L'Autorité de la concurrence sanctionne 11 banques à hauteur de 384,9 millions d'euros pour entente dans le traitement des chèques

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L’Autorité de la concurrence sanctionne 11 banques à hauteur de 384,9 millions d’euros pour avoir mis en place des commissions interbancaires non justifiées lors du passage à la dématérialisation du traitement des chèques.

S’étant saisie de sa propre initiative, l’Autorité de la concurrence vient de rendre une décision par laquelle elle sanctionne la Banque de France, BPCE1, la Banque postale, BNP-Paribas, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Crédit Agricole, Crédit du Nord, Crédit Industriel et Commercial (CIC), LCL, HSBC et Société Générale pour avoir mis en place de manière concertée et appliqué de janvier 2002 à juillet 2007 une commission interbancaire de 4,3 centimes d’euros sur 80 % des chèques échangés en France, à l’occasion de la dématérialisation du système de compensation des chèques. Ces sanctions représentent, pour cette première infraction aux règles de concurrence, un montant total de 381,1 millions d’euros.

Elle a également sanctionné ces mêmes banques pour avoir appliqué deux autres commissions interbancaires pour services connexes (dites AOCT, annulation d’opérations compensées à tort), toujours en vigueur aujourd’hui. En l’absence de justification sur la proportionnalité aux coûts, elle a enjoint les banques concernées de procéder à leur révision en prenant comme base les coûts de la banque la plus efficace. Ces sanctions représentent, pour cette seconde infraction aux règles de concurrence, un montant total de 3,8 millions d’euros.

L’Autorité a en revanche exempté six autres commissions pour services connexes, considérant qu’elles venaient rémunérer dans une juste proportion des services nouvellement rendus par une catégorie de banques à une autre (tels que le traitement des rejets) et qu’elles permettaient de compenser les transferts de charges résultant de la dématérialisation du système d’échange des chèques (comme par exemple l’archivage des chèques).
 

L’instauration de nouvelles commissions interbancaires lors de la dématérialisation de l’échange des chèques

A l’occasion de la mise en place du nouveau système dématérialisé de compensation des chèques interbancaires (système appelé Echange Images-Chèques, ci-après EIC /pour plus de détails, voir fiche 1 du dossier de presse), les principales banques de la place se sont réunies afin de définir ensemble les conditions de fonctionnement de ce nouveau système.

Elles ont décidé en commun la création de plusieurs commissions (voir fiche 2 du dossier de presse), parmi lesquelles la commission d’échange image chèque (ci-après CEIC). Appliquée à partir de janvier 2002, la CEIC devait faire l’objet d’un réexamen à l’issue d’une période de trois ans, ce qui n’a pas été le cas. Elle a finalement été supprimée en 2007, cette suppression intervenant à un stade avancé de l’instruction de l’Autorité de la concurrence et sous la pression de l’enquête en cours.

La CEIC est une commission à l’opération, d’un montant uniforme de 4,3 centimes d’euros par chèque, versée par la banque du remettant (bénéficiaire du chèque) à la banque du tiré (émetteur du chèque). Elle a été présentée par les banques comme ayant pour objet de compenser la perte de trésorerie engendrée par l’accélération du règlement interbancaire des chèques liée à la dématérialisation, au détriment des banques tirées. Débitées plus tôt, ces dernières perdent la possibilité de placer pour leur compte aussi longtemps qu’auparavant les sommes correspondant aux chèques émis par leurs clients. A l’inverse, les banques remettantes, créditées plus tôt, peuvent placer pour leur compte plus rapidement qu’auparavant les sommes correspondant aux chèques déposés par leurs clients.
 

L’Autorité de la concurrence a estimé que la commission d’échange image chèque était anticoncurrentielle

La création de la CEIC, qui ne correspond à aucun service rendu, a eu pour conséquence d’augmenter artificiellement les coûts supportés par les banques remettantes ce qui a ainsi pesé directement ou indirectement sur le niveau des prix des services bancaires.

L’Autorité a considéré qu’il n’était pas avéré que le passage à l’EIC se soit traduit, pour l’une quelconque des banques participantes, par des pertes nettes, qui aurait pu éventuellement justifier un mécanisme de compensation des banques perdantes par les banques gagnantes, et ce, pour deux raisons :

  • Les pertes de trésorerie sur les chèques tirés étaient compensées par les gains de trésorerie sur les chèques remis et par les économies de coûts de traitement retirés de la dématérialisation des échanges.
     
  • La CEIC, du fait de son caractère fixe, ne permettait pas, en tout état de cause, de compenser réellement les pertes brutes des banques tirées, qui étaient liées aux montants moyens des chèques échangés (et non à leur nombre), ces montants variant très fortement selon les établissements concernés.

De ce fait, l’Autorité de la concurrence n’a pas exempté cette commission qui n’échappe donc pas à l’interdiction posée par les règles de concurrence.
 

En définitive, la CEIC a poussé à la hausse le prix des services bancaires

Les banques ont répercuté, au moins en partie, la commission, soit directement par une augmentation des tarifs de la remise de chèques (cas notamment des entreprises remettant un fort volume de chèques comme les entreprises de la grande distribution), soit indirectement au moyen de la hausse du prix d’autres services bancaires (subventions croisées). La répercussion directe et intégrale de la commission est avérée en ce qui concerne le Trésor Public, principal client de la Banque de France, le montant total répercuté sur l’ensemble de la période s’élevant à 36 millions d’euros.

En définitive, alors que la dématérialisation du système de compensation a permis aux banques de réaliser d’importantes économies, les consommateurs et les entreprises n’ont pas pu pleinement profiter de ce progrès économique.
 

Des pratiques qui concernent l’un des principaux moyens de paiement en France

Les services bancaires revêtent une importance extrême tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Même si son usage a reculé, le chèque reste encore aujourd’hui l’un des principaux moyens de paiement utilisés en France et représentait 26 % des paiements scripturaux en 2006 (voir fiche 3 du dossier de presse). Par ailleurs, ces pratiques sont intervenues sur un marché où la concurrence est déjà réduite en raison du monopole bancaire et de l’opacité tarifaire, récemment soulignée par le rapport Constans/Pauget sur la tarification des services bancaires, remis à la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi en juillet 2010.

L’Autorité de la concurrence a tenu compte, pour la fixation des sanctions, de la gravité et de la durée des pratiques (entente horizontale, durée supérieure à cinq ans) mais également de trois circonstances atténuantes : l’accord ne constitue pas une entente sur les prix finaux ; il a été conclu dans le cadre du passage à l’EIC, projet d’intérêt général dont la mise en œuvre a été activement soutenue par la Banque de France, autorité de tutelle des établissements bancaires ; enfin l’entente ne peut être assimilée à un cartel secret.

Elle a également tenu compte du dommage à l’économie (taille du marché affecté, effet sur les prix). Pour donner un ordre de grandeur concernant ce dernier point, l’Autorité a calculé que, pour chaque centime répercuté, l’augmentation des prix payés par les clients s’élève à près de 220 millions d’euros sur l’ensemble de la période considérée.

L’Autorité a enfin tenu compte de la situation individuelle de chaque banque, et notamment de sa position sur le marché du chèque et de sa puissance économique.

Elle a majoré de 10 % la sanction pour tenir compte du fait que le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, La Poste, les Caisses d’Epargne et la BNP ont joué un rôle actif dans la conclusion de l’accord en soutenant l’instauration de la CEIC lors des négociations qui ont précédé l’instauration du système EIC.

Elle a également majoré la sanction de 20 % en retenant la réitération pour le Crédit Mutuel, les Caisses d’Epargne, Société Générale, le Crédit Agricole, la BNP et LCL, qui avaient déjà été sanctionnés en 2000 pour des pratiques d’entente (décision 00-D-28 du 19 septembre 2000, relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier).

L’Autorité de la concurrence a fait application du droit national mais également du droit communautaire, considérant que les pratiques en cause avaient potentiellement affecté la liberté d’établissement des banques étrangères en France.
 

Elle poursuit par ailleurs l’instruction d’un autre dossier concernant l’ensemble des commissions interbancaires relatives aux cartes bancaires

L’Autorité de la concurrence a été également saisie, entre autres en 2009 par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), de la problématique des commissions interbancaires multilatérales perçues par les banques lors de l’utilisation des cartes bancaires. L’instruction est en cours et la décision devrait être rendue en 2011.

1La BPCE est sanctionnée au titre de pratiques mises en œuvre, à l’époque des faits, respectivement par les Caisses d’Epargne et les Banques Populaires.

 

 
 

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