Santé

10 juillet 2013 : Enquête sectorielle dans le domaine de la distribution du médicament délivré en ville

medicaments

L’Autorité de la concurrence soumet à la consultation publique une première évaluation dans laquelle elle identifie plusieurs points de blocage potentiels.
 


Le médicament constitue le deuxième poste des dépenses de santé en France, soit 35 milliards d’euros environ, en 2011,  la France se classant au 5ème rang mondial en termes de consommation individuelle moyenne. C’est pourquoi, eu égard au poids économique de ce secteur d’activité et prenant acte par ailleurs de l’existence de plusieurs contentieux concernant le médicament et de la multiplication de demandes d’avis des pouvoirs publics sur l’évolution du cadre législatif et réglementaire de la distribution du médicament, l’Autorité de la concurrence a décidé en février 2013 d’ouvrir une enquête sectorielle afin d’examiner le fonctionnement concurrentiel du secteur et d’ identifier d’éventuels obstacles à celui-ci.  

A titre liminaire, l’Autorité rappelle que dans sa pratique décisionnelle, elle reste soucieuse de maintenir la compétitivité de la filière, notamment par le biais de l’innovation, mais également de préserver la sécurité des patients et un système de distribution du médicament de qualité. Son approche dans le domaine de la santé repose donc sur une vision équilibrée, qui tient compte de l’ensemble de ces objectifs légitimes. 

Avant d’adopter ses conclusions définitives à la fin de cette année, l’Autorité publie aujourd’hui une première évaluation qu’elle soumet à consultation publique. Les différents acteurs intéressés auront ainsi l’opportunité de faire valoir des observations et de proposer de nouveaux éléments qui contribueront à faire évoluer favorablement la concurrence dans ce secteur d’activité au bénéfice de la filière dans son ensemble et des consommateurs. Ce document présente de façon détaillée les points de blocage que l’Autorité de la concurrence a détectés à chacun des échelons de la chaîne de distribution et explore les pistes susceptibles d’y remédier. En effet, la première phase de cette enquête sectorielle laisse entendre qu’à tout le moins pour les médicaments génériques et les médicaments non remboursables, le renforcement de la concurrence pourrait conduire à une baisse de prix, au bénéfice de l’Assurance maladie et des ménages.   
     
1/UN CERTAIN NOMBRE DE PRATIQUES DE LA PART DES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES SONT SUSCEPTIBLES DE CONSTITUER DES FREINS À LA BAISSE DES PRIX DES MÉDICAMENTS

1) Les médicaments remboursables

Les entraves au développement des génériques

L’animation de la concurrence sur le médicament remboursable passe en majeure partie par le médicament générique, concurrent direct du médicament princeps, dont l’entrée sur le marché a pour effet direct de conduire à une baisse de prix du médicament de l’ordre de 60%. Il est donc nécessaire de protéger le médicament générique d’un certain nombre de pratiques unilatérales des laboratoires princeps ou de pratiques concertées entre laboratoires princeps et laboratoires génériques.
Parmi ces pratiques, on peut citer par exemple :
le dénigrement, pratique qui a récemment été sanctionnée par l’Autorité dans sa décision  13-D-11 du 14 mai 2013 (affaire Plavix)

les pratiques de retrait d’autorisations de mise sur le marché de médicament princeps et de communication d’informations erronées aux offices de brevet visant à empêcher l’entrée des génériques (sanctionnées au niveau européen dans l’affaire AstraZeneca).
- les pratiques de « pay-for-delay », qui consistent pour un laboratoire générique à accepter de retarder l’entrée de son générique sur le marché contre rémunération du laboratoire princeps, récemment sanctionnées par la Commission européenne dans sa décision du 19 juin 2013 (Lundbeck).    

Des risques d’ententes non négligeables

-> au travers de la négociation des prix avec le Comité économique des produits de santé (CEPS)

L’Autorité pointe dans son rapport le risque que certains paramètres de la négociation des prix avec le CEPS puissent en amont faire l’objet de concertations entre laboratoires pharmaceutiques. En particulier, il ne pourrait être exclu que certains laboratoires princeps se concertent avant leur passage devant le CEPS, pour par exemple présenter des coûts artificiellement gonflés de façon à obtenir des prix plus élevés sur leurs médicaments ou d’éviter que des réductions de prix trop importantes leur soient appliquées au sein d’une même classe thérapeutique. De la même façon, certains laboratoires génériques pourraient, en vue de conserver une marge plus importante sur certaines spécialités, être incités à coordonner leurs efforts de négociation de façon par exemple à dénoncer ensemble des coûts de fabrication ou de développement très élevés. Les laboratoires génériques pourraient en outre se répartir les marchés pour certaines spécialités (par une répartition par groupe du répertoire). 

-> au travers de l’abstention de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM)

Il peut exister un risque que des laboratoires génériques se concertent afin de ne pas demander l’octroi du statut de générique pour leurs spécialités auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), laquelle ne créera alors pas de groupe au répertoire. Dans une telle hypothèse, les prix des spécialités concernées seront négociés individuellement par chaque laboratoire avec le CEPS, lequel ne pourra pas appliquer la décote automatique de 60%. Les prix de ces médicaments sont donc mécaniquement maintenus à un niveau artificiellement élevé.

L’Autorité relève par ailleurs la situation particulière du paracétamol et de l’acide acétylsalicylique, pour lesquels aucun groupe n’est encore constitué au sein du répertoire des génériques, alors que les brevets de ces spécialités sont pourtant tombés dans le domaine public depuis longtemps. A ce stade, aucune justification n’a été avancée auprès de l’Autorité pour justifier cet état de fait. Le paracétamol est substitué légalement partout en Europe, à l’exception de la France. Ceci n’est pas anodin, étant donné que le Doliprane® (spécialité de paracétamol fabriquée par Sanofi-Aventis), était le cinquième médicament le plus remboursé en France en 2012, avec un montant total de remboursement de 276 millions d’euros.

2) Les médicaments non remboursables

Les médicaments en vente libre en France représentent un tiers des dépenses de médicaments des ménages1. Les 4/5e des dépenses d’automédication des Français, soit environ 1,65 milliard d’euros en 2011, ont concerné les médicaments non remboursables, vendus à prix libres par les pharmaciens.

La vente directe auprès des officines : un moyen de maintenir des marges plus élevées pour les labos

Les laboratoires pharmaceutiques qui commercialisent des médicaments non remboursables privilégient très largement le canal de la vente directe auprès de officines, certains d’entre eux allant jusqu’à opposer des refus de vente aux grossistes et intermédiaires. Les grosses officines, qui disposent d’un espace de stockage plus conséquent et commandent des volumes plus importants, bénéficient de remises qui peuvent parfois aller jusqu’à 50 % de réduction sur le prix hors taxe.

Cette forme de distribution n’est pas sans soulever un certain nombre d’interrogations. Elle peut être un moyen pour le laboratoire de maintenir ses marges à un niveau élevé et de maîtriser les prix de vente au détail. En effet, dans l’hypothèse où les acheteurs et négociants en gros obtiendraient eux-aussi des conditions avantageuses, ils pourraient les répercuter sur l’ensemble de leur clientèle, et notamment les officines de taille modeste qui ne bénéficient pas des avantages commerciaux liés à la vente directe. Dès lors, en refusant d’octroyer des avantages plus conséquents aux intermédiaires, les laboratoires s’assurent que les plus petites officines continuent à payer un prix élevé sur ces médicaments.

Une distribution non discriminatoire vis-à-vis des intermédiaires grossistes pourrait par conséquent entraîner une baisse des prix moyens de nombreux médicaments non remboursable

La pratique des marges arrière déguisées : un indicateur de prix trop élevés ?

L’Autorité a constaté que certains laboratoires génériques procèdent à des ventes liées de médicaments génériques et de médicaments non remboursables. Concrètement, ces remises ou marges arrière « déguisées » prennent la forme d’une rémunération au titre d’une coopération commerciale portant sur la gamme de médicaments non remboursables du laboratoire générique. Mais en réalité, ces contrats de coopération commerciale ne sont conclus qu’à la condition que l’officine référence la gamme de médicaments génériques de ce même laboratoire. Il ne peut en outre pas être exclu que ces prestations commerciales soient même entièrement fictives, c’est-à-dire que le pharmacien ne remplisse pas du tout la prestation convenue.

Outre le fait que ces pratiques de ventes liées pourraient, en certaines circonstances, être qualifiées d’anticoncurrentielles, cette capacité des laboratoires génériques à accorder de forts niveaux de remises pourrait suggérer que les prix des médicaments génériques pourraient être globalement revus à la baisse par le CEPS, au bénéfice de l’Assurance-maladie et du consommateur. Il ne peut être en outre exclu que ces prix réorientés à la baisse puissent également influer sur les prix des médicaments princeps, lorsqu’ils sont génériqués.

2/ LA DISTRIBUTION AU STADE DE GROS NE JOUE PAS DE RÔLE SUFFISANT DANS L’ANIMATION CONCURRENTIELLE

S’agissant des médicaments remboursables, la distribution au stade de gros est assurée principalement par les grossistes-répartiteurs. Ces derniers jouent un rôle déterminant dans l’approvisionnement rapide et régulier des officines sur l’ensemble du territoire. A ce titre, ils remplissent des obligations de service public qui leur imposent de fortes contraintes logistiques et des investissements conséquents.

Le manque de puissance d’achat face aux laboratoires pharmaceutiques

L’ensemble des intermédiaires de la distribution du médicament en ville souffrent d’un manque de puissance d’achat compensatrice et il convient dès lors de s’interroger sur le renforcement de cette dernière, afin de pouvoir faire bénéficier les officines et le consommateur final de remises conséquentes généralisées sur la gamme du non-remboursable. 

Par ailleurs, la marge de gros sur les médicaments remboursables est fixée par la réglementation à un taux principal de 6,68% du prix fabricant hors taxe. Ce taux n’est toutefois pas obligatoire et il a été constaté que sur les ventes de médicaments génériques, leur marge est quasi-nulle. Comme expliqué ci-dessus, la commercialisation de médicaments non remboursables leur échappe dans la mesure où les laboratoires choisissent la plupart du temps le circuit de la vente directe qui permet de s’adresser au pharmacien d’officine sans passer par un intermédiaire.

Par ailleurs, les formes de regroupements de pharmaciens à l’achat de médicaments non-remboursables ne parviennent pas non plus à obtenir des conditions équivalentes à celles offertes à certaines officines. A cet égard, l’Autorité constate que la pratique d’achats groupés par un pharmacien procédant à des rétrocessions, pratique pourtant illégale, s’est développée en vue de pallier l’échec des structures de regroupement à l’achat (SRA) et des centrales d’achat pharmaceutique (CAP).

Le développement du commerce parallèle pourrait favoriser la baisse des prix des princeps

Outre le renforcement de l’intervention du grossiste-répartiteur sur le non-remboursable, l’Autorité suggère de réfléchir aux opportunités de développement du commerce parallèle de médicament à l’intérieur de l’Union européenne. En effet, les grossistes-répartiteurs devraient pouvoir se fournir plus facilement auprès des laboratoires pharmaceutiques implantés dans des Etats membres de l’Union où le prix des spécialités est plus bas, afin de développer leur activité concurrentielle et d’en faire bénéficier l’Assurance-maladie et les consommateurs.

Il peut en être attendu également une baisse des prix en France pour des produits identiques ou similaires. Parallèlement, ils devraient être en mesure, sous réserve du respect des obligations en matière d’approvisionnement du territoire national, de développer leurs ventes à destination d’Etats membres de l’Union européenne où les médicaments sont plus onéreux. 

3/ LA LIBERALISATION DE LA DISTRIBUTION DE DÉTAIL DES MEDICAMENTS D’AUTOMEDICATION ET DE  « PRODUITS FRONTIERES » PERMETTRAIT AUX CONSOMMATEURS DE DISPOSER DU LIBRE CHOIX DU CIRCUIT DE DISTRIBUTION ET DE BÉNÉFICIER DE PRIX PLUS COMPÉTITIFS

En France, la distribution au détail du médicament en ville est caractérisée par le double monopole pharmaceutique et officinal. En d’autres termes, tous les médicaments et un certain nombre de produits visés par le code de la santé publique ne peuvent être commercialisés en ville que par un pharmacien (monopole pharmaceutique) et exclusivement en officine (monopole officinal).

Une disparité très forte des prix des médicaments non remboursables entre les officines et un manque d’information des consommateurs sur ceux-ci

Les pouvoirs publics tentent depuis plusieurs années de développer une plus forte concurrence entre officines en ce qui concerne les médicaments d’automédication, dont les prix sont libres. Ainsi, depuis 2008 les officines ont été incitées à vendre les médicaments de « médication officinale » devant le comptoir. Les services de l’Autorité ont constaté au cours de leur enquête2 que les prix des médicaments non remboursables sont extrêmement disparates et qu’ils peuvent varier de 1 à 4 d’une officine à l’autre, sans que le consommateur en soit véritablement informé puisque la publicité sur les prix de ces médicaments est très limitée, notamment à cause des règles de déontologie. 
 
Tout récemment, le commerce en ligne des médicaments soumis à prescription médicale facultative a été autorisé en France. Cette nouvelle forme de vente devrait donner de nouvelles opportunités en termes de baisse des prix de vente au détail et d’information du consommateur sur les prix. Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant à ce que les cyber-pharmacies puissent se développer sans que des obstacles artificiels soient dressés devant elles.

Il reste que l’animation de la concurrence, notamment en prix, et plus particulièrement sur les médicaments non remboursables, peut passer par d’autres mesures que le commerce en ligne.

L’ouverture partielle du monopole officinal permettrait aux consommateurs de bénéficier de prix plus attractifs pour leurs achats de médicaments d’automédication et de « produits frontières »

Il y a lieu tout d’abord de considérer l’opportunité d’ouvrir en partie le monopole officinal, sans remettre en cause le monopole pharmaceutique, afin de permettre à d’autres réseaux de distribution que les officines de commercialiser les médicaments soumis à prescription médicale facultative dits « d’automédication »  (comme par exemple les médicaments contre le rhume et la toux ou les antalgiques)  et des produits dont la liste figure à l’article L.4211-1 du code de la santé publique (comme par exemple les produits d’entretien pour lentilles, les tests de grossesse ou de glycémie).

Cette ouverture devrait s’accompagner d’un assouplissement des règles déontologiques des pharmaciens, pour ce qui concerne la liberté commerciale, afin de favoriser la concurrence par les prix. Certaines entreprises de la grande distribution ont fait connaître leur intérêt pour distribuer certains médicaments dans leurs établissements, dans des espaces dédiés et gérés par des pharmaciens.

L’étude de l’impact sur la concurrence de la libéralisation de la distribution des médicaments d’automédication en Italie montre qu’elle a eu des répercussions favorables sur les prix. L’UFC Que Choisir indique dans un rapport de mars 20123 qu’au Portugal et en Italie, « la part de marché des pharmaciens sur les produits d’automédication est restée importante (aux alentours de 90%), au prix d’une baisse de leurs marges pour rester compétitifs ». Globalement, la diminution moyenne des prix observée dans les supermarchés italiens était de 25%, les prix dans les parapharmacies connaissant une diminution du prix moins élevée.

Cette ouverture du segment des médicaments non remboursables en vue d’une baisse de leur prix devrait par ailleurs être plus facilement acceptée pour les pharmaciens d’officine dans la mesure où la part du médicament non remboursable dans le chiffre d’affaires d’une officine demeure limitée (inférieure à 10%) et où, à la faveur des dispositions législatives sur les nouvelles missions des pharmaciens, ces derniers peuvent désormais proposer des services rémunérés à leurs patients et, en conséquence, améliorer leurs revenus. Par ailleurs, la situation des petites pharmacies pourrait se trouver globalement améliorée si par ailleurs, elles pouvaient elles-aussi se fournir à des conditions intéressantes en médicaments non remboursables par le biais des acheteurs et négociants en gros.                  

Consulter les fiches du dossier de presse :

Fiche 1 : Les Français et la santé
Fiche 2 : Les médicaments génériques
Fiche 3 : Les médicaments d’automédication
Fiche 4 : Les laboratoires pharmaceutiques les plus présents en France
Fiche 5 : Un réseau de pharmacies très dense
Fiche 6 : La chaîne de distribution du médicament
Fiche 7 : La fixation des prix des médicaments
Fiche 8 : Les questions posées dans le cadre de la consultation publique
 


1UFC Que Choisir, « Automédication : contre les maux diagnostiqués, l’UFC Que Choisir propose ses antidotes », mars 2012.
2Les services de l’Autorité de la concurrence ont effectué une enquête auprès de 177 officines se trouvant à Paris et dans certaines autres villes de France métropolitaine, dans le courant du mois de mai 2013.   Les villes concernées sont : Paris (75010, 75009, 75006, 75001, 75018, 75020, 75003, 75008, 75011, 75016), Evreux, Lille, Chartres, Orléans, Amiens, Le Mans, Drancy, Rouen, Reims, Saint Mandé, Vincennes et Boulogne Billancourt. Il s’agit d’une photographie de la réalité à un instant donné, sans prétention scientifique. Dans ce cadre, l’Autorité de la concurrence a procédé à 2097 relevés de prix.
3UFC-Que Choisir, « automédication : contre les maux diagnostiqués, l’UFC-Que Choisir propose son antidote », mars 2012
.
 

> L’Autorité de la concurrence invite toute personne intéressée à réagir aux développements et conclusions exposés dans le document de consultation publique avant le 16 septembre 2013 : Mel

> Consulter l’intégralité du document soumis à consultation publique sur le site internet de l’Autorité de la concurrence

 

Contact(s)

Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
Imprimer la page