A la demande du Sénat, l’Autorité de la concurrence rappelle dans quel cadre concurrentiel les collectivités locales peuvent intervenir dans le déploiement des réseaux de très haut débit au travers de « projets intégrés ».

Elle émet plusieurs recommandations pour prévenir le risque que les collectivités locales soient victimes de distorsions de la concurrence dans le cadre de leurs appels d’offres.

 

 

Saisie par le Sénat (commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat) à propos de l’intervention des collectivités territoriales dans le déploiement de la fibre optique (voir le communiqué de presse du 9 septembre 2011), l’Autorité de la concurrence vient de rendre son avis et de l’exposer devant les sénateurs intéressés dans le cadre de l’audition publique de Bruno Lasserre, président de l’Autorité, organisée par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire le 18 janvier 2011 (consulter la vidéo en ligne sur le site du Sénat). La proposition de loi de MM. Maurey et Leroy visant à assurer l’aménagement numérique du territoire a également été évoquée à cette occasion.

La demande d’avis du Sénat se situe dans le contexte du programme national très haut débit (PNTHD). L’Autorité s’est ainsi inscrite dans la continuité de son avis sur  ce programme, lancé par le gouvernement en 2009 (avis 10-A-07), qui entre désormais dans sa phase opérationnelle. L’appel à manifestation d’intention d’investissement (AMII) a permis de recueillir les engagements de couverture des opérateurs privés, qui portent sur 60 % de la population. Les collectivités locales ont été invitées par le gouvernement à soumettre leurs projets de réseaux publics pour assurer la couverture de leur territoire en complément.

L’Autorité a répondu à la saisine sans revenir sur le choix politique qui a été mis en œuvre dans ce cadre, c’est-à-dire celui de la complémentarité entre l’action publique et l’action privée. Elle n’a par ailleurs pas proposé de construire ou modifier le paysage concurrentiel à travers une régulation ex ante, qui relève de la compétence de l’ARCEP, en matière de déploiement des réseaux, de leur architecture technique, et de condition d’accès à ces réseaux par des tiers.

L’Autorité, en tant qu’experte du droit de la concurrence, a analysé le cadre européen en la matière et vérifié, afin de répondre à la demande du Sénat, que les collectivités territoriales pouvaient jouer un rôle de catalyseur par des projets intégrés sous certaines conditions. Elle a souligné en outre les avantages du co-investissement. L’Autorité a par ailleurs rappelé, dans l’objectif de renforcer l’efficacité de l’action publique, les deux risques concurrentiels principaux dans le cadre du déploiement des réseaux de très haut débit : d’une part, la nécessité de construire un cadre incitatif, car il n’est pas dans l’intérêt de l’opérateur historique de déployer un réseau concurrent de la boucle de cuivre locale, et, d’autre part, celle de porter une attention particulière aux appels d’offres dans le cadre des réseaux d’initiative publique dans lesquels les opérateurs intégrés bénéficient d’un avantage commercial et technique particulier.

L’Autorité a ainsi adopté une approche pragmatique, sans ériger en principe la concurrence par les infrastructures, et sans privilégier systématiquement les seuls projets privés.

Programme national très haut débit (PNTHD) : maintenir un cadre incitatif vis-à-vis des opérateurs privés

Le Sénat a d’abord interrogé l’Autorité sur la priorité donnée aux déploiements des opérateurs sur les initiatives des collectivités territoriales par le PNTHD. Le Sénat souhaitait plus particulièrement connaître l’analyse de l’Autorité sur les contraintes juridiques découlant du régime communautaire des aides d’Etat en ce qui concerne la possibilité pour les collectivités de subventionner des projets « intégrés », portant à la fois sur des zones rentables et non rentables.

Dans son avis, l’Autorité de la concurrence relève que le cadre juridique  laisse de larges possibilités d’interventions aux collectivités locales, notamment au travers de la notion de service d’intérêt économique général (SIEG), dans le respect cependant de strictes conditions portant sur la sélection de l’entreprise chargée de fournir ce service ainsi que les modalités de compensation financière de cette entreprise. Dans ce contexte, la logique du PNTHD relève d’un choix d’opportunité du gouvernement, sur lequel il n’appartient pas à l’Autorité de la concurrence de se prononcer.

Les résultats de l’appel à manifestation d’intérêt (AMII) suggèrent une certaine appétence des opérateurs privés pour déployer la fibre optique. Il y a lieu de se féliciter de ces annonces, tout en veillant à maintenir un cadre qui soit suffisamment incitatif et qui veille de façon effective et concrète au respect des déclarations d’intention.

Réseaux d’initiative publique : protéger les collectivités territoriales contre les risques importants de distorsion de la concurrence lors des appels d’offres

Les collectivités territoriales sont devenues des acteurs importants du secteur des communications électroniques. De nombreux réseaux publics, lancés à leur initiative grâce aux compétences nouvelles dont elles disposent depuis 2004, permettent aujourd’hui aux populations et aux entreprises de ces territoires de bénéficier d’offres compétitives d’accès à Internet à haut débit.

Avec le très haut débit et le déploiement de la fibre optique, l’intervention des collectivités va se poursuivre. De nombreuses procédures publiques vont être lancées ces prochaines années, souvent à l’échelon départemental ou régional, comme y incite le programme national très haut débit.

Comme l’Autorité de la concurrence l’a déjà souligné (voir les avis 09-A-57 et 10-A-07), ces interventions publiques sont pleinement légitimes et souhaitables, et les projets intégrés peuvent prendre leur place dans le cadre européen des aides d’Etat, qu’il s’agisse des lignes directrices du 30 septembre 2009 spécifiques au très haut débit, et, du cadre général en matière d’aides d’Etat, sous réserve que certaines conditions soient respectées. Le co-investissement offre en particulier des pistes intéressantes pour justifier les projets au cas par cas.

Néanmoins, l’Autorité alerte les pouvoirs publics sur les risques importants de distorsions de la concurrence qui pèsent sur ces procédures publiques. Pour prévenir ces risques, l’Autorité émet des recommandations.

  • Les opérateurs ne sont pas sur un pied d’égalité

Deux types d’acteurs répondent aux appels d’offres pour l’établissement et l’exploitation des réseaux publics. D’une part, des « pure players  », qui servent uniquement le marché de gros, au travers d’offres d’accès aux réseaux publics dont ils ont la charge et dont les clients sont les fournisseurs d’accès à Internet (FAI). D’autre part, des opérateurs verticalement intégrés, comme Orange et SFR, qui exercent par ailleurs une activité de FAI et sont donc susceptibles d’utiliser, pour servir le marché final, les réseaux publics objets des appels d’offres.

L’Autorité de la concurrence relève que les opérateurs verticalement intégrés disposent d’avantages importants sur les « pure players », de nature à fausser la concurrence dans le cadre des procédures publiques. Un avantage commercial d’abord, à travers la faculté, pour le FAI, de s’engager à être client du réseau public s’il remporte l’appel d’offre pour son établissement et son exploitation. Un avantage technique ensuite, qui découle du fait que les FAI, en tant que clients potentiels des réseaux publics, posent des exigences techniques, qui ne paraissent pas illégitimes en elles-mêmes mais auxquelles en pratique ils semblent être les seuls à pouvoir répondre en tant que candidat pour l’établissement et l’exploitation du réseau public.

  • Les recommandations de l’Autorité pour limiter les avantages commerciaux et techniques des opérateurs intégrés (Orange et de SFR)

En ce qui concerne l’avantage commercial : l’Autorité recommande que les opérateurs intégrés fournissent aux collectivités locales, lorsqu’ils ont l’intention de candidater à un appel d’offres, les conditions dans lesquelles ils seraient susceptibles d’utiliser le réseau public en tant que FAI, quelle que soit l’identité de l’opérateur qui sera in fine désigné pour le mettre en place, de manière à ce que cette information puisse être communiquée à l’ensemble des candidats ; la fourniture de cette information pourrait constituer une condition de recevabilité de la proposition du candidat.

En ce qui concerne l’avantage technique : si des travaux d’harmonisation techniques paraissent nécessaires pour répondre aux besoins des FAI, il est indispensable que ces derniers s’y impliquent pleinement et livrent toute l’information nécessaire. L’Autorité recommande que l’ARCEP s’assure de la bonne marche des travaux d’harmonisation et de la pleine participation des opérateurs.

 

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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