de concentration.

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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