Profession de géomètre-expert
L’Autorité relève que, malgré de récentes précisions jurisprudentielles, le contour des prestations relevant du monopole légal des géomètres-experts demeure flou.
L’Autorité recommande au Législateur de mettre un terme à cette imprécision et de réexaminer le bienfondé des prestations relevant du monopole légal des géomètres-experts.
L’essentiel L’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui un avis à la demande de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes (CSNGT) sur des questions de concurrence portant sur les activités respectives des géomètres-experts et des géomètres-topographes, en particulier sur la définition du champ du monopole dont disposent les premiers en application de la loi du 7 mai 1946. L’Autorité estime que la définition de ce monopole par la conjonction de deux critères – l’un matériel : la réalisation de plans et documents topographiques ; l’autre finaliste : la délimitation des biens fonciers – est source d’une grande confusion et ne permet pas l’exercice harmonieux des activités relevant du secteur concurrentiel. Les incertitudes qui entourent la définition actuelle, de même que les variations de son interprétation au fil du temps, ont entraîné une insécurité juridique qui nuit à l’efficacité économique du secteur. L’Autorité recommande donc au Législateur de réexaminer le périmètre des prestations relevant du monopole légal des géomètres-experts. |
Les questions étudiées dans l’avis
La saisissante a sollicité l’avis de l’Autorité sur quatre sujets. Pour deux d’entre eux, les modalités de certification en géoréférencement et les conditions d’accès aux marchés publics, l’Autorité n’a pas identifié de préoccupation de concurrence qui nécessiterait une modification de la réglementation actuelle. Un effort de pédagogie pourrait néanmoins s’avérer utile au cas par cas.
Les deux autres thèmes portent sur l’étendue du monopole dont bénéficient les géomètres-experts. Ce sont sur ces sujets que portent essentiellement les recommandations de l’Autorité.
Le monopole légal des géomètres-experts
Le cœur de métier des géomètres consiste à relever la configuration des lieux et à en dresser la carte sur supports 2D et 3D. La profession est constituée des géomètres topographes, profession non-réglementée représentée par la CSNGT, et des géomètres-experts, profession réglementée par la loi du 7 mai 1946, qui lui réserve un monopole s’agissant des études et travaux topographiques fixant les limites des biens fonciers.
Clarifier le périmètre du monopole des géomètres-experts
La saisissante considère qu’en incluant les documents d’arpentage1 susceptibles d’avoir « pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers et de créer des droits réels qui y seraient attachés » dans le monopole des géomètres-experts, la Cour de cassation et l’administration fiscale auraient étendu le monopole légal des géomètres-experts sans que cela soit justifié.
L’Autorité a pris acte des récents arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’État, qui ont clarifié les catégories de documents d’arpentage incluses dans le monopole des géomètres-experts en précisant les conditions dans lesquelles la réalisation d’un document d’arpentage peut relever du monopole légal des géomètres-experts.
Toutefois, les nombreuses saisines contentieuses ou consultatives du Conseil, puis de l’Autorité de la concurrence sur ce sujet, ainsi que l’abondante jurisprudence administrative et judiciaire témoignent de difficultés récurrentes d’interprétation de la définition légale du monopole des géomètres-experts.
Proposition 1 : L’Autorité recommande donc au Législateur, au regard notamment de la nécessité d’assurer aux acteurs économiques un niveau de sécurité juridique compatible avec un exercice serein de leurs activités concurrentielles, de redéfinir précisément le monopole légal des géomètres-experts. Proposition 2 : Compte tenu des évolutions qu’a connues ce secteur depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Autorité suggère de réexaminer à cette occasion les justifications techniques, juridiques et économiques qui ont jusqu’ici fondé l’octroi de prestations exclusives aux géomètres-experts. En excluant la réalisation par les géomètres topographes, bien qu’agréés par l’administration fiscale pour procéder à des travaux cadastraux, de certains documents d’arpentage, la règlementation actuelle correspond, selon les estimations de l’Autorité, à une contraction de l’offre de services d’au moins 5%, ce qui est loin d’être négligeable en termes de pouvoir d’achat des consommateurs qui font appel aux services d’un géomètre. |
Exclure les plans et esquisses annexés aux états descriptifs de division de copropriété du monopole des géomètres-experts
La saisissante allègue que les géomètres-experts tenteraient d’étendre le champ de leur monopole aux plans annexés aux états descriptifs de division de copropriété, de manière injustifiée.
Les états descriptifs de division de copropriété sont des documents qui désignent, dans les copropriétés, les fractions de l’immeuble ou du terrain. Ces états descriptifs peuvent inclure un plan.
L’Autorité note que, dans le silence de la loi et du règlement et en l’absence de toute précision jurisprudentielle sur ce point, aucun droit exclusif ne semble avoir été octroyé aux géomètres-experts en matière de réalisation des plans ou esquisses annexés aux états descriptifs de division de copropriété.
Par ailleurs, réserver ces plans aux seuls géomètres-experts reviendrait à leur accorder une rente de situation injustifiée. Avec plus de dix millions de logements en copropriété en France, cela équivaudrait, en moyenne, à réserver à chaque géomètre-expert un monopole sur les plans de plus de 5 000 logements en copropriété.
Proposition n°3 : Dans le cadre de la réforme législative qu’elle recommande, l’Autorité suggère de poser clairement dans la loi que lesdits plans et esquisses n’entrent pas dans le champ du monopole des géomètres-experts. |
Les recommandations de l’Autorité visent à améliorer la lisibilité de la loi au bénéfice des professionnels
En définitive, les thématiques abordées dans cet avis découlent directement d’un problème d’interprétation du monopole légal des géomètres-experts. Outre ses effets négatifs sur l’économie, cette imprécision a des conséquences importantes pour les professionnels concernés, l’exercice illégal de la profession de géomètres-experts étant sanctionné pénalement. La clarification législative que l’Autorité recommande répondrait ainsi à un certain nombre d’enjeux essentiels pour les géomètres comme pour les pouvoirs publics : amélioration de l’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, limitation du contentieux, renforcement de la sécurité juridique et de l’efficacité économique du secteur des activités topographiques.
L’Autorité note qu’en déposant un amendement au Sénat en 2015 dans le cadre l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Gouvernement souhaitait déjà « clarifier la définition des activités pouvant être également confiées aux géomètres topographes, afin d’instaurer davantage de concurrence pour ces activités qui, légalement, ne relèvent pas du seul monopole des géomètres experts »2. Malgré deux avis favorables du Gouvernement et de la commission du Sénat, cet amendement n’avait finalement pas été adopté, les débats parlementaires soulignant la nécessité de procéder au préalable à un échange de vues avec l’ensemble des parties prenantes concernées. C’est précisément dans le cadre de cette vaste concertation que l’avis souhaite s’inscrire, l’Autorité étant prête, si le Législateur la sollicite, à s’associer aux travaux de redéfinition de ce monopole légal.