Distribution, carburants, transport maritime, gestion des déchets : l’Autorité rend son avis sur la situation concurrentielle en Corse

Corse

À l’issue d’une instruction de plusieurs mois, l’Autorité rend aujourd’hui son avis sur la situation concurrentielle prévalant sur l’île.

L’Autorité a dressé un diagnostic approfondi de la concentration économique dans quatre secteurs : la desserte maritime de la Corse, la distribution de carburants, la distribution alimentaire en grandes et moyennes surfaces et la gestion des déchets.

L’Autorité émet cinq séries de recommandations destinées à animer la concurrence et lutter contre la vie chère.

L’essentiel

Monsieur Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance a saisi l’Autorité de la concurrence, en février 2019, d’une demande d’avis portant sur la situation concurrentielle de la Corse. Il l’invitait notamment à analyser le niveau de concentration de l’économie corse et son impact sur la concurrence locale, et à formuler des recommandations pour améliorer le fonctionnement concurrentiel des marchés dans l’île.

L’Autorité a centré ses travaux sur quatre secteurs particulièrement importants sur le plan concurrentiel, et au cœur des problématiques de pouvoir d’achat en Corse : le transport maritime, la distribution de carburants, les grandes et moyennes surfaces alimentaires et la gestion des déchets.

L’Autorité a mené une instruction approfondie pendant 18 mois en interrogeant l’ensemble des acteurs économiques, politiques, institutionnels, syndicaux. Elle s’est rendue à deux reprises sur l’île, et y a tenu, pour la première fois, une séance du collège délocalisée à Bastia, comportant 2 journées d’auditions. L’Autorité a intégré dans son analyse des focus particuliers visant à apprécier l’impact de la crise du Covid-19 sur les différents secteurs étudiés.

Au terme de ses travaux, l’Autorité formule un vaste ensemble de recommandations aux pouvoirs publics afin de dynamiser l’animation concurrentielle sur l’île, au bénéfice des consommateurs corses. Ces recommandations comprennent des propositions structurelles, visant à donner des moyens d’investigation supplémentaires à l’Autorité de la concurrence et des propositions ciblées notamment en matière de desserte maritime et de desserte du territoire en carburants.

1 - Les constats transversaux de l’Autorité sur le degré de concentration du tissu économique corse et ses recommandations pour en améliorer la régulation concurrentielle

Après avoir examiné plusieurs secteurs, notamment la distribution des carburants, la distribution alimentaire et la gestion des déchets, l’Autorité a la conviction que de nouveaux outils juridiques permettraient de répondre, plus efficacement qu’aujourd’hui, aux préoccupations de concurrence résultant d’un niveau de concentration des marchés structurellement élevé dans certaines parties du territoire métropolitain, notamment en Corse.

Des pans entiers de l’économie sont en effet confrontés à un déficit de concurrence, en raison de caractéristiques géographiques et économiques propres à ces territoires. Ces spécificités territoriales peuvent par exemple tenir à des contraintes logistiques liées à l’insularité ou à la présence de massifs montagneux ou encore à des contraintes résultant de la prépondérance des activités touristiques dans l’économie locale.

Lorsqu’un tel territoire est confronté à ce type de difficultés, l’Autorité recommande aux pouvoirs publics d’adopter des dispositifs innovants permettant de conduire une politique de concurrence adaptée à ces spécificités.

Afin de prévenir la constitution d’une concentration excessive de certains secteurs par le jeu de fusions-acquisitions non contrôlées, il apparaîtrait utile de doter l’Autorité du pouvoir d’examiner, de façon ciblée, certaines opérations de concentration économique sous les seuils. En effet, bien que n’atteignant pas les seuils de contrôlabilité fixés en chiffre d’affaires, certaines opérations qui conduisent à constituer ou à consolider des positions dominantes n’en sont pas moins « structurantes » pour l’économie locale, et peuvent avoir des effets durables sur la dynamique concurrentielle.

Par ailleurs, lorsque des secteurs sont durablement très concentrés et qu’il en découle des troubles avérés pour les entreprises et les consommateurs, un outil d’intervention structurelle serait utile. Il permettrait à l’Autorité d’ordonner le prononcé de mesures correctrices structurelles ou comportementales.

Enfin, à titre complémentaire dans le cas où aucun de ces mécanismes ne permettrait de rétablir un fonctionnement concurrentiel normal, des outils de régulation sectorielle, tels qu’un encadrement des prix de gros et des conditions d’accès à certaines « infrastructures essentielles », pourraient être envisagés afin de limiter les effets de ce déficit de concurrence.

Recommandations en faveur d’une réforme des outils de la politique de concurrence

L’Autorité estime que de nouveaux instruments juridiques permettraient de répondre plus efficacement aux préoccupations de concurrence identifiées en Corse. Ces outils concerneraient les  territoires métropolitains souffrant d’un déficit structurel de concurrence en raison de spécificités géographiques et économiques (liées par exemple à l’insularité ou à la présence de massifs montagneux ou à la prépondérance des activités touristiques dans l’économie locale). Pour prévenir efficacement la concentration excessive des marchés dans ces mêmes territoires, le champ du contrôle des concentrations économiques serait élargi pour permettre l’examen, de façon ciblée, de fusions-acquisitions qui sont susceptibles de renforcer des monopoles, des oligopoles ou des conglomérats au niveau local.  

1° Sous réserve de la constitutionnalité de telles mesures de différenciation territoriale – question qu’il n’appartient pas à l’Autorité de la concurrence de trancher – l’Autorité recommande ainsi aux pouvoirs publics :

  1. de prévoir que l’Autorité puisse imposer dans ces territoires des mesures correctrices en cas de préoccupations substantielles de concurrence, et ce même en l’absence de position dominante (selon un dispositif inspiré des « nouveaux outils de concurrence » que la Commission européenne a proposés au niveau de l’Union européenne), et à défaut, qu’elle puisse prononcer des injonctions structurelles en cas d’existence d’une position dominante (selon un dispositif inspiré de celui prévu à l’article L. 752-27 du code de commerce pour les collectivités d’outre-mer) ;
     
  2. de permettre au Gouvernement d’adopter, par décret en Conseil d’État après avis public de l’Autorité de la concurrence, les mesures nécessaires lorsque des marchés de gros de biens et de services présentent des dysfonctionnements, notamment en matière d’approvisionnement, de transport, de stockage ou de distribution. Ce dispositif s’inspirerait de celui prévu à l’article L. 410‑3 du code de commerce pour les collectivités d’outre-mer. Les mesures ainsi décrétées pourraient porter, comme le prévoit aujourd’hui l’article L. 410-3 pour les collectivités d’outre-mer sur l’accès à ces marchés, l’absence de discrimination tarifaire, la loyauté des transactions, la marge des opérateurs et la gestion des facilités essentielles, en tenant compte de la protection des intérêts des consommateurs ;

2° L’Autorité recommande, par ailleurs, au Gouvernement d’envisager, si aucun des mécanismes précédents ne parvient à rétablir un fonctionnement concurrentiel normal dans ces territoires, de réglementer les prix « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement » par décret en Conseil d’État après consultation de l’Autorité de la concurrence. Cette réglementation des prix serait décidée, le cas échéant, en application du dispositif prévu à l’article L. 410‑2 du code de commerce.

3° L’Autorité recommande enfin au législateur de la doter du pouvoir de se saisir d’office de l’examen d’opérations de concentrations économiques (fusions/acquisitions) qui, tout en restant en-deçà des seuils actuels de contrôlabilité fixés en chiffres d’affaires, apparaîtraient de nature à susciter des préoccupations substantielles de concurrence. Ce complément au système actuel de contrôle de concentrations économiques lui permettrait d’examiner de façon ciblée, les opérations ayant un fort impact sur un territoire tel que la Corse, notamment lorsqu’elles conduisent à la constitution de positions dominantes ou à la prise de contrôle d’infrastructures essentielles.

2 - Les constats et les recommandations de l’Autorité dans chacun des secteurs économiques étudiés

 

Transport maritime : donner compétence à l’Autorité de régulation des transports pour qu’elle puisse évaluer le besoin de service public et définir les modalités d’organisation de la desserte de la Corse

 

Depuis les années 1970, le service public de transport maritime assurant la liaison entre la Corse et le continent est organisé en application du principe de « continuité territoriale », qui vise notamment à compenser l’insularité et à assurer la desserte de l’île selon des modalités et tarifs aussi proches que possible de celles des liaisons purement continentales.

La desserte maritime de la Corse est caractérisée par un niveau d’intervention publique élevé, faisant coexister des opérateurs en concurrence soumis à un régime d’obligations de service public (applicables à tout opérateur souhaitant desservir la Corse depuis la France continentale) et des opérateurs sous contrats de délégation de service public, qui opèrent actuellement plusieurs liaisons entre Marseille et la Corse. Ce secteur est soumis à un ensemble de règles européennes et nationales contraignantes (marché intérieur, aides d’État, commande publique, concurrence), qui imposent notamment que soit  démontré un « besoin de service public » résultant d’une carence de l’initiative privée, préalablement à toute intervention publique. Le cadre applicable dans ce domaine est celui dit du « test SNCM » résultant de la jurisprudence du Tribunal de l’Union1 ; celui-ci impose notamment la réalisation d’évaluations du besoin de service public avant que la collectivité publique puisse mettre en place une délégation de service public. Or, en dépit des améliorations intervenues depuis l’époque de la SNCM, la délimitation du périmètre et du niveau d’intervention de l’autorité organisatrice des transports fait toujours l’objet de fortes attentes méthodologiques de la part de la Commission européenne. Cette dernière est en effet très vigilante sur le financement public de services économiques d’intérêt général (SIEG) dans l’Union européenne, dans le cadre de sa mission de contrôle des aides d’Etat.
 

  • Un niveau d’intervention publique qui doit être strictement proportionné

Actuellement, la Collectivité de Corse justifie la conclusion de contrats de délégation de service public (DSP) sur la base d’études réalisées en 2018 et 2019 qui identifient un besoin de service public quantitatif pour le transport de marchandises et de diverses catégories de passagers (malades, étudiants et convoyeurs de remorques) pour tous les ports corses. Pour les ports de Propriano et de Porto-Vecchio, ces études identifient un besoin similaire pour le transport de tous les passagers. En outre, sur toutes les liaisons, est identifié un besoin de service public qualitatif (en termes de fréquence et de tarif des liaisons), ce qui justifierait, en parallèle, le maintien d’un régime d’obligations de service public (OSP), tant pour les marchandises que pour les passagers.

Ces études présentent toutefois certaines faiblesses méthodologiques : le nombre de participants aux consultations et les tests de marché menés par la Collectivité de Corse se limitent systématiquement à trois opérateurs déjà présents sur le marché ; l’évaluation des besoins quantitatifs en matière de transport de passagers depuis les ports de Propriano et Porto-Vecchio ou, depuis les autres ports pour les malades, étudiants et convoyeurs de remorques, mériterait d’être étayée sur la base de données économiques ; la question de la substituabilité de Marseille avec d’autres ports continentaux (Toulon par exemple) mériterait d’être approfondie ; les différents types de marchandises et de passagers transportés ne sont pas distingués ; il n’est pas tenu  compte de la concurrence de l’offre aérienne. Ces différents éléments justifieraient que les études préalables soient complétées, afin d’éclairer au mieux les décisions des pouvoirs publics.

 

  • Des rigidités observées dans le fonctionnement des DSP et OSP

La question d’un assouplissement des DSP, quant aux horaires et fréquences de rotations, à l’interdiction des escales intermédiaires mais aussi au type de navires utilisés, pourrait, par ailleurs, être posée, afin d’optimiser l’organisation de la desserte maritime de la Corse.

En effet, certaines rigidités pourraient restreindre inutilement l’accès au marché de la desserte maritime à d’autres concurrents. Par exemple, la DSP limite le recours à des navires « Ro-Ro » (essentiellement dédiés aux marchandises) pour les liaisons Marseille/Corse, alors que le port de Marseille dispose d’infrastructures adaptées à ce type de fret. Les navires de type « Ro-Ro » n’étant pas soumis aux mêmes contraintes d’équipement, de sécurité, d’assurance et de personnels que les navires transportant des passagers à leur bord, ils s’avèrent moins coûteux pour le transport de marchandises (coûts en moyenne 50 % moins élevés), ce qui pourrait permettre de dégager des économies sur les subventions publiques et de baisser le coût du transport de marchandises.

Recommandations sur la desserte maritime de passagers et de marchandises entre la Corse et le continent

L’équilibre entre la nécessité de garantir le service public de transport maritime Corse-continent et le respect des règles de la concurrence et du marché intérieur de l’Union européenne suppose un encadrement minutieux de l’organisation de la desserte maritime. Les expertises techniques préalables revêtent une importance primordiale, afin que les interventions publiques dans ce secteur demeurent nécessaires et proportionnées aux défaillances de marchés identifiées.

En vue de sécuriser ce service public, renforcer l’émulation concurrentielle dans ce secteur et rendre aux usagers du transport maritime entre la Corse et la France continentale un service public de qualité, à coût maîtrisé pour l’usager comme le contribuable, l’Autorité recommande, tout d’abord,  de confier par la loi à l’Autorité de régulation des transports (ART) une nouvelle mission consultative. Celle-ci porterait sur l’évaluation du besoin de service public de transport maritime réalisée par la Collectivité de Corse, la proportionnalité au besoin des modalités d’organisation de ce service public proposées et les modalités d’exécution envisagées, par la Collectivité de Corse.

Dans le respect du principe d’autonomie des collectivités territoriales, la Collectivité de Corse ne serait pas liée par cet avis simple, mais pourrait s’appuyer sur des évaluations préalables du besoin de service public réalisées en toute indépendance par cette autorité de régulation sectorielle, qui dispose d’une expertise en matière de transports et de tarification. Présentant un haut niveau de qualité,  ces expertises préalables constitueraient enfin un atout pour assurer la pleine compatibilité du dispositif avec les règles de l’Union européenne, dont la Commission européenne a pour mission d’assurer le respect.

L’Autorité recommande, d’autre part, à l’autorité organisatrice des transports maritimes entre la Corse et la France continentale, qui ne serait pas liée par l’avis de l’ART, de réexaminer à l’aune de cette l’expertise, le bienfondé des certaines exigences imposées dans le cadre des contrats de DSP et des OSP actuels (choix des navires et contraintes en matière d’horaires des dessertes notamment).

Distribution des carburants : mieux réguler le monopole du stockage et de l’approvisionnement des carburants en Corse

 

Malgré un taux de TVA réduit à 13 %, contre 20 % sur le continent, le différentiel de prix des carburants entre la Corse et le continent est important, de l’ordre de + 6,7 % pour le gazole et + 5,3 % pour le SP95 (données INSEE 2015). Ce différentiel affecte lourdement le budget des ménages corses, qui sont très dépendants de la voiture pour leurs déplacements.

  • Des raisons structurelles expliquent pour partie le surcoût  des carburants

L’insularité, la topographie et la saisonnalité de la demande expliquent, pour partie, ces prix plus élevés. En effet, la Corse est approvisionnée en carburants uniquement par voie maritime, ce qui renchérit le coût de l’acheminement par rapport aux autres régions métropolitaines. Une fois sur l’île, le transport de carburant jusqu’aux stations-services est également plus coûteux, en raison de la topographie des lieux, les reliefs montagneux allongeant les temps de trajet. Par ailleurs, les travaux de l’Autorité ont mis en lumière le rôle que jouaient les capacités de stockage des dépôts pétroliers de la Corse sur la formation des prix des carburants. En effet, ces capacités, qui seraient suffisantes pour les seuls besoins de la population résidente hors saison, sont trop limitées en été pour répondre à la demande touristique. Les deux seuls dépôts, situés à Ajaccio et Bastia (30 000 m3 au total), sont par voie de conséquence gérés « à flux tendus » pendant la période estivale, ce qui entraîne des risques de rupture de stock ou de contingentement, mais peut aussi être à l’origine de surcoûts significatifs.

  • Des risques liés aux conditions d’accès aux infrastructures de stockage

Au-delà de ces facteurs structurels tenant à la géographie de l’île, et aux infrastructures disponibles, l’Autorité relève que les deux seuls dépôts assurant le stockage des carburants sur l’île sont contrôlés par un unique acteur : le groupe Rubis, par l’intermédiaire la société Dépôts pétroliers de la Corse (DPLC). Ce monopole s’est constitué à la suite d’une montée progressive du groupe Rubis dans le capital de DPLC, entre 2010 et 2017. Cette prise de contrôle peut être regardée comme portant sur une infrastructure essentielle2, compte tenu du caractère incontournable des dépôts pour tous les acteurs de la distribution et de la vente de carburants sur l’île. Une autre filiale de ce groupe assurant, parallèlement, la coordination des approvisionnements des carburants distribués en Corse, ces dépôts sont dès lors un point de passage obligatoire à toute activité de distribution de carburants à la pompe en Corse.

À l’aval, la vente de carburants en réseau de stations-services est réalisée à travers trois opérateurs pétroliers que sont Rubis (Vito Corse), Total Corse (Total) et Ferrandi (Esso) : chacune des 133 stations-services de l’île est rattachée à l’un d’entre eux.

La configuration oligopolistique du secteur de la distribution des carburants ne semble pas pouvoir être contestée par l’entrée d’enseignes à bas coûts ou de la grande distribution. Ces modèles de distribution de carburants à plus bas prix ne sont en effet, pas favorisés par les pouvoirs publics locaux, qui privilégient le maintien du maillage territorial des stations-services de l’île, dont certaines constituent parfois le seul commerce de proximité dans certaines zones de montagne. Ce contexte ne favorise pas l’entrée de nouveaux acteurs sur le territoire corse.

Recommandations sur le marché de la distribution des carburants en Corse

Des contraintes structurelles particulières affectent l’organisation des marchés de la distribution des carburants en Corse.Elles tiennent, notamment, au caractère indispensable de l’accès aux dépôts pétroliers pour tout opérateur, actuel ou potentiel, souhaitant alimenter un réseau de distribution au détail de carburants (stations-services) dans l’île.

Hormis l’obligation de contribuer à la constitution de stocks stratégiques, le cadre juridique actuel ne permet pas aux pouvoirs publics d’intervenir efficacement dans les décisions stratégiques des sociétés gestionnaires d’infrastructures de stockage, même lorsque celles-ci ont un caractère d’« infrastructure essentielle ».

Dès lors, l’Autorité recommande au Gouvernement :

1° d’édicter un nouveau cadre juridique applicable aux gestionnaires d’infrastructures de stockage ayant un caractère d’« infrastructure essentielle » afin de garantir de façon plus efficace la sécurité des approvisionnements et d’éviter, en outre, qu’un sous-dimensionnement des capacités n’induise des situations de contingentement ou de pénurie trop fréquentes qui ont des répercussions négatives sur les acteurs de la distribution de carburants et, in fine, sur les consommateurs corses ;

2° d’examiner l’opportunité de mettre en œuvre sur les marchés de la distribution des carburants en Corse, dès lors que le cadre législatif et règlementaire le permettrait, des mesures structurelles permettant de corriger les dysfonctionnements constatés. A cet égard, les recommandations formulées par l’Autorité, pour compléter les outils de la politique de concurrence, pourraient trouver tout particulièrement application en matière de stockage et distribution de carburants.

Grande distribution à dominante alimentaire : réformer le seuil de revente à perte pour mieux tenir compte des spécificités de la Corse
 

La Corse est l’une des régions de France où le revenu médian par habitant est le plus faible : il était de 1 669 euros par mois en 2017, soit un niveau inférieur de près de 5,1 % à la moyenne nationale (1 759 euros par mois).

Des mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour remédier à cette situation, telles que l’instauration depuis 1986 d’une TVA à 2,1 % sur l’alimentation humaine, contre 5,5 % ou 20 % sur le continent, en fonction des familles de produits. En 2019, une initiative portant sur un panier de 230 produits à bas prix a été mise en place par la Collectivité de Corse et les enseignes de la grande distribution.

Toutefois, il faut constater que l’application d’une TVA à taux réduit en Corse, si elle visait à lutter contre la vie chère en Corse, ne s’est que très peu traduite dans le prix final payé par le consommateur, suggérant une captation de la baisse de TVA dans la marge commerciale de certaines entreprises. En effet, plusieurs études économiques s’accordent sur le fait que les prix à la consommation des produits alimentaires dans les grandes et moyennes surfaces sont, globalement, toujours plus élevés en Corse que sur le continent.

Les prix plus élevés constatés, en moyenne, dans la grande distribution en Corse résultent en partie, comme pour les carburants, des contraintes liées à l’insularité et à la saisonnalité. En effet, le recours obligé au transport maritime allonge la chaîne logistique depuis les centrales d’achat du sud de la France. Les capacités de stockage limitées des magasins corses nécessitent, en outre, des livraisons de marchandises plus fréquentes que sur le continent. Elles ne leur permettent pas de bénéficier de mêmes remises que sur le continent. Enfin, la saisonnalité de l’activité, avec une forte concentration de l’activité touristique sur la période estivale, oblige les grandes et moyennes surfaces (GMS) corses à dimensionner les surfaces de vente et les emplois au pic de demande estival et induit des surcoûts spécifiques (immobilier, personnels). La densité commerciale des GMS à dominante alimentaire est, par ailleurs, plus importante en Corse que sur le continent (en 2018, 3 959 m2 pour 10 000 habitants en Corse contre 2 885 m² sur le continent, soit 37,2 % de plus).  

En dépit de ce taux de présence élevé des GMS et même si certaines zones ont connu ces dernières années, en périphérie d’Ajaccio notamment, un regain de concurrence lié à l’implantation de surfaces de vente importantes, l’Autorité note que certains bassins de vie sont marqués par un degré de concentration élevé. C’est par exemple le cas à Grossetto-Prugna et Corte, ce qui peut contribuer, dans ces zones, à la cherté des produits. Il n’est pas rare, dans ces bassins, qu’un opérateur possède plus de 60 % des parts de marché en surface de vente. Ce manque d’animation concurrentielle et d’alternatives pour les consommateurs est un facteur de renchérissement des prix dans les zones concernées.

Enfin, certaines règlementations nationales et locales sont difficilement compatibles avec l’objectif de lutte contre la vie chère. D’une part, dans une région où toutes les denrées sont acheminées par la mer, le dispositif d’interdiction de la revente à perte, qui intègre les coût des transports dans la définition du seuil de revente à perte (SRP), et surtout l’expérimentation d’un relèvement de 10 % de ce même SRP et l’encadrement des promotions prévue par la loi Egalim, pénalisent les consommateurs corses, sans que la marge commerciale dégagée par ce dispositif soit nécessairement transférée aux fournisseurs, notamment aux agriculteurs. D’autre part, l’installation de nouveaux hypermarchés et supermarchés se heurte aujourd’hui à des politiques locales strictes visant à protéger le commerce de proximité. Or, une atténuation de la concurrence défavorable aux intérêts des consommateurs, résultant des niveaux de concentration actuellement constatés, place les décideurs politiques face à la nécessité de concilier des objectifs locaux en matière d’urbanisme et la volonté, également revendiquée, de permettre aux consommateurs corses de bénéficier de prix moins élevés.

Recommandations dans le secteur des grandes et moyennes surfaces à dominante alimentaire


En raison de son insularité, la part que représentent les coûts de transport dans le prix d’achat effectif des commerçants est plus importante en Corse qu’ailleurs en métropole. Par ailleurs, l’application à titre expérimental d’un coefficient correcteur de 1,10 à ces coûts, pour prendre en compte le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte, tend à accroître, au détriment des consommateurs corses, les effets inflationnistes de l’interdiction de la revente à perte prévue par l’article L. 442-5 du code de commerce.

Dans ces conditions, l’Autorité recommande au législateur de prévoir pour la Corse une dérogation à l’interdiction de la revente à perte (article L. 442-5 du code de commerce) et à tout le moins, de prévoir une dérogation spécifique au dispositif du relèvement de 10 % de seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions prévue par la loi Egalim de 2018. Une telle exception législative pourrait s’inspirer de la dérogation déjà prévue par l’article 6 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 pour l’outre-mer, pour des raisons similaires, tenant à la cherté de la vie dans les territoires concernés et aux contraintes liées à l’éloignement.

Gestion des déchets ménagers : trouver rapidement une solution pérenne d’enfouissement ou de valorisation des déchets sur l’île

 

La Corse produit plus de déchets ménagers, si on les rapporte au nombre d’habitants, que la moyenne nationale : 740 kg/habitant, contre 580 kg pour la France entière en 2018. De plus, cette production de déchets est hétérogène dans l’espace et dans le temps :

  • d’une part, la densité démographique est extrêmement variée sur l’île : faible en moyenne (38 habitants par km2 contre 106 en France entière), elle peut atteindre plus de 2 300 habitants par km2 à Bastia. À la concentration des habitants s’ajoute celle des touristes sur le littoral, ce qui a une incidence certaine sur la répartition géographique des déchets produits.
  • d’autre part, l’affluence touristique engendre une augmentation sensible de la quantité de déchets produits en période estivale.

Il en résulte une situation doublement complexe. Dans les zones rurales et reculées, la faiblesse du gisement des déchets en volume ne favorise pas l’installation d’infrastructures de gestion de déchets, jugées peu rentables. Et dans le même temps, l’insularité génère une tension foncière qui rend difficile l’installation de nouveaux centres de collecte et de traitement de déchets dans les zones très productrices de déchets, qui sont par ailleurs densément peuplées.

Cette situation génère un surcoût important. Ainsi, la charge à financer par les collectivités publiques pour le service public des déchets, ou coût aidé3, dépasse largement la moyenne nationale : 243 € HT, contre 93 € HT par habitant en moyenne en France. Ce surcoût de + 161 % est en partie supporté par le contribuable local, par le biais de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), dont les taux communaux moyens sont, en Corse, 5 points plus élevés qu’ailleurs en France métropolitaine.

Malgré les efforts indéniables de réduction et de tri des déchets réalisés par les parties prenantes en Corse, la production de déchets augmente, en lien, notamment avec la hausse du nombre de résidents et de touristes. Par ailleurs, le taux de valorisation des déchets est en-deçà de la moyenne nationale : faute d’incinérateur sur l’île, les déchets continuent à être enfouis dans deux installations seulement, qui opèrent actuellement à flux tendu, et qui atteindront prochainement leur capacité maximale. De nouveaux sites, à Moltifao ou à Giuncaggio, par exemple, pourraient améliorer la capacité totale d’enfouissement en Corse, mais ils n’ouvriront, dans le meilleur des cas, qu’à échéance relativement lointaine.

Cette sous-capacité chronique dans le traitement des déchets sur l’île crée un contexte de rareté qui n’est pas propice à la passation des marchés publics, nécessaires au service public de gestion des déchets ménagers. Des difficultés à trouver des soumissionnaires proposant des offres financières raisonnables ont ainsi été constatées, notamment par la Chambre régionale des comptes de Corse, lors de la passation des marchés publics de stockage, de transport routier des déchets en Corse, ainsi que de transport maritime de ces mêmes déchets en vue de leur traitement sur le continent.

Recommandations dans le secteur de la gestion des déchets ménagers

 

L’importance des coûts de gestion des déchets ménagers en Corse fait peser sur le redevable local une charge fiscale élevée au regard de la moyenne nationale. Le manque d’études sur la formation des prix tout au long de chaîne de valeur de la gestion des déchets ménagers en Corse nuit à la transparence des informations relatives à ces activités de service public. En outre, le manque d’infrastructures induit une sous-capacité de traitement des déchets ménagers résiduels en Corse, ce qui donne naissance à une rente de rareté au profit des offreurs. Cette situation est de nature à susciter des préoccupations de concurrence lors de la passation de certains marchés publics.

Les conditions de passation des marchés publics concernés seraient, par ailleurs, mieux connues du public si la diffusion sur Internet, prévue par la règlementation, des rapports sur le coût et la qualité de la gestion de ce service public était effective. Les autorités de contrôle bénéficieraient également d’une meilleure diffusion des données essentielles des marchés publics, que tout acheteur public doit rendre accessibles sous un format ouvert et librement réutilisable. L’amélioration des informations disponibles pourraient notamment porter sur les offres financières de tous les soumissionnaires, retenus comme non retenus.

Dans l’attente que ces outils de pilotage renforcés soient pleinement opérationnels, il serait utile de systématiser la présence des agents de l’État chargés du respect des règles relatives à la concurrence lors des commissions d’appels d’offres.

Par conséquent, l’Autorité recommande :

1° aux collectivités compétentes pour la gestion publique des déchets en Corse, et notamment au SYVADEC :

  • de faire réaliser par un tiers indépendant des études économiques systématiques, afin de détecter les surcoûts anormaux générés par les marchés publics lancés à chaque maillon de la chaîne de gestion des déchets (collecte, valorisation, élimination, transport) ;
  • de diffuser largement et systématiquement auprès des usagers, notamment via leur site Internet, les rapports annuels sur le prix et la qualité de la gestion publique des déchets prévus par les articles D. 2224-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ;
  • de mettre en place des collectes de déchets en porte-à-porte et d’explorer la voie d’une taxation incitative, afin de responsabiliser les producteurs de déchets et de réduire efficacement les tonnages produits ;

2° aux pouvoirs publics :

  • d’élargir la liste des données « essentielles » des marchés publics ou contrats de concession dans le cadre de l’ouverture des données de la commande publique prévue aux articles L. 2196‑2 et L. 3131‑1 du code de la commande publique, pour notamment permettre aux autorités de contrôle de connaître les offres des soumissionnaires non retenus tout en respectant le secret des affaires ;
  • de rendre systématique la présence d’un représentant de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de Corse aux commissions d’appels d’offres convoquées dans ce secteur ;
  • de faire réaliser par cette même Direccte une étude sur le niveau des prix dans la chaîne de gestion publique des déchets en Corse comparable à celle qu’elle a réalisée dans le secteur des carburants, afin d’identifier d’éventuelles anomalies ;
  • d’examiner, sur la base des conclusions de l’étude susmentionnée de la Direccte de Corse, l’opportunité de mettre en œuvre dans le secteur de la gestion des déchets ménagers en Corse, dès que le cadre législatif et règlementaire le permettra, des mesures de régulation sectorielle proposées dans le cadre des propositions portant sur les nouveaux outils de la politique de concurrence, au moins tant que la Corse connaîtra une situation de sous-capacité chronique de traitement des déchets ménagers ;

3° aux administrations centrales, déconcentrées et territoriales compétentes en matière de prévention et de gestion des déchets, de trouver à brève échéance une solution pérenne de traitement des déchets ménagers sur l’île, en tant que de besoin au travers de la création d’infrastructures nouvelles selon les normes les plus respectueuses de l’environnement. Si nécessaire, il pourrait être utile d’envisager, la faculté pour l’État de recourir aux dispositions du code de l’urbanisme (notamment ses articles L. 153-49 à L. 153-53) qui lui permettent de prévoir  la réalisation d’un tel projet d’intérêt général ou d’intérêt public lorsqu’il requiert une modification ou révision préalable d’un plan local d’urbanisme.

1Tribunal de l’UE, 1er mars 2017, SNCM c/ Commission, aff. T-454/13.

2Une infrastructure essentielle est une ressource détenue par un opérateur, non reproductible par les concurrents, sans laquelle ces derniers ne pourraient exercer leur activité.

3Selon la définition qu’en donne l’ADEME, ce « coût aidé » de gestion des déchets est constitué de l’« ensemble des charges (structure, collecte, transport, etc.) moins les produits industriels (ventes   de   matériaux   et   d’énergie,   prestations   à   des   tiers),   les   soutiens   des   éco-organismes   (filières à  responsabilité élargie du producteur/REP) et les aides publiques.  Ce coût reflète la charge restant à financer par la collectivité.  Il  est  bien  souvent  exprimé  en  euros  hors  taxe  par  habitant  pour  le  rapprocher  du  niveau  de  financement  et  présenter  aux  usagers  la  structure  des  coûts  à financer. Affiché en euros hors taxe par tonne, il permet de rendre compte du poids économique résiduel de chaque flux afin de le mettre en perspective ». Voir le Référentiel national des coûts du service public de prévention et de gestion des déchets - édition 2017, accessible en ligne.

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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