Renouvellement du contrat de délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse depuis le port de Marseille : le Conseil ordonne à la SNCM de rendre divisible son offre globale
Saisi par les sociétés Compagnie Méridionale de Navigation (CMN) et Corsica Ferries, le Conseil de la concurrence rend aujourd’hui une décision, dans laquelle, sans attendre sa décision au fond, il prononce des injonctions à titre conservatoire.
Les faits dénoncés par les plaignants
Les sociétés saisissantes dénonçaient à la fois des pratiques d’entente et d’abus de position dominante.
S’agissant de l’entente, le Conseil de la concurrence a estimé que les comportements reprochés à la collectivité territoriale de Corse et à l’OTC - qui auraient cherché, au moyen d’une entente anticoncurrentielle avec la SNCM, à favoriser cette dernière en élaborant un règlement d’appel d’offres conçu "sur mesure" pour elle et en examinant les autres offres de manière discriminatoire, voire en les "boycottant" - ne sont pas détachables des actes de puissance publique - règlement de l’appel d’offres et procédure de choix du délégataire - dont la légalité ne peut être appréciée que par le juge administratif.
Ce dernier est d’ailleurs saisi et le Conseil d’Etat doit examiner le 15 décembre le pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia.
S’agissant en revanche des pratiques d’abus de position dominante reprochées à la SNCM, le Conseil de la concurrence a estimé qu’elles étaient détachables et qu’il était donc compétent pour les examiner.
Le Conseil considère que le dépôt par la SNCM d’une offre globale et indivisible dans le cadre de l’appel d’offres lancé par la collectivité territoriale de Corse est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels en évinçant abusivement les offres partielles concurrentes
Le dépôt d’une offre globale, qu’il soit autorisé - voire encouragé - ou non par l’entreprise ou la collectivité organisant la compétition, ne peut être considéré comme étant, par nature, abusif dès lors qu’il émane d’une entreprise en position dominante. En effet, l’existence d’une position dominante ne doit pas priver l’opérateur qui la détient de la possibilité de faire examiner son offre sur ses mérites propres.
Cependant, dans la présente espèce, le Conseil a estimé que la SNCM - qui, à ce stade de l’instruction, peut être considérée comme étant en position dominante sur les marchés du transport du fret et des passagers sur les liaisons entre Marseille et la Corse - est susceptible d’avoir abusé de sa position dominante.
En effet, l’effet d’éviction de l’offre présentée par la SNCM est incontestable dans la mesure où :
- d’une part, le recours - au moins partiel - au service de cette société est incontournable pour la collectivité, faute pour les autres concurrents de pouvoir formuler des offres portant sur l’ensemble des lignes,
- d’autre part, le refus de la SNCM de s’engager de manière ferme sur le montant de la subvention demandé ligne par ligne interdit à l’office la possibilité même de comparer les résultats de la compétition.
Ces deux facteurs combinés risquent de ne laisser à la collectivité aucun autre choix possible que la SNCM pour assurer le service public délégué, sauf à ne pas couvrir la totalité de ce service.
Dans ce contexte, la signature d’un contrat de délégation de service public risque de créer un préjudice immédiat pour les intérêts des consommateurs ainsi que pour l’économie du secteur
L’actuel contrat de délégation de service public de continuité territoriale arrive à échéance le 31 décembre 2006 et la signature du contrat de renouvellement est imminente.
Le fait d’attribuer pour six ans une délégation de service public à l’issue d’une mise en concurrence faussée qui ne permettrait pas de garantir à la collectivité délégante et, à travers elle, aux contribuables corses, payeurs en dernier ressort de la subvention, un choix économique éclairé, constitue une atteinte grave et immédiate, du fait du caractère difficilement réversible du contrat de délégation qui pourrait être signé et qui ferait obstacle à l’effet utile de l’ouverture de cette délégation à la concurrence.
C’est pourquoi, afin de garantir les conditions d’une mise en concurrence effective dans les délais impartis par le calendrier de l’appel d’offres en cours, le Conseil de la concurrence a prononcé des mesures d’urgence à l’encontre de la SNCM
Le Conseil de la concurrence a enjoint à la SNCM :
- « dans les quarante-huit heures suivant la notification de la décision :
- en premier lieu, d’indiquer à l’office des transports de Corse le montant ferme de la subvention sur lequel elle s’engage ligne par ligne dans l’offre qu’elle a déposée ;
- en deuxième lieu, de faire droit, dans les mêmes quarante-huit heures, à toute demande de l’office permettant à ce dernier d’évaluer le montant demandé, de manière ferme, pour les offres groupées qu’il souhaiterait étudier
- en troisième lieu, de préciser explicitement à l’office qu’elle ne s’oppose ni à un examen par ce dernier, dans des conditions assurant le respect effectif de l’égalité de traitement entre les différentes candidatures, de son offre ligne par ligne ou regroupée, selon les critères auxquels entend recourir l’office, ni - au terme de cet examen - à la possibilité d’une attribution partielle de la délégation ».
- « de s’abstenir de signer tout projet de contrat qui lui serait proposé pour une nouvelle délégation de service public relative à la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille tant qu’elle n’aura pas justifié, par une lettre adressée au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, avoir exécuté l’injonction prononcée […]ci dessus ».