L'Autorité de la concurrence rend public l'avis qu'elle a émis le 17 mars 2010 sur le programme national « très haut débit » envisagé par le gouvernement

fibre

Elle se déclare favorable au projet, tout en proposant des ajustements ainsi que des mesures complémentaires afin notamment de favoriser le co-investissement.

L’Autorité de la concurrence a été saisie par Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie, d’une demande d’avis sur le programme national « très haut débit » envisagé par le gouvernement. Ce programme vise à faciliter le déploiement des réseaux très haut débit sur l’ensemble du territoire. Il doit être financé par une partie du l’emprunt national, à hauteur de 2 milliards d’euros et prévoit d’organiser des appels à projets selon trois volets :

- le « volet A » est destiné à stimuler l’investissement privé dans les zones rentables par l’attribution d’un label assorti d’un soutien financier non subventionnel ;
- le « volet B » vise à apporter un soutien financier aux collectivités territoriales sous forme de subventions, pour les zones non rentables en complément du volet A ;
- un « volet C » est prévu pour assurer une couverture « systématique » du territoire en complément des volets A et B.

Le déploiement des réseaux de nouvelle génération est un enjeu essentiel et la puissance publique est légitime à intervenir en dehors des zones très denses

Le déploiement de réseaux de nouvelle génération permettant l’accès au très haut débit constitue un enjeu majeur à la fois de croissance et d’emploi, en termes d’aménagement du territoire, mais également d’un point de vue concurrentiel. Le déploiement d’une nouvelle boucle locale en fibre optique peut en effet offrir l’opportunité aux opérateurs alternatifs de s’affranchir progressivement des infrastructures de l’opérateur historique. La France n’est pas isolée, sur un plan international, dans sa volonté de promouvoir la meilleure couverture de son territoire en réseaux de nouvelle génération et la puissance publique est légitime à intervenir pour trois raisons : favoriser la bonne articulation entre l’intervention publique et l’investissement privé, garantir la couverture « intensive » des zones de desserte des opérateurs (c’est-à-dire le raccordement à terme de l’ensemble des foyers et entreprises concernées) et enfin, apporter un soutien financier pour le déploiement de la fibre optique dans les zones non desservies par le marché.

Compte tenu du caractère non contraignant du programme, sa bonne marche repose sur un équilibre entre les incitations des différents acteurs à y inscrire leurs déploiements

L’articulation des appels à projets du volet A, en direction des opérateurs, et du volet B, en direction des collectivités territoriales, peut apporter une clarification dans le partage des rôles entre les acteurs et inciter au déploiement de la fibre, notamment par l’opérateur historique dans les zones rentables. En pratique, compte tenu du caractère non contraignant du programme, l’Autorité de la concurrence formule les observations suivantes, tendant à renforcer les incitations des acteurs à y inscrire leurs déploiements :

  • l’engagement de couverture « intensive » que seront amenés à prendre les opérateurs dans le cadre du volet A est tout à fait crucial ; le gouvernement pourra chercher à préciser les obligations de couverture des opérateurs de façon à maximiser les chances que ces engagements soient pleinement mis en œuvre et ne soient pas l’objet de contestations ultérieures ;
     
  • l’Autorité recommande très vivement d’exclure du volet B les projets de montée en débit par modernisation du réseau téléphonique ; au-delà des limites que soulèvent ces projets sur un plan concurrentiel, en incitant les collectivités territoriales à les mettre en œuvre, l’Etat désinciterait l’opérateur historique à investir dans le FTTH ; l’objectif du programme doit rester le déploiement d’un nouveau réseau pérenne ;
     
  • pour la bonne articulation de l’intervention des collectivités et des opérateurs, le gouvernement devra veiller au séquençage adéquat des appels à projets de ces deux catégories d’acteurs ; le dialogue entre collectivités et opérateurs sous l’égide du régulateur sectoriel est plus que jamais nécessaire pour éviter une trop grande dispersion des pratiques locales.


L’Autorité a relevé un certain nombre de risques concurrentiels sur le marché du très haut débit, résultant de la plus grande capacité de l’opérateur historique à déployer la fibre et à agir par effet de levier en s’appuyant sur les marchés de gros et de détail

Dans les zones rentables, une préemption des déploiements par l’opérateur historique pourrait conduire à une dégradation des conditions d’accès des opérateurs tiers au réseau. L’intensité concurrentielle s’en trouverait dégradée par rapport à celle que connaît aujourd’hui le marché du haut débit grâce au dégroupage.

Dans les zones non rentables, les décisions que l’opérateur historique sera amené à prendre concernant les conditions d’utilisation par sa branche de détail des réseaux en fibre optique déployés par des tiers auront des conséquences déterminantes sur la rentabilité de ces réseaux, pouvant impacter l’issue des appels d’offres des collectivités territoriales dans le cadre de leurs projets publics.

En accélérant le déploiement de la fibre, le programme risque ainsi d’avantager l’opérateur le plus avancé et le mieux outillé pour déployer, c’est-à-dire l’opérateur historique. La puissance publique nationale ou locale pourrait favoriser malgré elle la constitution d’un monopole sur la fibre.

Pour limiter ces risques, l’Autorité de la concurrence formule un certain nombre d’observations concernant les modalités du programme…

 

  • Les aides financières doivent pouvoir bénéficier à l’ensemble des parties prenantes en cas de co-investissement ;
     
  • La « clause de paysage » envisagée par le programme, consistant à conférer au titulaire du label une forme d’exclusivité territoriale, n’est ni nécessaire ni faisable juridiquement, et ne correspond pas à l’approche générale retenue par le gouvernement ;
     
  • Les lots sur lesquels se feront tant l’attribution du label que l’appel au co-investissement devront être dimensionnés avec attention, de manière à ne pas accroître artificiellement les barrières à l’entrée, tout en répondant aux contraintes opérationnelles de déploiement des réseaux ;
     
  • Certains engagements que cherche à obtenir le gouvernement par la voie du label paraissent également relever de la régulation sectorielle, ce qui appelle à une bonne articulation avec l’ARCEP.
     

… et propose des mesures complémentaires visant notamment à favoriser le co-investissement

S’agissant des zones rentables, l’Autorité de la concurrence estime que la possibilité, pour les opérateurs alternatifs, de co-investir avec l’opérateur historique, peut limiter les risques concurrentiels, notamment en offrant un « droit de regard » aux opérateurs alternatifs sur l’architecture du réseau. A cette fin, le programme du gouvernement et plus précisément les avantages liés à l’obtention du label ne paraissent pas pouvoir constituer un levier suffisant. L’Autorité invite par conséquent l’ARCEP à faire usage de ses compétences de régulation ex ante pour favoriser le co-investissement et le cas échéant en encadrer les modalités.

Compte tenu du manque de recul et du caractère embryonnaire du marché, l’Autorité de la concurrence recommande de se fixer une clause de rendez-vous, par exemple à l’horizon de deux ans pour permettre au marché de révéler ses intentions, afin de conserver de la souplesse dans le dispositif.

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Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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