Saisie par le gouvernement, l’Autorité de la concurrence rend un avis défavorable sur le projet d’arrêté relatif aux "bonnes pratiques" de dispensation des médicaments par voie électronique


A la suite d’informations parues dans plusieurs titres de presse, qui se sont fait l’écho de déclarations de syndicats de pharmaciens à propos de l’avis rendu le 10 avril par l’Autorité de la concurrence, celle-ci publie aujourd’hui, dans un souci de transparence, cet avis rendu au gouvernement concernant un projet d’arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, pris en application de l’article L.5121-5 du code de la santé publique (modifié par l’ordonnance du 19 décembre 2012), qui prévoit notamment que « la dispensation, y compris par voie électronique, des médicaments doit être réalisée en conformité avec des bonnes pratiques dont les principes sont définis par arrêté du ministre chargé de la santé ».

Dans l’ensemble, l’Autorité rend un avis défavorable sur le projet d’arrêté, dans la mesure où  il contient un ensemble important d’interdictions et de restrictions – et notamment des dispositions particulièrement restrictives de concurrence –,  non justifiées par des considérations de santé publique, qui visent à limiter le développement de la vente en ligne de médicaments par les pharmaciens français, voire même à dissuader ces derniers d’utiliser ce canal de vente. En outre, certaines de ces mesures rendent la vente en ligne particulièrement peu attractive pour le patient.

Il serait regrettable de marginaliser les officines françaises en les privant d’opportunités nouvelles de développement, alors que leurs concurrentes établies dans d’autres Etats membres en bénéficieraient, y compris en servant la demande française.

Dans le présent avis, l’Autorité émet plusieurs recommandations afin d’améliorer le texte, dont certaines déjà formulées dans son Avis n°12-A-23 du 13 décembre 2012 (voir encadré ci-dessous : le contexte législatif et réglementaire).

Le périmètre de la vente en ligne devrait être élargi à l’ensemble des médicaments non soumis à prescription médicale

L’Autorité réitère sa préconisation1 que la vente en ligne ne soit pas limitée aux seuls médicaments que le pharmacien est autorisé à présenter en accès direct au public (dits de médication officinale), mais soit élargie à l’ensemble des médicaments non soumis à prescription médicale2, y compris ceux situés derrière le comptoir du pharmacien (exemples : aspirine, paracétamol, antitussif).

Cette limitation réglementaire introduirait une restriction supplémentaire par rapport au droit européen, qui ne fait qu’une seule distinction : les médicaments soumis à prescription, et ceux qui ne le sont pas.

Les pharmaciens devraient pouvoir proposer médicaments et produits de parapharmacie sur un même site Internet

En interdisant la création de sites Internet proposant à la fois des médicaments non soumis à prescription et des produits cosmétiques et d’hygiène (appelés aussi produits de « parapharmacie »), le projet d’arrêté limiterait significativement l’attractivité des sites mis en place par les pharmaciens français pour leurs clients. Ces derniers ne pourraient pas commander, sur un même site, les produits qu’ils trouvent par ailleurs réunis au même endroit dans une officine de pharmacie.

Cette restriction apparaît d’autant moins justifiée que les sites des pharmaciens des autres Etats membres s’adressant à des clients français ne seront pas soumis à cette exigence de séparation, et pourront donc offrir une large gamme de produits, plus attractive que celle des pharmaciens français. D’ores et déjà, des sites de pharmaciens belges proposent, sur un même site Internet, des médicaments et de la parapharmacie, qu’il est possible de se faire livrer en France.

L’exigence de séparation mettrait donc les pharmaciens français dans une position plus défavorable que leurs concurrents européens.

Un alignement obligatoire des prix de vente sur Internet avec ceux pratiqués en officine serait contraire à la liberté des opérateurs de déterminer leur stratégie commerciale

Alors que le prix de la plupart des médicaments non soumis à prescription ne fait l’objet d’aucune réglementation, le projet d’arrêté limiterait fortement la liberté tarifaire des pharmaciens d’officine en leur imposant de pratiquer les mêmes prix sur Internet et dans leur officine, et en rendant obligatoire une facturation au client des frais de transport « au prix réel ». Cette dernière conduirait à augmenter le prix du médicament acheté sur internet puis livré, et ce au détriment du consommateur.

L’Autorité rappelle que l’exercice libre et entier de la concurrence suppose que chaque opérateur détermine de manière indépendante sa propre stratégie commerciale et décide s’il convient de proposer des prix uniformes en ligne et en officine, ou bien au contraire si une politique de différenciation tarifaire apparaît plus profitable. 

De plus, la vente sur Internet est un vecteur de la concurrence par le prix, qui doit bénéficier au pouvoir d’achat du consommateur ou du patient, tout en permettant aux pharmaciens de développer leurs ventes. L’Autorité propose donc la suppression de ces dispositions envisagées dans le projet d’arrêté qui, trop contraignantes, freineraient une activité qui ne fait qu’émerger.

D’autres restrictions réglementaires devraient également être levées

L’organisation logistique constituant un élément déterminant d’une activité de vente en ligne, l’Autorité recommande que les pharmaciens aient la possibilité de mettre en place des locaux spécifiques leur permettant de traiter efficacement les commandes de produits passées sur Internet. L’obligation d’utiliser les mêmes locaux de stockage pour les médicaments délivrés en officine et pour ceux vendus sur Internet constituerait un obstacle artificiel de nature à limiter le développement de la vente en ligne.

Bien qu’étant, pour l’essentiel, justifiées par des considérations de santé publique, les règles relatives au questionnaire de santé peuvent sembler excessivement contraignantes. En effet, dès lors qu’un patient s’est déjà enregistré sur un site de vente en ligne de médicaments, et a déjà rempli une première fois un questionnaire de santé, l’obligation qui lui est faite de remplir ce questionnaire à chaque nouvelle commande apparaît particulièrement fastidieuse et de nature à détourner les clients des sites français de vente de médicaments.

Une discrimination à rebours au détriment des officines françaises

Le projet d’arrêté contenant un ensemble de dispositions particulièrement restrictives, dont  l’accumulation conduit à créer un cadre extrêmement contraignant et limitatif, il aurait pour conséquence – s’il était adopté en l’état – de brider toute initiative commerciale en termes de prix, de gammes de produits et de services nouveaux et de priver le patient-consommateur des avantages liés à la dématérialisation des ventes.

Les opérateurs installés dans les autres pays de l’Union européenne n’étant bien entendu pas soumis aux bonnes pratiques établies par le ministère français des affaires sociales et de la santé, l’ensemble des restrictions du projet d’arrêté qui ne sont pas justifiées par des considérations de santé publique conduiraient par conséquent à favoriser le développement, sur le marché français, de sites localisés dans d’autres Etats membres (ces derniers étant en capacité de proposer des offres plus attractives en prix, en gamme et en services) et à marginaliser les sites Internet gérés par les pharmaciens français.

Or, le développement futur de l’activité de vente en ligne doit permettre aux pharmaciens français de saisir de nouvelles opportunités, d’augmenter leur chiffre d’affaires et de faire émerger de nouveaux modes de commercialisation.

Enfin, une réglementation excessive de l’activité de vente en ligne de médicaments pourrait avoir pour effet de placer la France en situation de manquement à ses obligations au regard du droit de l’Union européenne (voir § 108-110 de l’avis).
 


Le contexte législatif et réglementaire : la transposition d’une directive européenne qui autorise dans toute l’Union la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription médicale
 
L’ordonnance du 19 décembre 2012 (qui modifie l’article L.5121-5 du code de la santé publique) et le décret du 31 décembre 20123 ont transposé dans le code de la santé publique français les dispositions de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011. Cette directive vise à renforcer le contrôle de la totalité de la chaîne d’approvisionnement, afin d’éviter les détournements. Elle a également pour objectif d’harmoniser les régimes nationaux relatifs à l’offre en ligne de médicaments non soumis à prescription.

La directive, qui devait être transposée au plus tard le 2 janvier 2013, impose aux Etats membres de permettre la vente à distance de médicaments au public au moyen de services électroniques (c’est-à-dire par Internet). Les Etats membres peuvent toutefois interdire la vente à distance de médicaments soumis à prescription. La vente en ligne de médicaments non soumis à prescription doit par conséquent être autorisée dans tous les Etats membres.

La plupart des Etats membres de l’Union européenne ont déjà autorisé la vente en ligne de médicaments. Par exemple, en Allemagne, au Danemark, en Finlande, en Suède, au Pays-Bas et au Royaume-Uni, tous les médicaments peuvent être vendus en ligne, qu’il soient ou non soumis à prescription (et y compris par des pure players dans ces deux derniers pays, c’est-à-dire par des sites Internet non adossés à une pharmacie). Dans d’autres pays (comme par exemple la Belgique, la Grèce, l’Irlande, la Pologne ou le Portugal), seule la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription est autorisée.

Certains sites Internet établis hors de France ont d’ores et déjà mis en place une activité de vente en ligne de médicaments à destination des résidents français.
 


(1) préconisation formulée dans l’Avis n° 12-A-23 du 13 décembre 2012, mais jusqu’alors non suivie par le ministre de la santé dans l’article L. 5125-34 nouveau du code de la santé publique
(2) tout en laissant la possibilité aux autorités sanitaires d’interdire la vente en ligne de certains médicaments précisément désignés, pour des raisons objectives de santé publique
(3) L’Autorité a rendu au gouvernement un avis sur ces deux textes, avant leur adoption : l’Avis n°12-A-23 du 13 décembre 2012 relatif à un projet d’ordonnance et un projet de décret transposant la directive n° 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive n° 2011/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.


 

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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