Carte « UGC illimité » : le Conseil de la concurrence rejette la demande de mesures conservatoires présentée par quatre exploitants de salles de cinéma
Par une décision en date du 25 juillet 2000, le Conseil de la concurrence a examiné la demande de mesures conservatoires présentée par quatre exploitants de salles de cinéma : CINEVOG, LES CINQ PARNASSIENS, STUDIO DU DRAGON et MK2, relative à la carte d’abonnement « UGC Illimité ».
Ces exploitants avaient saisi le Conseil parce qu’ils estimaient que la formule proposée par UGC, constitutive d’un abus de position dominante ou d’une pratique de prix abusivement bas, conduisait à éliminer du marché parisien les entreprises concurrentes qui n’étaient pas en mesure d’y répliquer par des offres similaires. Ils soulignaient son caractère particulièrement préjudiciable aux salles indépendantes et d’art et essai parisiennes, dans la mesure où la programmation des salles du réseau UGC entre directement en concurrence avec ces exploitants pour les films art et essai dits « porteurs ». Invoquant la situation financière fragile des salles indépendantes, ils avaient demandé au Conseil d’ordonner, en procédure d’urgence, l’arrêt de la commercialisation de la carte et l’annulation ou la « suspension des effets » des abonnements souscrits.
Avant d’examiner la recevabilité d’une demande de mesures conservatoires, le Conseil vérifie si la saisine au fond est recevable, ce qui consiste à s’assurer que les éléments en sa possession sont suffisants pour le conduire à ne pas écarter la possibilité d’une pratique portant atteinte à la concurrence.
Les données disponibles : parts des recettes réalisées en 1999 – qui font apparaître qu’UGC arrive en tête avec 37,2% des recettes à Paris « intra-muros » et 26% dans la région Ile-de-France –, l’appartenance d’UGC à un groupe puissant et le fait que l’exploitant détienne trois des six multiplexes de la capitale, ont paru suffisantes pour considérer qu’UGC se présente comme l’un des premiers opérateurs sur le marché ; dans ces conditions, il n’est pas exclu qu’il soit susceptible de détenir, sous réserve de vérifications approfondies qui seront effectuées à l’occasion de l’examen au fond, une position dominante.
Les parties saisissantes soutenaient que la carte « UGC Illimité » constituait une vente à un prix inférieur aux coûts moyens variables et présentait un caractère prédateur. En effet, est qualifié de prédateur, et interdit par les articles 8 et 10-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, un prix dont le bas niveau s’explique non par des objectifs commerciaux, mais par le seul souci de faire disparaître des concurrents, en vue de bénéficier ensuite d’une situation plus forte sur le marché. Selon la jurisprudence, tant française que communautaire, un prix inférieur au coût variable moyen, qui n’a aucune justification économique, ne peut s’expliquer que par une stratégie prédatrice.
Dans la décision qu’il vient de rendre, le Conseil a précisé que tout abonnement forfaitaire ouvrant droit à une prestation illimitée atteint nécessairement un seuil, au moins théorique, au-delà duquel les coûts ne sont plus couverts par les recettes. Sauf à interdire par nature toute forme d’abonnement offrant des prestations illimitées, l’évaluation du coût variable d’une offre de services à caractère illimité doit s’opérer en fonction de la consommation effective moyenne ; les chiffres fournis par UGC montraient que la consommation effective moyenne des détenteurs de la carte s’établissait à 0,7 entrée par semaine, soit 37,2 entrées par an, chiffre inférieur au seuil de 66 à 70 entrées annuelles au-delà duquel les coûts variables supportés par la société n’étaient plus couverts par les recettes tirées de l’abonnement. Toutefois, le Conseil a estimé que les chiffres produits par la société n’ont qu’un caractère provisoire et portent sur une trop courte période d’utilisation. En outre, ils ne permettent pas de connaître le nombre et le comportement des abonnés sur le marché parisien. A cause de ces incertitudes, le Conseil n’a pas écarté l’éventualité que la carte « UGC Illimité » puisse constituer une pratique de prix prédateur, cette question devant être étudiée plus attentivement lors de l’examen au fond.
Le Conseil s’est ensuite prononcé sur le bien-fondé de la demande de mesures conservatoires, laquelle ne peut être accueillie que s’il est démontré que la pratique porte une atteinte grave et immédiate aux entreprises saisissantes, au secteur, aux consommateurs ou à l’économie générale. Sur la base des données provenant de l’analyse de la remontée des bordereaux de recettes des exploitants de salles faites par le Centre national du cinéma qui porte, à la date du 26 juin 2000, sur 63 établissements réalisant 92 % des recettes à Paris, il a constaté une augmentation importante des entrées par rapport à 1999. Certes, UGC a enregistré une progression des entrées supérieure à celle des autres exploitants, mais les parties saisissantes ont reconnu elles-mêmes qu’elles connaissaient une hausse de la fréquentation de leurs salles par rapport à 1999 et qu’elles n’étaient pas en mesure d’établir un quelconque phénomène d’éviction imputable à la carte « UGC Illimité ». Dès lors, les conditions légales du prononcé de mesures conservatoires n’étaient pas réunies et le Conseil a rejeté les demandes, sans préjudice de ce qu’il pourrait décider dans un autre contexte.