Télécoms

Rachat de SFR et de Virgin Mobile par Numéricable : l'Autorité sanctionne solidairement Altice Luxembourg et SFR Group à hauteur de 80 millions d’euros pour la réalisation anticipée d’une opération de concentration

altice

L’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui une décision par laquelle elle sanctionne, en application du II de l’article L. 430-8 du code de commerce, solidairement Altice Luxembourg et SFR Group à hauteur de 80 millions d’euros pour la réalisation, avant autorisation, de deux opérations de concentration dans le secteur des communications électroniques, notifiées en 2014.

Altice et SFR Group n’ont pas contesté la réalité des pratiques en cause ni leur qualification juridique.

Cette décision constitue une première en Europe et dans le monde, par l’ampleur des pratiques sanctionnées et le niveau de la sanction infligée1.

C’est également la première décision de ce type en France. Si des entreprises ont déjà été sanctionnées pour défaut de notification ou pour non-respect d’engagements, il s’agit de la première affaire dans laquelle l’Autorité est amenée à se prononcer sur la réalisation anticipée d’une opération de concentration avant autorisation et à sanctionner spécifiquement ce comportement.

L’Autorité de la concurrence adresse ainsi un message fort aux entreprises : elles doivent être vigilantes à ne pas mettre en œuvre de façon anticipée une concentration, sous peine d’encourir de lourdes sanctions.

Contexte

Pour mémoire, en 2014, le groupe Altice, qui opérait alors en France par le biais de sa filiale Numericable, avait notifié à l’Autorité deux opérations de concentration :

  • La prise de contrôle du groupe SFR

Cette opération avait été notifiée le 5 juin 2014 et autorisée sous réserve d’engagements, à l’issue d’une procédure d’examen approfondi, par décision de l’Autorité 14-DCC-160 du 30 octobre 2014 (voir communiqué de presse). En avril 2016, SFR Numericable a été renommé SFR Group.

  • La prise de contrôle exclusif du groupe OTL (qui commercialise notamment des services de télécommunications sous la marque « Virgin Mobile »)

Cette opération avait été notifiée le 25 septembre 2014 et autorisée sans engagement par décision 14-DCC-179 du 27 novembre 2014 (voir communiqué de presse)

L’Autorité avait relevé un certain nombre d’indices – émanant notamment d’opérateurs concurrents - pouvant indiquer une réalisation anticipée des deux opérations. Elle avait ensuite mené, le 2 avril 2015, des opérations de visites et saisies dans les locaux de Numericable, SFR et OTL, en vue de déterminer s’il y avait eu réalisation anticipée.

LA RÉALISATION ANTICIPÉE DES OPÉRATIONS (GUN JUMPING)

Lorsqu’elle dépasse certains seuils, une opération de concentration doit être notifiée à l’Autorité, qui doit alors se prononcer sur les effets de ce rapprochement du point de vue de la concurrence, et délivrer son autorisation, assortie le cas échéant de conditions (cessions, engagements, etc.). La réalisation effective de la concentration ne peut intervenir qu’après l’accord de l’Autorité (procédure dite « suspensive »).

Tant que l’autorisation n’a pas été délivrée, les parties à l’opération doivent continuer à se comporter comme des concurrents et s’abstenir d’agir comme une entité unique (voir fiche concentrations).

Dans le cas d’espèce, bien que la propriété des actifs n’ait pas été transférée pendant la période suspensive,  les éléments du dossier montrent que les comportements mis en œuvre par Altice l’ont conduit à exercer une influence déterminante sur ses cibles et lui ont permis d’accéder à de nombreuses informations stratégiques, avant même d’avoir obtenu le feu vert de l’Autorité de la concurrence.

L’OPÉRATION ALTICE-SFR

L’intervention d’Altice dans la gestion opérationnelle de SFR

Altice est intervenu dans la gestion opérationnelle de SFR à plusieurs reprises en validant un certain nombre de décisions stratégiques. En voici plusieurs exemples à titre illustratif :
 

- Entre mai et octobre 2014, le principe et les modalités de participation de SFR Collectivités à un appel d’offres portant sur un projet de développement d’un réseau d’initiative publique en fibre optique dans le département de Seine-et-Marne ont été soumis à l’accord du plus haut dirigeant du groupe Altice.

- Courant octobre 2014, la renégociation d’un accord majeur de partage des réseaux mobile entre SFR et Bouygues Telecom (contrat dit « Crozon ») a également été validée au plus haut niveau.

- Dès juin 2014, Altice est directement intervenu sur la politique commerciale de SFR et, en particulier, sur sa politique tarifaire concernant les offres d’accès internet très haut débit. Le 4 juillet, deux semaines après une intervention du président d’Altice, SFR a dû par exemple suspendre une offre promotionnelle sur la fibre, qui devait initialement se poursuivre jusqu’au 25 août.

- Lors du rachat du groupe OTL, SFR et Altice se sont étroitement coordonnées. En avril et mai 2014, alors que SFR envisageait dans un premier temps de prendre le contrôle d’OTL et avait déposé une offre d’achat, le montant de l’offre proposée a été communiqué par le P-DG de SFR au président d’Altice. Puis en juin, Altice s’est finalement substitué à SFR pour procéder au rachat.

Le renforcement des liens économiques entre SFR et Numéricable

Altice et SFR ont profité de la période suspensive pour mettre en œuvre par anticipation une stratégie coordonnée des deux groupes.

Les deux groupes sont allés jusqu’à négocier et préparer opérationnellement le lancement sous la marque SFR d’une nouvelle gamme d’offres d’accès internet très haut débit utilisant la box, les bouquets TV et le réseau de Numericable (projet dit « marque blanche »). Ce projet marquait un changement important dans la stratégie très haut débit de SFR, qui était engagé jusqu’alors dans le développement de sa propre infrastructure.

Plusieurs mois de préparation intensive (adaptation des box, des portails, interfaces et système d’informations, raccordement des boutiques SFR au réseau câblé, etc.) ont été nécessaires de part et d’autre, pour  aboutir dès le 18 novembre 2014 au  lancement de la « Box TV Fibre », qui est intervenu  quelques jours seulement après l’autorisation de l’opération de concentration par l’Autorité de la concurrence (30 octobre).

Des échanges d’informations stratégiques généralisés

Avant l’autorisation de l’opération, Altice et SFR ont échangé une grande quantité d’informations stratégiques dans le but de préparer l’intégration des deux groupes. Ces informations revêtent un caractère confidentiel, concernent des données individualisées, les performances commerciales récentes de SFR ainsi que des prévisions pour les mois à venir. Ces échanges ont impliqué les plus hauts dirigeants des deux groupes.

L’OPÉRATION ALTICE-OTL

L’intervention d’Altice dans la gestion opérationnelle d’OTL

Altice a été amené à prendre, avant l’autorisation, des décisions stratégiques pour le compte d’OTL en s’appuyant sur l’existence de certaines clauses contenues dans le protocole d’accord signé pour définir les modalités de l’opération. Ces décisions ont notamment concerné des accords d’hébergement de la clientèle mobile d’OTL auprès d’opérateurs de réseau.


Des échanges d’informations stratégiques

Altice a mis en place un mécanisme de remontée d’information hebdomadaire lui permettant de suivre étroitement les performances économiques d’OTL. Cette surveillance, qui s’apparente à celle exercée par un actionnaire de contrôle, lui a permis d’accéder à des informations commercialement sensibles concernant OTL.

Prise de fonction anticipée de l’encadrement

L’Autorité a enfin constaté que le directeur général d’OTL avait commencé à exercer ses fonctions au sein du groupe SFR-Numericable avant l’autorisation de l’opération, en étant notamment associé aux nouveaux projets commerciaux de SFR et destinataire d’informations commercialement sensibles.

UNE SANCTION DE 80 MILLIONS D’EUROS

Au vu de ces différents comportements, qui caractérisent une mise en œuvre anticipée des opérations de concentration, l’Autorité de la concurrence sanctionne solidairement Altice Luxembourg et SFR Group à hauteur de 80 millions d’euros.

Cette sanction, particulièrement conséquente au regard des sanctions infligées par l’Autorité dans les précédents cas de défaut de notification ou de non-respect d’engagement, tient compte :

  • de l’importance des opérations concernées par l’infraction, en termes de montant des acquisitions comme d’impact sur le secteur des télécommunications ;
     
  • de l’ampleur et du cumul de comportements variés ayant abouti à la réalisation anticipée des deux opérations, certains de ces comportements ayant un lien direct avec les risques concurrentiels précisément identifiés par l’Autorité dans sa décision d’autorisation ;
     
  • de l’ampleur des activités de SFR et Virgin Mobile directement concernées par les comportements ;
     
  • de la durée des comportements, qui ont commencé dès avant la notification des opérations et se sont prolongés pendant toute la procédure du contrôle des concentrations ;
     
  • du constat de comportements similaires de la part d’Altice pour les deux opérations notifiées en 2014  et du caractère délibéré des comportements reprochés.
     

Au bénéfice des entreprises mises en cause, le montant de la sanction tient compte du fait qu’elles n’ont pas contesté la réalité des pratiques en cause ni leur qualification juridique.

1Parmi les précédents notables en Europe et dans le monde, on peut citer l’affaire Gemstar aux Etats-Unis en 2003 (environ 5 millions d’euros d’amende), l’affaire Mars/Nutro en Allemagne en 2008 (4,5 millions d’euros d’amende), l’affaire Electrabel de la Commission européenne en 2009 (20 millions d’euros d’amende) et l’affaire Cisco Systems Inc / Technicolor au Brésil en 2016 (environ 8 millions d’euros d’amende).

> Voir fiche "la notification des opérations de concentration à l’Autorité de la concurrence"

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Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication
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