Saisie par la Ville de Paris, l’Autorité de la concurrence rend son avis dans lequel elle constate que le marché parisien est extrêmement concentré.

Pour pouvoir agir sur la structure du marché, elle suggère un instrument nouveau : l’injonction structurelle, dont les conditions de mise en œuvre doivent être revues.

 

L’Autorité de la concurrence a été saisie par la Ville de Paris le 8 février 2011 au sujet de la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire à Paris. Pour mémoire, l’Autorité avait déjà rendu un premier avis en décembre 2010 (avis 10-A-26), dans lequel elle mentionnait le niveau particulièrement élevé de concentration du marché de la distribution à dominante alimentaire dans Paris intra-muros.

DIAGNOSTIC : A Paris, le groupe Casino possède une part de marché en surface supérieure à 60 %

La distribution alimentaire généraliste est particulièrement concentrée dans Paris intra-muros, le groupe Casino détenant, grâce à sa participation au capital de Monoprix, une part de marché en surface supérieure à 60% et plus de trois fois supérieure à celle de son principal concurrent, le groupe Carrefour.

Le rythme d’ouverture soutenu de nouveaux magasins ces dernières années n’a pas entraîné de remise en cause de la concentration du marché, dans la mesure où ces ouvertures concernent principalement des supérettes de moins de 400m² et qui sont pour la plus grande part exploitées par le groupe Casino (pour de plus de détails, se reporter à la page 11 de l’avis).

  • Le groupe Casino détient ainsi plus de la moitié des magasins dans 54 quartiers sur 80, et même plus de 80% des magasins dans 11 quartiers. Il exploite 375 points de ventes, notamment les enseignes Franprix et Leader Price, Casino Supermarché, Marché d’à coté, Petit Casino, Spar, Vival. Il détient par ailleurs depuis 2000 les magasins Monoprix, conjointement avec le groupe Galeries Lafayette (53 Monoprix, 31 Monop’ et 5 Daily Monop’sur Paris).
    Pour plus de détails, se reporter aux fiches 3 et 4 du dossier de presse ainsi qu’aux pages 10 à 13 et 31 à 37 de l’avis.
     
  • Sa part de marché intra-muros est de 61,7% en part de plancher (part de marché en surfaces de vente) et se situe entre 50 et 70% en part de chiffre d’affaires, y compris lorsqu’est prise en compte la concurrence des hypermarchés de périphérie. Le suiveur immédiat, le groupe Carrefour, ne détient, depuis la cession des magasins à enseigne Ed et Dia, qu’une part de marché de 12,5 % si l’on raisonne en surfaces et comprise entre 10 % et 20 % si l’on raisonne en chiffre d’affaires. Les autres groupes ont une part de marché inférieure à 10%, et inférieure à 5% dans le cas des principaux groupements coopératifs.
    Pour plus de détails, se reporter aux fiches 3 et 4 du dossier de presse ainsi qu’aux pages 16 à 20 de l’avis.

L’Autorité de la concurrence a par ailleurs observé que l’implantation de magasins concurrents provoque une réduction des résultats nets des magasins Franprix, du fait, vraisemblablement, d’une diminution de la fréquentation de ces magasins et d’une hausse de leurs coûts pour répondre à la concurrence accrue dans leur quartier. En revanche, ces implantations concurrentes n’entraînent pas une perte de clientèle suffisante pour conduire les magasins Franprix à diminuer de manière significative leurs prix, alors même que les marges nettes réalisées en amont, au niveau de la centrale d’achat, ou en en aval, au niveau des magasins de détail, rendraient possible une diminution des prix si la concurrence était plus intense (pour plus de détails, se reporter aux pages 41 à 43 de l’avis).

RECOMMANDATIONS : fluidifier le marché et agir sur les structures

1) En premier lieu, l’Autorité estime qu’il est nécessaire de poursuivre l’abaissement des barrières à l’installation de grandes surfaces alimentaires et de fluidifier le marché.

L’Autorité de la concurrence est favorable, comme elle l’a dit à plusieurs reprises, à la suppression de la procédure d’autorisation administrative d’installation pour les commerces de plus de 1 000 m². De son point de vue, cette suppression faciliterait l’acquisition des emplacements nécessaires et le développement de commerces de plus grande taille, ce qui aurait pour conséquence d’animer le jeu concurrentiel, compte tenu du grand nombre de petites surfaces déjà exploitées à Paris. Dans cette même perspective, l’Autorité estime qu’il serait souhaitable que la ville de Paris veille, dans le cadre des projets de zones d’aménagement commercial, à délimiter des surfaces suffisamment importantes pour permettre l’installation de grands supermarchés, voire d’hypermarchés.

Par ailleurs, conformément à ce qu’elle avait déjà exprimé dans son avis de décembre 2010 (avis n° 10-A-26), l’Autorité de la concurrence estime qu’un assouplissement des conditions d’affiliation renforcerait la concurrence entre opérateurs de la grande distribution à dominante alimentaire. S’il est vrai que les contrats de franchise des magasins à enseigne Franprix avec le groupe Casino sont, du point de vue de leur durée, compatibles avec les recommandations émises dans le cadre de l’avis n° 10-A-26, la part de marché importante du groupe Casino sur ce marché accroît le risque d’effets restrictifs de concurrence si les obstacles à la mobilité des magasins franchisés - notamment au travers de droits de préemption ou de clauses de non-concurrence post-contractuelles - sont trop importants.

2) En second lieu, l’Autorité constate qu’elle ne dispose pas de réels moyens d’intervention lorsque les préoccupations de concurrence identifiées résultent des structures de marché et non des comportements des opérateurs.

L’abaissement des barrières à l’entrée ou à la mobilité sera insuffisant, à lui seul, pour modifier la structure du marché du commerce alimentaire à Paris. La concentration observée sur le marché parisien de la distribution à dominante alimentaire découle d’une part, des investissements effectués par le groupe Casino, qui lui ont permis d’agrandir et d’améliorer son parc de magasins, et d’autre part, du désintérêt relatif longtemps manifesté par les concurrents de ce groupe à l’égard du marché parisien. Entre 1998 et 2000, le groupe Casino a ainsi, avec l’assentiment des autorités de concurrence, racheté le réseau Franprix/Leader Price, historiquement très présent à Paris, et acquis le contrôle conjoint du groupe Monoprix, au moment où celui-ci était menacé dans son développement. Par la suite, le groupe Casino a continué d’investir pour ouvrir de nouveaux magasins, de rénover les points de vente existants (4% du chiffre d’affaires de Casino y étant consacré chaque année) et d’adapter son modèle commercial à la demande (différenciation des enseignes, élargissement des horaires d’ouverture, etc.). La réussite du groupe Casino peut donc être imputée à sa stratégie et à ses mérites propres. Elle a également été facilitée par les comportements des groupes de distribution concurrents, qui ont quant à eux privilégié l’ouverture de magasins de grande taille en périphérie des grandes villes, l’ouverture de tels formats de vente étant difficile à réaliser dans Paris intra-muros. Ce n’est que sur une période récente que certains opérateurs, notamment les groupements coopératifs, ont manifesté leur intérêt pour ce marché.

Cependant, la position aujourd’hui détenue par cet opérateur sur le marché parisien de la grande distribution à dominante alimentaire constitue un obstacle à la concurrence qui pourrait s’y exercer. Elle paraît en outre difficilement réversible, à moins qu’une intervention significative sur la structure du marché et la répartition du parc de magasins puisse être lancée.

La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a effectivement confié à l’Autorité de la concurrence un tel pouvoir d’imposer des injonctions structurelles dans le secteur du commerce de détail1. Cependant, celui-ci est subordonné à des conditions extrêmement difficiles à satisfaire : d’une part, la constatation d’un abus de position dominante ou de dépendance économique, d’autre part et surtout la persistance de l’abus malgré une décision de l’Autorité condamnant ce dernier. En l’état, cette disposition ne permet pas à l’Autorité de la concurrence d’agir sur la structure de marché et de remédier à la concentration élevée du marché constaté à Paris ou dans d’autres zones de chalandise.

Pourtant, des dispositions législatives permettant à une autorité nationale de concurrence, lorsque la situation de la concurrence le rend nécessaire et au terme d’un débat contradictoire approfondi, d’enjoindre à des entreprises de revendre des actifs à des concurrents existe dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni et, plus récemment, en Grèce. Le débat est également ouvert en Allemagne. Ce pouvoir d’injonction structurelle, qui offre des garanties procédurales similaires à celles encadrant le contrôle des concentrations, apparaît comme le moyen le plus efficace d’agir sur la structure de marché au bénéfice du consommateur. En modifiant à brève échéance la structure du marché dans le sens d’une plus grande diversité des groupes de distribution présents sur des zones de chalandise concentrées, une injonction de cessions de magasins- si elle était prononcée- accroîtrait rapidement la pression concurrentielle sur les opérateurs et modifierait ainsi leurs comportements de prix ou d’assortiment dans le sens souhaité par les consommateurs.


1L’article L. 752-26 du code de commerce prévoit en effet qu’« en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail, l’Autorité de la concurrence peut procéder aux injonctions et aux sanctions pécuniaires prévues à l’article L. 464-2. Si les injonctions prononcées et les sanctions pécuniaires appliquées n’ont pas permis de mettre fin à l’abus de position dominante ou à l’état de dépendance économique, l’Autorité de la concurrence peut, par une décision motivée prise après réception des observations de l’entreprise ou du groupe d’entreprises en cause, lui enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui a permis ces abus. Elle peut, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder à la cession de surfaces, si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective dans la zone de chalandise considérée ».

Pour plus de détails, consulter l’intégralité du texte de l’avis 12-A-01 du 11 janvier 2012 relative à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris ainsi que le dossier de presse :

Fiche 1 : Les spécificités du secteur de la distribution alimentaire à Paris
Fiche 2 : Les enseignes détenues par les différents groupes de distribution à Paris
Fiche 3 : Un secteur très concentré
Fiche 4 : Une très forte présence du groupe Casino dans les quartiers de Paris
Fiche 5 : La cession imposée de magasins, une solution pour instaurer davantage de concurrence
Fiche 6 : L’article 1er du projet de loi « Droits, protection et information des consommateurs »
Fiche 7 : La méthodologie suivie par l’Autorité de la concurrence

 

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Virginie Guin
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Directrice de la communication
Yannick Le Dorze
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Adjoint à la directrice de la communication
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