Opérations de démantèlement sur le site nucléaire de Marcoule (Gard): l’Autorité sanctionne six sociétés pour entente dans le cadre d’appels d’offres organisés par le CEA

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L’essentiel

À la suite d’une demande de clémence et d’opérations de visite et saisie, l’Autorité de la concurrence sanctionne six entreprises actives dans le secteur des services d’ingénierie, de maintenance, de démantèlement et de traitement des déchets nucléaires, pour avoir mis en œuvre des pratiques d’entente lors d’appels d’offres passés par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour son site de Marcoule, dans le Gard.

L’Autorité considère que, eu égard notamment à leur nature, à leur finalité et au contexte dans lequel elles sont intervenues, ces pratiques étaient, par leur objet même, anticoncurrentielles. Dès lors, elle sanctionne pour un montant global de 31 239 000 euros les entreprises Nuvia Process (filiale du groupe Vinci), ENDEL (ancienne filiale d’ENGIE), Bouygues Construction Expertises, SNEF et SPIE Nucléaire.

L’Autorité ayant accordé le bénéfice de la procédure de clémence au groupe ONET, ce dernier bénéficie d’une exonération totale des sanctions financières.

L’activité de démantèlement des centrales nucléaires

À l’issue de leur période d’exploitation, les installations nucléaires font l’objet d’opérations de démantèlement. Cette activité vise particulièrement à évacuer la totalité des substances dangereuses et radioactives présentes dans ces installations. Elle peut notamment comprendre des opérations de démontage d’équipements, d’assainissement des locaux et des sols, de destruction de structures de génie civil ou encore de traitement, de conditionnement, d’évacuation et d’élimination de déchets, radioactifs ou non.1

Ces opérations peuvent s’étaler sur des dizaines d’années et constituent des défis pour les exploitants en termes de gestion de projets, de maintien des compétences et de coordination des différents travaux, lesquels font souvent intervenir sur le même site plusieurs entreprises spécialisées.

L’apport de la procédure de clémence dans la révélation du dossier

Dans ce dossier, les pratiques ont notamment été révélées grâce à la procédure de clémence qui permet aux entreprises ayant participé à une entente d’en dévoiler l’existence à l’Autorité et d’obtenir, sous certaines conditions, le bénéfice d’une exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire. En l’espèce, le groupe ONET a sollicité la clémence pour sa filiale ONET Technologies ND (OTND) et apporté des éléments à l’instruction.

Les pièces apportées par le demandeur de clémence ont ensuite été complétées par les opérations de visite et saisie réalisées par les services d’instruction de l’Autorité (notes manuscrites, courriels, relevés téléphoniques, documents de synthèse…). Plusieurs auditions ont complété l’exploitation de ces différentes pièces.

Compte tenu de l’apport d’ONET dans la procédure, l’Autorité lui a accordé une exonération totale des sanctions financières.

Les entreprises se sont concertées en amont de réponses à des appels d’offres et se sont réparti les contrats.

L'Autorité reproche à plusieurs sociétés actives dans le secteur de l’assainissement et du démantèlement de sites nucléaires, aux sociétés OTND, Nuvia Process (NUVIA), ENDEL, BCEN, SNEF et SPIE Nucléaire, d’avoir échangé des informations commercialement sensibles en vue de répondre à certains appels d’offre organisés par le CEA pour différentes installations à Marcoule, et ce afin de s’entendre sur les niveaux de prix à offrir et de se répartir les marchés.

  • Les ententes concernant l’accord-cadre

En janvier 2015, le CEA a lancé un appel d'offres dans le but de conclure un accord-cadre d'une durée initiale de trois ans avec plusieurs entreprises. Cet accord-cadre visait à organiser et à simplifier le recours à des prestations de services pour répondre à certains besoins nombreux mais de dimension modeste.

Il a été constaté que, préalablement au dépôt des offres pour l’attribution de l’accord-cadre, trois des entreprises attributaires de l’accord-cadre (OTND, ENDEL et NUVIA) avaient participé à des réunions, et procédé à des échanges, ayant notamment pour objet les bordereaux de prix devant être soumis à l’occasion de la réponse à l’appel d’offres organisé par le CEA.

Par la suite, lors de la mise en œuvre de l’accord-cadre, BCEN, également attributaire de l’accord-cadre, a pris part aux pratiques anticoncurrentielles mises en œuvres par les trois entreprises précitées. Chacune des quatre entreprises attributaires a échangé avec ses concurrents avant de répondre aux différents marchés subséquents couverts par l’accord-cadre. L'Autorité a notamment constaté que les entreprises avaient établi une répartition des différents marchés entre elles, avec un suivi précis des attributions. Pour ce faire, l'entreprise qui souhaitait obtenir le marché fournissait aux concurrents son tableau de décomposition des prix, permettant ainsi à ces derniers d’établir des offres de couverture.

L'Autorité note que les participants à l'entente échangeaient très régulièrement, utilisant divers canaux de communication tels que des courriels, des SMS et des réunions physiques pour faire le point sur les fiches d’expression de besoins (FEB) attribuées. Certains participants ont même utilisé des adresses de courriels personnels ou appartenant à d'autres membres de leur famille.

  • Les pratiques intervenues en dehors de l’accord-cadre

L'Autorité relève que des échanges entre fournisseurs de prestations de démantèlement se sont également tenus pour neuf autres appels d'offres ponctuels, qui n'entraient pas dans le champ d'application de l'accord-cadre. Ces échanges concernaient, en fonction des appels d’offres, plusieurs des prestataires de services présents sur place, ce qui incluait, outre les attributaires de l’accord-cadre, d’autres prestataires comme SNEF et SPIE Nucléaire. Ici encore, les parties se sont concertées et se sont réparti de manière artificielle les différents marchés, en recourant à des offres de couverture.

Des pratiques particulièrement graves

Pour l'Autorité, de telles pratiques figurent parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence, car elles visent à confisquer, au profit des auteurs de l'infraction, les avantages que les consommateurs et la personne publique sont en droit d'attendre d'un fonctionnement concurrentiel de l'économie. En effet, le fait de perturber le déroulement normal des procédures d'appels d'offres, en entravant la fixation des prix par le jeu libre du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence entre les entreprises soumissionnaires, porte préjudice au secteur où de telles pratiques ont lieu et constitue une atteinte grave à l'ordre public économique.

Par ailleurs, l'Autorité relève que les pratiques identifiées étaient structurées dans leur mode opératoire, et tenues secrètes.

Sanctions imposées

Conformément à sa pratique décisionnelle, l’Autorité a décidé de sanctionner les sociétés responsables des pratiques, solidairement à leurs sociétés mères, en raison des liens capitalistiques que ces dernières entretiennent avec les filiales impliquées.

Pour établir le montant des sanctions, l'Autorité a pris en considération la gravité et la durée des pratiques en question.

L’Autorité a également tenu compte de la situation propre de chaque entreprise. Pour NUVIA, ENDEL et BCEN, une majoration a été appliquée en raison de leur appartenance à un grand groupe.

De plus, l'Autorité a tenu compte de la situation de réitération dans laquelle se trouvent les groupes Vinci et Bouygues.

Enfin, le groupe ONET a bénéficié de la procédure de clémence, ce qui lui a permis d’obtenir une exonération totale des sanctions pour les pratiques dénoncées.

L’Autorité prononce ainsi une sanction globale de 31 239 000 euros. Par ailleurs, elle a enjoint les entreprises sanctionnées à publier, dans l’édition papier et sur le site Internet de publications de presse désignées, un résumé de la présente décision.

Le montant de sanction imposé pour chacun des groupes mis en cause est indiqué dans le tableau ci-dessous, étant précisé que les griefs n° 2 à 10 ont fait l’objet d’une sanction unique :

Grief n° 1 concernant l’accord cadre (euros) Griefs n° 2 à 10 concernant les pratiques intervenues en dehors de l’accord cadre (euros) TOTAL (euros)
OTND solidairement à ONET SA et Holding Reinier 0 0 0
NUVIA solidairement à Soletanche Freyssinet et Vinci 12 752 000 1 159 000 13 911 000
ENDEL solidairement à ENGIE 10 800 000 256 000 11 056 000
BCEN solidairement à Bouygues Travaux Publics et Bouygues 6 242 000 n.a. 6 242 000
SNEF n.a. 20 000 20 000
SPIE Nucléaire solidairement à SPIE Opérations et SPIE SA n.a. 10 000 10 000

1Voir en ce sens le site internet de l’Autorité de sûreté nucléaire (ci-après « ASN ») : https://www.asn.fr/Informer/Dossiers-pedagogiques/Le-demantelement-des-installations-nucleaires

Contact(s)

Virginie Guin
Directrice de la communication
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