France Télécom peut demander à être rémunérée pour l’ouverture de nouvelles capacités mais elle devra clarifier les relations tarifaires et commerciales entre son activité de fournisseur d’accès à Internet
et son activité d’opérateur de transit.

Les engagements de transparence pris par France Télécom devant l’Autorité de la concurrence faciliteront la prévention et le contrôle à l’avenir d’éventuelles pratiques de ciseau tarifaire.

 

La décision rendue aujourd’hui par l’Autorité de la concurrence sur le différend entre l’opérateur américain Cogent et France Télécom est la première rendue par une autorité de concurrence dans le monde sur une question très discutée dans le cadre du débat sur la neutralité de l’Internet : les opérateurs de réseau sont-ils en droit de facturer l’ouverture de capacités complémentaires ?


Dans ce dossier, l’opérateur de télécommunications américain Cogent reprochait, entre autres, à France Télécom de remettre en cause le système de "peering" (échange gratuit des flux entre deux réseaux) existant entre opérateurs de transit, en demandant à être rémunérée pour l’ouverture de capacités techniques supplémentaires d’accès aux abonnés d’Orange. Sur ce point, l’Autorité a considéré que compte tenu du caractère très asymétrique des échanges de trafic entre France Télécom et Cogent, cette demande de facturation ne constitue  pas en l’état une pratique anticoncurrentielle,  dans la mesure où une telle rémunération n’est pas une pratique inhabituelle dans le monde de l’Internet en cas de déséquilibre important des flux entrant et sortant entre deux réseaux et correspond à la politique générale de "peering" adoptée par France Télécom et connue de Cogent. 

En revanche, l’Autorité a relevé une certaine opacité des relations entre le réseau domestique de France Télécom (Orange) et  les activités d’opérateur de transit (Open Transit), pouvant conduire à d’éventuelles pratiques de ciseau tarifaire. France Télécom a accepté de prendre des engagements de nature à les prévenir et à en permettre le contrôle le cas échéant.

Le marché de l’interconnexion sur Internet

Trois types d’acteurs interviennent sur le marché de l’interconnexion sur Internet :

- les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à l’instar d’Orange, Free, SFR, Bouygues Télécom…, qui proposent aux consommateurs des offres d’accès à Internet ;

- les fournisseurs de contenus et de services (Google, Amazon, les sites Internet en général, les hébergeurs…) ;

- les opérateurs de transit, comme Cogent, Tata Telecom ou France Télécom (via sa marque Open Transit), dont le rôle est de mettre en relation les FAI entre eux et avec les fournisseurs de contenus en mutualisant les interconnexions grâce à leurs réseaux internationaux.

Schématiquement, les relations entre les acteurs de l’Internet peuvent être présentées de cette façon (les flèches représentent les flux d’échanges de données) : 

          

Pour assurer leur interconnexion, les opérateurs disposent de deux moyens alternatifs, "peering" ou transit, entre lesquels les opérateurs les plus importants peuvent arbitrer.

Dans le cas le plus général, les FAI et les sites Internet achètent des prestations de transit auprès d’un ou plusieurs opérateurs de transit pour se connecter à l’Internet mondial afin de délivrer les flux aux internautes.

Les opérateurs de l’internet peuvent par ailleurs également s’interconnecter entre eux, sans passer par un transitaire,  dans le cadre de nombreux accords de "peering" qui fonctionnent selon un système de troc : chaque opérateur pair (« peer ») échange des flux de données gratuitement, dans le cadre d’un échange équilibré,  avec un autre pair pour donner accès à ses clients.

La demande de facturation émise par France Télécom pour l’ouverture de capacités supplémentaires d’interconnexion ne semble pas abusive dans la mesure où elle est en ligne avec sa politique de "peering"

Les échanges de données via le "peering", généralement gratuits, peuvent néanmoins être payants - on parle alors de "peering" payant – lorsque le trafic échangé entre les opérateurs transitaires est asymétrique.

La politique de "peering" de France Télécom (comme celle d’ailleurs de la plupart des opérateurs transitaires) définit ainsi un ratio de trafic (c’est-à-dire que le trafic entrant sur le réseau d’Orange rapporté au trafic sortant vers le transitaire ne doit pas dépasser un certain seuil), au-delà duquel peut s’instaurer une facturation. Cette politique vise à éviter un engorgement du réseau d’Orange. France Télécom a ainsi précisé dans sa politique de "peering" qu’elle facturerait l’ouverture de capacités nouvelles si le trafic entrant sur son réseau était 2,5 fois supérieur à celui sortant. Dans le contrat qu’a signé Cogent avec France Télécom en 2005, ce ratio était ainsi précisé.

À l’époque des faits, le site MegaUpload - qui a été depuis fermé par la justice américaine - était client de Cogent et envoyait aux abonnés d’Orange, via Cogent, un trafic très significatif (jusqu’à 13 fois supérieur à celui entrant)  dû aux vidéos téléchargées par les internautes. Constatant une forte dissymétrie de trafic à son détriment, supérieure au ratio arrêté dans sa politique de "peering",  France Télécom a souhaité être rémunérée pour l’ouverture de capacités supplémentaires d’interconnexion.

L’Autorité de la concurrence a estimé que cette pratique n’était pas susceptible de constituer une infraction dans la mesure où France Télécom n’a pas refusé l’accès de Cogent à ses abonnés – elle  a d’ailleurs ouvert gratuitement, et à plusieurs reprises, entre 2005 et 2011, de nouvelles capacités pour répondre aux demandes de Cogent - mais a simplement demandé à être payée conformément à sa politique de "peering", pour l’ouverture de nouvelles capacités, sans remettre en cause la gratuité pour les capacités déjà ouvertes.

L’opacité des relations entre Orange et Orange Transit peut être de nature à favoriser des pratiques de ciseau tarifaire

En revanche, l’instruction du dossier a mis en évidence qu’en l’absence d’une facturation interne formalisée entre Orange et Open transit pour l’accès aux abonnés d’Orange, il ne peut être exclu, compte tenu  notamment du prix de gros exigé par France Télécom pour acheminer les contenus jusqu’à ses abonnés Orange, que Cogent ne dispose pas de l’espace économique suffisant pour proposer à des fournisseurs de contenu une offre compétitive (effet de ciseau tarifaire). 

Lors de l’instruction, un seul accord d’interconnexion de France Télecom avec un fournisseur de contenu a été identifié comme pouvant se rapprocher d’un effet de ciseau tarifaire. Toutefois, cette situation semble plutôt résulter du fort pouvoir de négociation du site Internet concerné, qui est très populaire, et semble difficilement pouvoir  être reprochée à France Télécom. Elle a cependant mis  en lumière plus généralement l’opacité des relations entre Orange et Open Transit.
L’absence de formalisation des échanges internes au groupe France Télécom entre ces deux entités rend difficile le contrôle d’éventuelles pratiques de ciseau tarifaire ou même de discrimination et rend par conséquent plus facile la mise en œuvre de telles pratiques.

France Télécom s’est engagée à formaliser les relations entre Orange et Open Transit. Ces engagements ont pour objectif de prévenir les pratiques de ciseau tarifaire et, le cas échéant, permettront à l’Autorité de la concurrence de constater  leur existence

En réponse aux préoccupations de concurrence exprimées par l’Autorité de la concurrence, France Télécom a proposé de :

- formaliser un protocole interne entre Orange et Open Transit décrivant les conditions techniques, opérationnelles et financières applicables à la fourniture de services de connectivité France ;

- mettre en place un suivi de la mise en œuvre  de ce protocole interne.

Le 3 avril dernier, l’Autorité de la concurrence a publié ces propositions d’engagements sur son site Internet et lancé un test de marché1 afin de recueillir les observations des acteurs du secteur.

A la suite de cette consultation, et après quelques aménagements apportés lors de la séance, l’Autorité de la concurrence a considéré que ces engagements étaient pertinents, crédibles et vérifiables et les a rendus obligatoires. Ils permettront à l’Autorité, en cas de saisine contentieuse, de vérifier qu’aucune pratique de ciseau tarifaire ou de discrimination vis-à-vis d’opérateurs concurrents n’aura été mise en œuvre par France Télécom.

Le protocole interne sera communiqué à l’Autorité de la concurrence dans les trois mois. Sa mise en œuvre sera suivie pendant deux ans par l’Autorité.

1Consulter le test de marché du 3 avril 2012

 

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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