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MVNO : le Conseil de la concurrence est favorable à une intervention du régulateur pour prévenir les risques d’une insuffisante concurrence sur le marché de gros de la téléphonie mobile

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Dans le cadre de la procédure d'analyse des marchés mise en place par le code des postes et communications électroniques, le Conseil de la concurrence, saisi le 21 février 2005, vient de rendre à l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) un avis sur le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux mobiles ouverts au public (1). Cet avis est le quatrième que le Conseil rend dans ce cadre (cf. 04-A-17, 05-A-03, 05-A-05).

Le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux mobiles est en pleine évolution

Le Conseil souligne de prime abord que le marché étudié est un marché naissant, en évolution rapide. L'analyse de l'ART a été menée sur la période où l'activité des opérateurs virtuels, encore très faible, se limitait à exploiter à des stratégies de niche spécifiques ou à développer des modèles de simple revendeur. Or, début 2005, les négociations entre opérateurs mobiles et opérateurs virtuels se sont intensifiées. Des contrats de MVNO (2) (Mobile Virtual Network Operator ou opérateur de réseau mobile virtuel) ont été signés avec des acteurs importants (NRJ et M6 en février 2005, Cegetel et 9Télécom en mars 2005) et la passation d'autres contrats est annoncée tout comme la commercialisation, sur le marché de détail, de plusieurs offres nouvelles adossées à ces contrats.

Il existe plusieurs obstacles au développement d'une concurrence effective sur ce marché : les MVNO ne sont pas en mesure, actuellement, de concurrencer les trois grands opérateurs de télécommunications (Orange, SFR et Bouygues Télécom)

Le Conseil estime que les conditions prévalant sur le marché de gros considéré ne permettent pas, en l'état, de résoudre les problèmes de concurrence identifiés sur le marché de détail : au détail, la concurrence est entravée par la prédominance des contrats d'abonnement avec engagement, les difficultés de la mise en œuvre de la portabilité des numéros, la longueur des délais moyens de résiliation. La pression concurrentielle s'exerce plus sur les marques et les services que sur les prix.

Le Conseil relève que les contrats de MVNO, tels qu'ils sont actuellement signés, limitent la liberté commerciale des opérateurs virtuels et réduisent la pression concurrentielle qu'ils sont susceptibles d'exercer sur les opérateurs de réseaux, soit parce que ces contrats encadrent étroitement la clientèle accessible aux MVNO, soit parce que les tarifs de gros ne permettent pas d'atteindre certains segments de clientèle, soit parce que ces contrats limitent les possibilités de concurrence par les prix, soit enfin parce que sont imposées des contraintes techniques rendant plus difficiles la mise en place d'innovations comme la convergence fixe/mobile.

La méthode de tarification actuelle permet, par exemple, aux opérateurs de réseau de contrôler la pression concurrentielle par les prix, susceptible d'être exercée par les MVNO. Sur certaines clientèles ciblées, les MVNO sont en mesure de proposer des tarifs compétitifs par rapport à ceux de l'opérateur hôte ; en revanche, pour d'autres types de produits, ils ne sont pas en mesure, compte tenu des tarifs de gros négociés, d'offrir un prix concurrentiel par rapport à celui de l'opérateur. Ces effets de ciseaux permettent aux opérateurs hôtes de cibler les clientèles qu'ils dédient aux MVNO et évitent une concurrence frontale.

Le Conseil estime également que le fait que les contrats soient conclus pour des durées longues (jusqu'à 9 ans) et soient assortis de clauses d'exclusivité, ainsi que le refus d'accès à la base de données relative à tous les forfaits souscrits (base HLR), sont de nature à empêcher les MVNO d'exercer une concurrence effective sur le marché de détail.

Le Conseil souligne le risque potentiel d'une influence significative conjointe d'Orange, SFR et Bouygues Télécom sur le marché de gros et se prononce en faveur d'une régulation ex ante pour prévenir ce risque

L'ART estime que sont présents les éléments constitutifs, au sens du droit de la concurrence, d'une position dominante collective entre les trois grands opérateurs, dont le résultat serait potentiellement une collusion tacite entre ces derniers.

Le Conseil estime, pour sa part, que même si les trois critères cumulatifs posés par la jurisprudence européenne Airtours/First Choice (3) - et permettant de déterminer l'existence d'une position dominante collective - ne sont pas tous complètement réunis, le marché de gros en question présente, au sens du droit sectoriel des communications électroniques, dont le contenu est rappelé dans l'avis, des caractéristiques structurelles ne permettant pas d'écarter le risque d'une influence significative conjointe des opérateurs mobiles sur ce marché dans la période de référence considérée (2005-2007).

Le Conseil souligne, à cet égard, que le droit sectoriel n'impose pas de démontrer que l'évolution vers une situation de collusion tacite est certaine, mais simplement que les caractéristiques du marché la rendent structurellement possible et raisonnablement probable. Cette approche semble appropriée dans le cadre d'un marché naissant, sur lequel il est difficile d'évaluer dès aujourd'hui la stratégie des acteurs.

Prenant en compte ce risque potentiel, le Conseil est favorable, à l'instar de l'ART, à une régulation ex ante du marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux mobiles ouverts au public.

Une intervention sur les obstacles identifiés sur le marché de détail est nécessaire en complément d'une action régulatrice sur le marché de gros

Le Conseil estime qu'en imposant aux opérateurs mobiles une obligation de répondre aux demandes raisonnables d'accès à des éléments de réseau ou à des moyens qui y sont associés, l'ART garantit aux MVNO la possibilité d'exiger la révision de leurs conditions contractuelles à terme et de pérenniser leur déploiement jusqu'à une taille critique.

Il rappelle que le développement des MVNO ou des revendeurs ne pourra être possible et pérenne que si les obstacles au développement de la concurrence identifiés sur le marché de détail (portabilité, durée d'engagement, programme de fidélisation, etc.) sont levés. En effet, dans le cas contraire, les MVNO ne pourront pas atteindre une taille critique et l'action de l'ART rencontrerait vite ses limites. Une intervention des pouvoirs publics sur ces obstacles doit être envisagée en complément de l'action régulatrice sur le marché de gros de l'accès et du départ d'appel. Le régulateur devra toutefois veiller à ne pas introduire de nouvelles distorsions de concurrence en favorisant l'émergence d'un type d'acteur ou en ne tenant pas compte des asymétries existant actuellement entre les réseaux mobiles.

(1) Soit le marché 15 recensé par la Commission européenne (recommandation du 11 février 2003 et annexe 1 de la directive 2002/21/CE)
(2) Les MVNO sont des fournisseurs de services de téléphonie mobile mais ils ne disposent pas de leurs propres infrastructures radio, ce qui les oblige à conclure des accords d'accès avec les opérateurs de réseau.
(3) Arrêt du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes du 6 juin 2002.

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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