Farine en sachet vendue dans la grande distribution
L’Autorité de la concurrence sanctionne un cartel franco-allemand à hauteur de 95,5 millions d’euros.
Elle sanctionne par ailleurs deux ententes sur le territoire national entre meuniers français à hauteur de 146,9 millions d’euros.
L’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui une décision sanctionnant à hauteur de 242,4 millions d’euros plusieurs ententes dans le secteur de la farine en sachets.
Il s’agit d’une part, d’une entente entre meuniers allemands et français visant à limiter les importations de farine entre la France et l’Allemagne, et d’autre part, de deux ententes entre meuniers français visant à fixer le prix, à limiter la production et à répartir la clientèle de la farine en sachet vendue d’une part à la grande et moyenne distribution et, d’autre part, aux enseignes du hard discount en France.
L’origine de l’affaire : une demande de clémence de la part d’un meunier allemand
L’Autorité de la concurrence (à l’époque Conseil de la concurrence) s’est autosaisie en avril 2008 afin d’enquêter sur le secteur de la farine, à la suite d’une demande de clémence effectuée par un meunier allemand (Wilh. Werhahn GmbH & Co. KG et ses filiales). La procédure de clémence permet, sous certaines conditions, à une entreprise qui dénonce une entente à laquelle elle a participé d’être exonérée de sanction totalement ou partiellement, en fonction notamment de son rang d’arrivée à l’Autorité.
Les perquisitions réalisées en France et en Allemagne (par l’intermédiaire de l’autorité allemande de concurrence, le Bundeskartellamt) ont permis de réunir de nombreuses preuves de ces ententes. Elles ont été complétées par une instruction très approfondie.
L’Autorité a disjoint du dossier en janvier 2010 une partie des pratiques concernant le secteur de la boulangerie artisanale. Ces pratiques continuent à faire l’objet d’une instruction et donneront lieu à une autre décision ultérieurement.
L’entente entre les meuniers allemands et français : « chacun reste chez soi »
Les éléments du dossier ont permis d’établir que les meuniers français et allemands ont conclu entre eux un pacte de non-agression mutuelle dont l’objet était de limiter l’accès réciproque à leurs marchés nationaux respectifs et à maîtriser les exportations franco-allemandes de farines en sachets en les maintenant à un niveau déterminé par avance (15 000 tonnes). Ils se sont réunis à plusieurs reprises (douze réunions) afin de fixer les modalités de cet accord. De plus, de manière plus ponctuelle, ils se sont répartis certains clients présents sur le territoire français et ont convenu des principes de lissage de prix de la farine en sachets importés en France, aux fins de s’assurer du respect du quota convenu.
La durée de l’infraction a pu être établie pour 6 ans, de 2002 à 2008. Les sanctions infligées aux membres de cette entente ont été fixées aux niveaux suivants :
Bach Mühle* | 40 000 € |
France Farine* | 8 295 000 € |
Grands Moulins de Paris* | 11 834 000 € |
Grands moulins de Strasbourg* | 9 890 000 € |
Axiane Meunerie* | 19 927 000 € |
Bindewald** | 2 602 000 € |
Bliesmühle** | 1 929 000 € |
Flechtorfer** | 4 510 000 € |
Friessinger** | 11 770 000 € |
Heyl** | 2 051 000 € |
Mills United** | 5 282 000 € |
Saalemühle** | 297 000 € |
VK Mühlen** | 17 110 000 € |
Total | 95 537 000 € |
*entreprise française
**entreprise allemande
Le meunier Werhahn (2ème groupe meunier en Allemagne) a été totalement exonéré de sanction au titre de la clémence. Il encourait une sanction de 16,66 millions d’euros. Les sociétés France Farine et Bach Mühle ont joué le rôle de meneur : elles ont vu leurs sanctions augmenter de 10%. La société Bindewald, qui au contraire, s’est comportée en franc-tireur a vu sa sanction - symétriquement - réduite de 10%.
Ce cartel constitue l’une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où il confisque le bénéfice que les consommateurs sont en droit d’attendre d’un fonctionnement concurrentiel de l’économie. La farine est un produit de base entrant dans la composition de nombreuses préparations culinaires faites à domicile, ce qui en fait un produit de consommation courante indispensable. Le dommage aux consommateurs généré par l’entente est donc d’autant plus important que la demande des consommateurs en farine en sachets est relativement peu élastique au prix compte tenu de l’absence de produits de substitution.
Ce cartel a eu plusieurs conséquences :
- Il a favorisé le cloisonnement des marchés de deux Etats membres de l’Union européenne (France et Allemagne) de taille significative, entravant ainsi directement l’interpénétration économique voulue par le traité de l’Union européenne lui-même.
- Il a mis les meuniers français à l’abri de la concurrence des meuniers allemands et empêché que ces derniers viennent animer la compétition sur le marché français.
Il a ainsi conforté l’entente que les meuniers français ont par ailleurs mis en œuvre sur le territoire national au travers des sociétés communes France Farine et Bach Mühle (voir ci-dessous). Sur le marché de la moyenne et grande distribution comme sur le marché du hard discount, les meuniers français ont ainsi été en mesure de pratiquer des prix supra-concurrentiels et de se partager le marché français, les meuniers allemands s’abstenant de candidater de manière systématique et offensive aux appels d’offres, notamment, à partir de la fin des années 90, à ceux du hard discount allemand (Aldi, Lidl…). Ainsi protégés de la concurrence des meuniers allemands, plus compétitifs, les meuniers français n’ont pas procédé aux améliorations de leur outil de production qu’ils auraient été amenés à faire s’ils avaient été confrontés au jeu normal de la concurrence. Les consommateurs français ont ainsi perdu l’opportunité d’acheter la farine à des prix plus bas.
L’entente entre meuniers français au travers des sociétés communes France Farine et Bach Mühle : le verrouillage du marché français
La majorité des meuniers français ont fait le choix de se regrouper au sein de deux sociétés communes qui assurent, pour leur compte et à titre de mandataire, la commercialisation de leur production :
Ainsi, France Farine, créée en 1965, assure, pour l’ensemble des meuniers actionnaires, la commercialisation de farine en sachets auprès de la moyenne et grande distribution, principalement par le biais de la marque nationale Francine qu’elle a développée et dont elle est propriétaire.
Pour plus de détails sur France Farine, consulter la fiche 1 du dossier de presse
- De la même façon, Bach Mühle, créée en 1971, commercialise la farine des meuniers actionnaires auprès des enseignes du hard discount (comme Aldi, Ed, Lidl), qui procèdent généralement par voie d’appels d’offres au niveau national sur une base annuelle.
Pour plus de détails sur Bach Mühle, consulter la fiche 1 du dossier de presse
Les entreprises communes ne sont pas interdites de façon générale : elles peuvent être le siège de gains d’efficacité et contribuer à rationaliser certains segments de production ou de commercialisation des produits. Mais en l’occurrence, France Farine et Bach Mühle avaient pour objet réel une entente sur le prix de la farine et la répartition des clients entre les différents meuniers.
L’Autorité de la concurrence a estimé que, par son fonctionnement et son mode d’intervention, France Farine avait permis une véritable organisation centralisée du marché de la farine, éliminant toute forme de concurrence entre les meuniers, particulièrement sur la farine de marque Francine.
France Farine assurant elle-même la commercialisation auprès de la grande distribution de la farine en sachets produite par ses actionnaires/commettants, elle appliquait un prix de cession unique déterminé en commun pour les produits commercialisés sous marque la Francine, ainsi que pour les farines en sachets sous marque de distributeurs ou celles dites « premier prix ».
Une fois la négociation commerciale avec les clients de la grande distribution réalisée, France Farine procèdait elle-même à la répartition des commandes reçues. Cette répartition était effectuée, par principe, selon une clé de répartition fixe : elle transmettait la commande « au meunier le plus proche du site de commande ». Dans les faits, cette clé de répartition basée sur l’implantation territoriale des sites d’ensachage de chaque commettant équivalait à la désignation de zones géographiques pré-attribuées pour chacun d’entre eux.
De la même manière, l’Autorité de la concurrence a considéré que les modalités d’organisation et de fonctionnement de Bach Mühle ont permis aux meuniers qui en sont actionnaires de pratiquer un prix unique pour la vente de farine en sachets aux enseignes du hard discount, d’aligner leur politique commerciale et de se répartir à la fois les clients et les volumes des livraisons.
Au total, sept meuniers sont sanctionnés pour un montant de 146,9 millions d’euros :
Axiane Meunerie | 44 032 000 € |
Euromill Nord | 35 205 000 € |
Grands Moulins de Paris | 24 605 000 € |
Grands Moulins Storione | 95 000 € |
Grands Moulins de Strasbourg | 18 933 000 € |
Minoteries Cantin | 23 622 000 € |
Moulins Soufflet | 393 000 € |
Total | 146 885 000 € |
L’Autorité a relevé la gravité de cette entente qui a permis aux meuniers français en cause de manipuler les principaux paramètres de la concurrence (prix, marque, allocations des clients et des marchés ainsi que de la production), causant aux consommateurs français un dommage important notamment du fait de sa durée très longue.
Joint aux autres éléments des pratiques sanctionnées, et en particulier la protection du marché français à l’égard des importations allemandes, ceci explique que l’ensemble du marché ait été verrouillé : pour préserver les prix élevés rendus possibles par le biais de France Farine pour la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution, les entreprises en cause ont mis en place un mécanisme anticoncurrentiel analogue par le biais de l’entreprise commune Bach Mülhe s’agissant des enseignes du hard discount.
L’ensemble du marché a ainsi été maîtrisé, depuis le segment du hard discount jusqu’à celui de la grande et moyenne distribution et l’ensemble des segments du secteur de la farine en sachets a été concerné (marques nationales et de distributeurs, premier prix et hard discount).
Conformément au communiqué relatif à la détermination des sanctions adopté le 16 mai 2011, l’Autorité a tenu compte des difficultés financières de Grands Moulins de Strasbourg et a réduit ses sanctions pour tenir compte de sa capacité contributive.
D’autres procédures sont en cours concernant le secteur de la meunerie en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Belgique).
Pour plus de détails sur cette affaire, consultez le dossier de presse :
|